7000 euros l'année, cours en visio et en anglais… L'offensive d'une fac de médecine européenne à Orléans

04/02/2022 Par Aveline Marques
Face à une démographie médicale en berne et alors que la ville réclame la présence d'une faculté de médecine depuis 30 ans, en vain, le maire d'Orléans (Loiret) a pris le taureau par les cornes : il vient d'annoncer la signature d'un partenariat avec la faculté de médecine de Zagreb (Croatie) permettant la formation, dès "septembre 2022" de 50 étudiants en médecine "français" dans la cité ligérienne. Une initiative qui a pris de court les acteurs universitaires, ainsi que le ministère. Ils dénoncent l'absence de concertation et le "marchandage" de la formation médicale.

La nouvelle a fait l'effet d'une bombe. Du ministère de l'Enseignement supérieur au président de l'Université d'Orléans, en passant par les doyens de facultés de médecine, elle a pris de court l'ensemble des acteurs universitaires. Lors d'une conférence de presse, qui s'est tenue 27 janvier, le maire d'Orléans a annoncé l'ouverture dès "septembre 2022" d'une antenne de la faculté de médecine de Zagreb dans la ville. Le protocole d'accord signé le 21 janvier entre la municipalité et la faculté croate permettra de "former directement après concours une cinquantaine de médecins français" à Orléans, se félicite le maire. Cette métropole de près de 300 000 habitants, chef-lieu du Loiret et capitale de la région Centre-Val-de-Loire, demande depuis près de 30 ans à disposer de sa propre faculté de médecine. A l'heure actuelle, les étudiants du Loiret se voient en effet contraints de s'exiler à Tours (à plus d'une heure de route) ou à Paris, voire à Clermont-Ferrand ou à Dijon, pour étudier la médecine, pointe Jean-Pierre Door, député LR du département, qui soutient l'initiative du maire. Pour les élus locaux, cette "fuite" des aspirants médecins du Loiret est l'une des causes de la désertification médicale du département. "Ils disparaissent pour leurs études et ne reviennent pas pour leur installation. Une majorité d'internes à la fin de leurs études restent exercer à proximité de la métropole où se situe leur faculté", pointe le député-cardiologue.   Département “sinistré” Résultat : "Le Loiret est l'un des départements les plus sinistrés, tout comme l'Indre et le Cher", souligne le parlementaire. D'après Serge Grouard, le maire, il ne disposerait que de 63.7 médecins pour 100 000 habitants, et Orléans, capitale régionale, ne pourrait compter que sur 55 médecins, "soit à peu près la moitié de notre moyenne régionale", relève l'édile dans un courrier (dont Egora a eu copie) adressé le 25 janvier à Jean-Pierre Door pour l'informer du projet. En décembre dernier, 200 médecins de la région, réunis en collectif, lançaient une pétition pour réclamer la formation de 200 médecins supplémentaires chaque année en Centre Val-de-Loire, à Tours… ou bien à Orléans. D'autres régions de taille comparable, telle la région Bourgogne Franche-Comté, disposent de deux facultés, plaidaient-ils. Le président de la région Centre-Val-de-Loire, François Bonneau, porte également le dossier de la fac de médecine d'Orléans. Mais pour l'heure, cette demande se heurte à l'asphyxie des capacités de formation régionales. Si la suppression du numerus clausus a permis à la faculté de médecine de Tours d'ouvrir 15 places supplémentaires cette année, pour atteindre un total de 315 admis, monter à 340, comme le souhaite le doyen de la faculté (et président de la conférence nationale des doyens), le Pr Patrice Diot, nécessite d'obtenir des postes d'enseignants supplémentaires. "Nous sommes en sous-effectifs actuellement : pour encadrer 340 étudiants et être dans la moyenne d'encadrement des facultés de médecine, il nous faudrait 102 postes d'enseignants en plus, pointe-t-il. Nous demandons au ministère des postes supplémentaires et je souhaite que nous les affections pour moitié au CHR d'Orléans et pour moitié à Tours. Nous demandons à ce que notre nombre d'internes soit augmenté de façon très conséquente puisqu'il est largement inférieur au nombre d'étudiants qui entrent dans les études de santé. Et là aussi le CHR d'Orléans a vocation à accueillir et à former plus d'internes."   7000 euros l’année  Face à ce qu'il qualifie "d'inertie", le maire d'Orléans a décidé d'"agir" en recherchant un partenariat avec une faculté de médecine de l'Union européenne dont les diplômes, réputés équivalent au diplôme français, permettent d'exercer en France. Le choix s'est porté sur la faculté de médecine de Zagreb, réputée pour son cursus médical en anglais, qui depuis 2002 a formé cinq générations d'étudiants en médecine étrangers. La mairie vante le label "High quality" dont elle dispose, "gage supplémentaire du niveau d'enseignement", précise l'adjoint à la santé Florent Montillot, sur le site de la mairie. Cette offre de formation sera destinée "prioritairement" aux étudiants d'Orléans et du Loiret, précise la mairie. Le but est de "fidéliser" ces futurs médecins sur le territoire par le biais d'une bourse finançant les frais d'inscriptions (un peu plus de 7000 euros l'année), accordée en contrepartie d'un engagement à s'installer "pendant une durée d'au moins cinq ans à Orléans". L'accès à la formation se fera sur dossier puis sur concours d'entrée à Zagreb. Les cours, majoritairement en anglais, seront dispensés par visioconférences par des professeurs de la faculté de médecine de Zagreb, mais aussi à Orléans, "par des médecins du CHR d'Orléans et/ou des professionnels de structures médicales et/ou des libéraux", escompte la mairie. Les examens se feront en Croatie. Quant aux stages, ils pourraient se dérouler au CHR mais aussi au sein des hôpitaux généraux du département (Montargis, Pithiviers, Gien) ou des cliniques, détaille Jean-Pierre Door. "Le CHRO est très demandeur, assure le député. Aujourd'hui, il a des internes qui viennent de Tours et qui repartent. On n'a pas cette sédentarité qui nous est indispensable." Les maisons et centres de santé du Loiret pourraient également accueillir des étudiants selon l'élu. "Il faut absolument augmenter le nombre de maitres de stage dans le département. Et pour cela, il faut les valoriser sur le plan financier. Il ne faut pas que ce soit un petit cercle fermé. Beaucoup de médecins généralistes et spécialistes pourraient être maitres de stage", insiste Jean-Pierre Door. Ce n'est pas la première fois que la faculté de Zagreb tente de s'implanter à Orléans. En juillet 2016, déjà, la cité ligérienne se réjouissait de l'ouverture en septembre d'une prépa de médecine baptisée MOZ (Médecine Orléans Zagreb), ouverte à une cinquantaine d'étudiants moyennant 5000 euros : à l'issue d'une année de préparation, 15 d'entre eux auraient été admis en médecine à la faculté de Zagreb. Vivement contesté par les acteurs universitaires, qui dénonçaient un contournement du numerus clausus, le projet a avorté, faute d'agrément ministériel. Depuis l'affaire Pessoa et la loi Fioraso de 2013 en effet, les formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique ainsi que les formations paramédicales "sont soumises à l'agrément conjoint des ministres chargés de l'Enseignement supérieur et de la Santé".   Le ministère réagit  Pour de nombreux acteurs, l'initiative de la mairie d'Orléans ravive de mauvais souvenirs. "La sélection ne se fera plus au mérite, mais bien en fonction des capacités financières des familles, critiquent les présidents des universités d'Orléans et de Tours, dans un communiqué. Compte tenu de nos valeurs, nous ne pouvons accepter cette sélection par l'argent." Dans un communiqué diffusé le 28 janvier, la Conférence nationale des doyens de facultés de médecine s'est elle aussi dit "profondément choquée par le mépris dont témoigne cette initiative quant à l’exigence de qualité de la formation médicale et son mercantilisme" et a exprimé "son indignation et sa ferme opposition au marchandage de la formation médicale". "Ce qui nous a surpris, réagit le Pr Patrice Diot, c'est qu'on a été informés de ce projet via une conférence de presse sans qu'il y ait eu la moindre concertation avec les universités d'Orléans et de Tours". "Cette initiative a été prise sans aucune concertation avec le ministère chargé de l’Enseignement supérieur et le ministère chargé de la Santé, prévenus uniquement par voie de presse", gronde le ministère de l'Enseignement supérieur, sollicité par Egora. Les éléments du dossier sont à ce jour inconnus des ministères." En particulier, "aucune garantie tangible n’est apportée à ce stade sur l’organisation des stages", déplore le ministère. "Nous sommes choqués par ce regard qui nous paraît pour le moins désinvolte sur la formation médicale", renchérit le Pr Diot, doyen de la fac de Tours, relevant le caractère "optionnel" dans le programme de la faculté de Zagreb d'une discipline aussi essentielle, dans le contexte actuel, que l'immunologie. "On pourrait exercer la médecine sans avoir eu d'enseignement en immunologie, ça je vous avoue que c'est sidérant pour nous." Une "contre-vérité" dénoncée par la mairie d'Orléans, qui assure de son côté que l'immunologie fait partie intégrante de la formation dès la deuxième année.   Peu "éthique" Le doyen des doyens est tout aussi sévère concernant l'approche adoptée par le maire concernant les stages. "Ce n'est pas un édile qui décide comme ça de l'affectation des étudiants", assène-t-il. "La formation en stage est un élément crucial de la formation médicale à la française. On évalue les demandes d'agrément de façon très très sérieuse pour garantir la qualité de la formation des jeunes. On les répartit là où il y a bien des encadrants. Tout cela fait l'objet d'un processus concerté entre les facultés de médecine et les ARS." Il juge par ailleurs l'octroi d'une bourse aux étudiants du Loiret en échange de leur engagement à s'installer dans le département peu "éthique". "Dans ma faculté, il y a beaucoup de boursiers, mais les bourses sont distribuées sur des critères sociaux solidement établis, souligne-t-il. On est complètement en dehors de tous les principes éthiques universitaires de notre pays", lance-t-il. Face aux critiques, Serge Grouard, le maire d'Orléans, a dénoncé sur Cnews un "corporatisme, notamment de la part des universités, absolument effrayant". "C'est la vie de nos compatriotes qui est en jeu. Il y a des solutions et on veut nous empêcher de les mettre en œuvre", a-t-il lancé, rappelant que plus de 100 000 habitants du Loiret n'ont pas de médecin traitant.  

  "La démographie médicale est une véritable urgence dans notre région aujourd'hui, reconnaît le Pr Diot. Mais considérer que ces problèmes vont être résolus par l'ouverture d'une antenne de l'université de Zagreb, c'est faux. C'est une approche politique et quelque part démagogique." Le doyen des doyens plaide quant à lui pour des "mesures efficaces à très court terme", comme la mise en place d'une 4e année de médecine générale, réalisée prioritairement dans les zones sous-dotées, le "renforcement des infirmières de pratique avancée" ou "la construction de parcours de soins pour les maladies chroniques qui ne reposent pas complètement sur le médecin traitant".   Vont-ils pouvoir exercer?  "Tout le monde est un peu sur la réserve mais ça existe dans d'autres pays et nous avons besoin de médecins", martèle Jean-Pierre Door, qui rappelle que chaque année, 800 à 900 étudiants français partis se former à la médecine en Belgique ou en Roumanie reviennent dans l'Hexagone, complétant utilement un "numerus clausus" qu'il faudrait "pratiquement doubler". Joint par Egora, le Conseil national de l'Ordre des médecins confirme en tout cas que rien ne s'oppose à ce que ces étudiants, une fois diplômés par la faculté de médecine de Zagreb, puissent exercer en France. La reconnaissance du diplôme étant automatique, l'Ordre se borne à vérifier que les médecins diplômés dans un autre pays de l'UE maitrisent la langue française. Après l'échec de Pessoa et de Moz, le projet va-t-il pouvoir aboutir, cette fois ? Rien n'est moins sûr : la loi requiert non seulement que la formation obtienne un agrément des ministères, mais aussi qu'une convention soient signée avec un établissement de santé (public ou privé) ainsi qu'avec une université. Pas gagné.

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