Simplification de l’accès aux études de médecine, nouveau concours de l’internat… Le Doyen des doyens fait le point sur les reformes

29/09/2023 Par Marion Jort
Externat Internat EDN Ecos
La rentrée universitaire de l’année 2023-2024, qui promettait d’être chargée, ne dément pas les pronostics. A la tête de la conférence nationale des doyens des facultés de médecine, le Pr Benoît Veber est chargé de superviser l’ensemble des dossiers prioritaires. Plaidant pour des assouplissements de la "réforme de la Paces", le Doyen livre ses pistes pour "donner plus de visibilité sur les formations donnant accès aux études de santé". A moins d’un mois des premières EDN, il est par ailleurs pleinement mobilisé dans l’organisation de cette inédite configuration du concours de l’internat. LAS, EDN, Ecos, quatrième année de médecine générale… Le Pr Veber fait le point.  

 

Egora : Vous appelez à une simplification de la réforme d’entrée dans les études de santé. La Cour des comptes mène actuellement un audit de cette "R1C" et livrera ses conclusions au premier trimestre 2024. Quelles pourraient être les pistes d’aménagements possibles ? 

Pr Benoît Veber : Il faut bien comprendre qu’on est sur des hypothèses. Aucune décision ne sera prise avant le rendu du rapport de la Cour des comptes. Les doyens sont source de propositions mais les décisions sont prises uniquement par le ministère de l’Enseignement supérieur. Les propositions dont je vais parler ne seront peut-être pas reprises. Ceci étant dit, parmi les hypothèses, ce qui pourrait être fait c’est donner plus de lisibilité sur les formations donnant accès aux études en santé. Certes, il faut maintenir la marche en avant qui permet d’éviter l’effet cul-de-sac de la Paces où les étudiants pouvaient faire deux ans de médecine et ne rien avoir au bout. L’inscription en licence via les LAS est une bonne chose qui permet de poursuivre ses études si on n’est pas admis dans une des filières de médecine, maïeutique, odontologie… Simplement, de façon consensuelle, il faut cibler les licences attractives pour ceux qui souhaitent rentrer en parcours santé. Dire à un étudiant qu’il faut qu’il aille faire une licence de lettres modernes ou de droit pour avoir un accès à médecine n’est pas complètement cohérent. Il faut quand même qu’il y ait une certaine logique entre la thématique de la licence et les études en santé qu’on veut poursuivre ensuite. C’est pour cela que je propose de limiter les licences avec accès santé à un certain nombre qui sont cohérentes et qui fonctionnent bien, comme la biologie, la physique, la chimie, les sciences humaines et sociales, Staps…  

 

Cela voudrait dire garder en priorité les LAS scientifiques ?  

Pas forcément. Il faut que les universités soient pragmatiques. Si on limite à 5 ou 6 licences avec accès santé en plus de la Pass, on mettra de la visibilité dans le parcours.  

 

Vous songez également à favoriser l’entrée des étudiants en LAS dans les parcours de santé plutôt en deuxième ou troisième année qu’en première comme c’est majoritairement le cas actuellement. Pourquoi ? 

L’esprit de la réforme du premier cycle, c’est de diversifier les profils. Or l’expérience montre que les étudiants tentent tous le concours passerelle en première année, ils grillent donc une de leurs chances [sur deux tentatives maximum, NDLR]. Dans nos effectifs de médecine, 50% des étudiants doivent venir de Pass et 50% de LAS. Pour la moitié, on parle de jeunes gens qui ne sont pas dans un parcours strictement scientifique et qui ont la possibilité d’acquérir une certaine maturité ainsi qu’une "coloration" de leur formation d’origine… S’ils ne le font pas, on ne peut tout simplement pas parler de diversification des profils. Il s’agirait sinon d’un contournement de la Pass. Je trouve que dans l’esprit de la R1C, il est donc plus cohérent de favoriser les admissions en LAS 2 et LAS 3, ce n’est pas après une année à l’université qu’on est vraiment imprégné de sa licence d'origine. Cela permettrait aussi de proposer une unité d’enseignement de l’option santé déclinée en deux ans : on pourrait faire 100 heures de cours en LAS 1, 100 heures de cours en LAS 2, et les jeunes concernés seraient donc mieux armés pour attaquer les études de santé.  

 

"Boîte noire", c’est ainsi que vous avez qualifié l'interclassement, c’est-à-dire le fait de classer les étudiants provenant de différentes LAS entre eux en vue de leur admission en médecine notamment…  

Les étudiants doivent valider leur licence à la fin de l’année pour prétendre aux études de santé. A ce jour, leur note de licence est justement utilisée pour leur classement final. Comme il y a plusieurs LAS, on va comparer par exemple en 12 en licence de biologie, avec un 12 en licence de chimie, un 12 en sciences humaines et sociales, un 12 en anglais, etc… C’est compliqué car on compare des carottes et des navets ! Moi, par exemple, je ne sais pas ce que vaut un 12 en anglais. Il y a un calcul mathématique qui est ensuite appliqué pour interclasser ces notes, ce qui fait qu’un étudiant qui à 12 de moyenne en LAS biologie, peut, après ce calcul, se retrouver avec une note d’interclassement de 11. Les étudiants n’y comprennent rien, d’où l’expression "boîte noire". C’est illisible pour tout le monde, enseignants, élèves et parents.  

 

Que pourrait-on améliorer sur ce point ? 

Il faut différencier la validation de la licence d’un côté et le concours passerelle de l’autre. Il s’agit bien d’un concours car il y a un nombre de places limitées. Ma proposition pour pouvoir accéder à la passerelle c’est d’abord qu’il faut avoir validé sa licence. Éventuellement, le jury peut décider que tel cursus doit être validé avec une note minimale de 10, un autre avec une note de 11, de 12, de 13, etc. Puis, l’interclassement pourrait se faire sur la base de l’option santé, que tous ont en commun, avec une même épreuve. Seuls ceux qui auront atteint le seuil d’admissibilité de leur licence pourront se présenter à la passerelle. Au moins, c’est transparent et clair pour tous. Encore une fois, il ne s’agit que d’une idée.  

 

A moins d’un mois des premières EDN, des EDN préparatoires ont été organisées à la rentrée. Le bilan est-il satisfaisant ?  

Les EDN préparatoires n’ont pas été réalisées sur la plateforme du Centre national de gestion comme ce sera le cas lors de l’épreuve en octobre, mais on sait qu’elle est fonctionnelle car elle a servi en juin pour les ECN. Tout a bien fonctionné sur celle que nous avons utilisée début septembre, celle de l’Uness, les tests de connexion ont été concluants. Les épreuves ont été générées par les facultés. Malgré de petits incidents sans gravité - comme une rupture de réseau dans une fac, par exemple - tout s’est bien passé. La moyenne générale des épreuves a été de 13,8/20 tous Items confondus. C’est une bonne note : ça veut dire que nos étudiants travaillent ! 

 

Avec cette nouvelle réforme, tous les candidats aux EDN doivent obtenir une note minimale de 14/20 aux Items de rang A, qui relèvent de tout ce que le médecin doit savoir absolument, quelle que soit sa spécialité. Combien ne sont pas parvenus à atteindre ce seuil ? 

8,4% des étudiants n’ont pas obtenu ce 14/20. C’est une très bonne nouvelle car dans l’immense majorité des cas, la base de ce qui doit être appris l’a été par les plus de 8000 étudiants. Une petite prudence tout de même : environ 1000 étudiants n’ont pas composé et on ne sait donc pas comment ils se placent, pourquoi ils n’ont pas composé. 

 

L’autre gros défi de cette R2C, ce sont les Examens cliniques objectifs et structurés (Ecos), des mises en situation pratiques sur 11 compétences attendues. C’est une "sacrée logistique", dites-vous... Vous redoutez leur organisation, en mai prochain ?  

On a mis la barre très haut. Pour prendre une métaphore, on sait qu’on saute à 1,80 mètre et on a placé la barre à 2,50 mètres… ça fait peur ! On fait tous des Ecos dans nos facultés, on sait très bien ce que c’est. Mais là, la logistique n’est pas tout à fait la même : il va falloir en même temps, tous...

ensemble, partout en France, faire des Ecos sur les mêmes sujets. Il faut des patients standardisés en nombre suffisant… On ne connaît pas encore les sujets des stations qui seront décidées par le comité scientifique. Il faudra d’ailleurs avoir bien plus de patients standardisés que de stations prévues. En sachant qu’un circuit d’Ecos absorbe 50 étudiants, il faut cinq circuits pour une promotion de 250 étudiants. Si le scénario d’un circuit prévoit un homme de 50 ans avec une douleur thoracique, par exemple, il faut déjà minimum 5 hommes avec ce profil. Si on a une jeune femme qui doit parler de son enfant en consultation, il faut 5 jeunes femmes. C’est compliqué : il faut un panel de patients standardisés important. Un des challenges élevés qu’on est en train de relever, c’est qu’on est en train de former ces patients standardisés pour pouvoir répondre à n’importe quel scénario. Il faut s’assurer de la confidentialité du scénario qu’ils devront apprendre et répéter idéalement quatre semaines avant l’échéance. Du point de vue matériel, tout va bien. 

 

Qui peut être patient standardisé ? 

Monsieur et madame Tout-le-monde. Dans l’idéal, pas un acteur qui risquerait de trop jouer, ni un professionnel de santé qui connaîtrait le vocabulaire. Il faut une personne lambda qui joue la scène strictement de la même manière à chaque fois pour que chaque étudiant soit soumis à la même prestation.  

 

L’autre défi, c’est de trouver deux observateurs par station… et que l’un provienne d’une autre faculté que celle de l’étudiant.  

Oui. Il faut qu’on forme nos enseignants, là aussi en nombre suffisant. En plus de cela, il va falloir qu’ils bougent… On ne sait toujours pas comment vont être appariées les facultés, en espérant une relative proximité entre les villes. Il y aura donc aussi une véritable logistique dans la réservation de leurs déplacements, leur logement, etc. 

 

La dernière grosse actualité de cette rentrée, c’est l’allongement de l’internat de médecine générale qui passe de trois à quatre ans. L’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale affirme que la spécialité a perdu en attractivité "au décours des choix aux ECN de la promotion 2023"... Êtes-vous d’accord avec ce constat ?  

C’est normal que dans le cadre d’une réforme, il y ait une certaine prudence des étudiants qui se disent qu’ils n’ont, entre guillemets, pas envie "d’essuyer les plâtres" ou de manquer de lisibilité. J’imagine que l’Isnar-IMG a fait une étude sur les rangs de classement mais moi, je ne suis pas catastrophé. Je voudrais souligner le fait qu’il y a des étudiants très bien classés qui ont choisi médecine générale, c’est important de le signaler. D’autre part, tous les postes ont été pourvus. Pour le reste, compte tenu de l’inconnu de la réforme, cela peut générer plus de prudence… Pour autant, est-ce une désaffection massive ? La réponse est non.  

 

L’une des inconnues justement, c’est la rémunération des futurs internes de médecine générale lors de la phase de "Docteur junior ambulatoire". François Braun, lorsqu’il était ministre, avait promis une part de paiement à l’acte mais cela ne figure pas encore dans les textes de la maquette parus cet été. En avez-vous discuté avec Aurélien Rousseau, le nouveau ministre de la Santé ? 

J’en ai parlé avec lui, oui. Je lui ai exprimé mes réticences sur une rémunération différenciée pour des internes avec un même statut.  

 

Même si cela peut leur permettre de se familiariser avec l’un des aspects de l’exercice libéral ? 

Que je sache, il y a des médecins qui s’installent tous les jours et pour autant, ils arrivent à se faire rémunérer. Je n’ai pas eu l’impression que les jeunes médecins qui s’installent en ville ont de grandes difficultés à se faire payer à l’acte. Je pense que ça s’apprend assez vite, mais là n’est pas le principal problème. Les jeunes médecins peuvent faire des remplacements pour aborder cette particularité de l’exercice libéral. L’objectif de la phase de consolidation n’est pas d’apprendre à être payé mais d’apprendre l’autonomie dans la pratique médicale. Il faut mettre les bons objectifs sur les bonnes phases.  

 

Les externes comme les internes regrettent d’avoir été exclus des mesures de pérennisation des revalorisations des gardes de nuit, annoncées par Elisabeth Borne à la rentrée. Ils demandent à ce que cela soit rectifié… Les comprenez-vous ? 

Je crois qu’il faut différencier les externes et les internes. Les internes participent réellement aux soins. Dans ma vision, ce sont des jeunes médecins en apprentissage de leur spécialité. Ils n’ont pas été inclus dans l’optimisation de la permanence des soins, on peut sûrement le regretter… Mais il faut qu’eux mêmes clarifient leur position. Quand cela les intéresse, ils se présentent comme des étudiants et là, brusquement, ils se présentent comme des professionnels. Il faut qu’ils lèvent cette ambiguïté. S’ils veulent être mieux payés, il faut qu’ils acceptent l’idée qu’ils ont une activité professionnelle.  

Pour les externes, c’est différent car ils ne touchent pas de salaire, ils touchent une indemnité. Beaucoup sont dans la précarité et donc la revalorisation de leurs émoluments de garde pourrait être une manière de les aider. Il existe peut-être d’autres pistes pour les aider, comme l’ouverture du Contrat d’engagement de service public (CESP) dès la deuxième année. Ils pourraient éventuellement aussi toucher la prime de précarité. En revanche, j’ai lu dans leur communiqué qu’ils écrivaient être "indispensables au fonctionnement des services", c’est faux. Ils nous aident quand ils le peuvent mais quand ils ne sont pas là, les patients sont soignés, et heureusement. En tout cas, on ne peut que plaider pour aider ceux qui sont en situation de précarité. 

Conseilleriez-vous à un étudiant en médecine de choisir la médecine générale pour spécialité ?

Nathalie Hanseler Corréard

Nathalie Hanseler Corréard

Non

Non Retraitée en 2020, j'ai beaucoup aimé ce métier, mais l'évolution avec manque de confiance et exigence des patients, risque d... Lire plus

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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 1 an
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