Egora : Vous entamez votre mandat à la tête de la Conférence des doyens des facultés de médecine alors que les dossiers à traiter sont nombreux… Y a-t-il une priorité ?
Pr Benoît Veber : Il y a beaucoup de sujets très importants. Concernant les études médicales, très clairement, l’une des priorités de cette année, c’est de réussir la réforme du deuxième cycle (R2C). Il s’agit d’une réforme qui est au cœur des études médicales, qui est faite pour nos étudiants. Les doyens y sont très attentifs et souhaitent à tout prix la réussir.
Cette réforme fait l’objet de nombreux dissensus. La Conférence des doyens appelle à une “montée en charge progressive” de la R2C, quand l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) s’y oppose…
Il reste en effet des discussions sur certains points, avec l’Anemf notamment. Mais il ne faut surtout pas vivre ces discussions comme une opposition des doyens avec les étudiants. Nous souhaitons tous réussir cette réforme. Les étudiants ont des souhaits, des exigences, mais aussi des angoisses que l’on peut comprendre… Et les doyens, de leur côté, ont la priorité de rendre cette réforme faisable.
Le principal point de crispation, ce sont les Examens cliniques objectifs et structurés (Ecos), qui sont des mises en situation pratiques des étudiants sur des compétences attendues. Vous vous inquiétez de la complexité de l'organisation de telles épreuves ?
Pour faire une comparaison sportive avec du saut en hauteur, on a mis la barre à 5,50 mètres et on sait sauter 3,50 mètres. Aujourd’hui, les doyens disent que si on place une nouvelle barre à 4 mètres, c’est déjà bien, et si on peut progressivement monter jusqu’à 5,50 mètres, on en sera les premiers satisfaits. Il faut pouvoir garantir un Ecos national en 2024 réussi. Le pire serait que l’on ne réussisse pas, ce qui pourrait remettre en cause toute la R2C. Cet Ecos national est une grande première mondiale. On va faire passer en même temps, dans toutes les facultés françaises, 10.000 étudiants sur les mêmes stations : c’est déjà un magnifique challenge, qui n’a jamais été fait dans le monde. Même les Suisses et les Canadiens, qui ont un système similaire, ne le font que pour 2000-2500 étudiants. En France, nous serons dans une autre dimension, mais il suffirait qu’il y ait une faculté dans laquelle cela se passe mal pour que cela aboutisse à l’annulation de l’examen pour tous et qu’on soit obligés de le refaire. En tant que doyens, nous avons un devoir de réussite et c’est la raison pour laquelle nous souhaitons proposer une montée en charge progressive sur deux ans.
Comment cette “montée en charge progressive” pourrait-elle se traduire concrètement ?
C’est une réponse en cours d’arbitrage, car ce sont les ministères de l’Enseignement supérieur et de la Santé qui arbitreront et trancheront cette question. Le souhait des étudiants, c’est d’avoir deux observateurs - qui ne sont pas des examinateurs - par station. Ces derniers, des professeurs, vont observer l’étudiant et vont, sur la base d’une grille d’évaluation très standardisée, noter si l’étudiant a fait ou non ce qui est attendu. L’un de ces observateurs doit par ailleurs venir d’une autre faculté. Au total, il faudrait en mobiliser 2000… c’est d’une complexité de mise en œuvre énorme.
Pourtant, aujourd’hui, à quasiment un an de la première édition, rien n’est visible pour l’organisation des placements des enseignants. Le Centre national de gestion, qui organise habituellement les concours, nous a fait savoir que les Ecos n’étaient pas dans sa fiche de mission. Il n’y a à ce jour aucun logiciel pour assurer la répartition informatique de ces observateurs partout en France et on ne sait pas qui va s’en occuper. En tant que doyens, nous voulons alerter sur cette difficulté. Comment y remédier ? Dans le cas d’une montée en charge progressive, l’une des hypothèses qui a été faite par la Conférence, c’est de conserver deux observateurs mais qu’ils viennent tous deux de la même faculté que celle de l’étudiant examiné. Si les étudiants redoutent d’être notés “à la tête du client” pour le dire grossièrement, cela permettrait de mettre un garde-fou. Une autre hypothèse, c’est de garder seulement un examinateur, mais à ce moment-là, il faut qu’on nous garantisse qu’il y ait un logiciel de répartition des observateurs. Ce ne sont pas les doyens qui vont répartir leurs examinateurs : imaginez un peu, celui de Nice va aller à Rouen par exemple !
L’une des propositions qui avait été faite par la Conférence des doyens, c’est de faire se déplacer les étudiants pour les Ecos plutôt que les professeurs. Cela fait-il toujours partie des options ouvertes ?
Il est vrai que mobiliser 10.000 étudiants ce n’est pas rien et l’Anemf était contre. Les conseillers ministériels se sont rangés à leur avis et ce n’est plus une hypothèse ouverte. Les étudiants passeront les épreuves dans leurs facultés.
Les externes sont particulièrement inquiets pour leur classement et leur choix de spécialité…
Je sais qu’il y a beaucoup d’anxiété étudiante qui s’exprime face à cette nouvelle épreuve. À tel point qu’on a eu écho important de volonté de redoublement en cinquième année pour éviter d’être dans la promotion “crash test”. Je veux donc les rassurer : les Ecos sont en train de se mettre en place. Il faut maintenant que les ministères mettent les moyens nécessaires pour que cela puisse se dérouler dans de bonnes conditions.
Outre les Ecos, les étudiants seront évalués sur les EDN et sur une note “parcours”. Y a-t-il des inquiétudes à ce sujet ?
Beaucoup moins, nous saurons faire. Même si la docimologie a été modifiée, on a su faire des ECNi à 9.500 étudiants, on saura faire des EDN à 10.000 personnes. On va tester...
en amont les plateformes nationales afin de s’assurer que tout fonctionne correctement. Enfin, pour le parcours, un guide a été publié. Il précise un certain nombre de critères afin de pouvoir homogénéiser un maximum les notes des étudiants selon leurs facultés.
En parlant du choix de spécialité, le temps file et les ministères de tutelle n’ont toujours pas communiqué d’informations au sujet de l’allongement de l’internat de médecine générale. Sa mise en place est pourtant prévue dès la rentrée prochaine…
Deux groupes ont travaillé sur le sujet, un premier à l'occasion d'une mission sur la réforme du troisième cycle des études de médecine (R3C) qui a notamment élaboré une maquette ; et un second dans le cadre d'une commission spécifique. Le ministère devrait rendre son rapport fin mars. En ce qui concerne la maquette, on sait déjà qu’il y aura un stage libre et que la quatrième année, la phase de Docteur junior, se fera très préférentiellement en médecine ambulatoire, mais il y aura quelques possibilités de stage en médecine hospitalière, notamment pour valider des formations spécialisées transversales.
La rémunération pose toujours questions. Le syndicat des internes en médecine générale plaide pour une rémunération à l’acte et un statut de “Docteur junior ambulatoire”, mais la Conférence des doyens n’est pas de cet avis…
Il s’agit d’internes, ils sont toujours inscrits à la faculté. Si l’interne est rémunéré à l’acte, cela voudrait dire qu’il est remplaçant ! Il faut aussi penser que les autres spécialités ne seront pas sur ce mode de rémunération. On ne peut pas créer un statut pour la médecine générale et pour les autres. Ce n’est toutefois pas la Conférence qui sera décideur.
Une récente enquête de l’Anemf indique que la moitié des étudiants dont le premier choix était médecine générale aux ECNi cette année remettent leur choix en question. Cela vous inquiète-t-il ?
Je crois aux choix positifs. En faisant cela, on assume les contraintes qui vont avec ce choix. Quand on est heureux avec sa décision, on devient un bon médecin. Si le souhait d’un interne est d’être médecin généraliste, le problème n’est pas celui de savoir s’il y a une quatrième année ou non. Qu’est-ce que c’est qu’un an ? Le cas échéant, il faut qu’ils se donnent les moyens d’être classés en rang utile. Il faut en tout cas qu’ils fassent le choix qui leur convient. La médecine générale est une merveilleuse spécialité, transversale, et les étudiants doivent prendre conscience qu’on leur offre la possibilité avec cette année supplémentaire d’être encore mieux formés. Il n’y aura pas de perte de chance pour les internes qui choisiront la médecine générale pour l’année prochaine.
Le doute plane toujours sur le nombre de maîtres de stage universitaires nécessaires pour former cette nouvelle promotion… Il faudrait augmenter l’effectif à 16.000 MSU environ d’ici trois ans. Est-ce envisageable ?
Les médecins généralistes enseignants sont en tête de ligne sur la formation des MSU, ils ont un savoir-faire remarquable. Ils ont pris beaucoup d'avance par rapport aux autres spécialités. De 9.000, ils sont passés à 12.000 l’an dernier. Il n’y a aucune raison de penser qu’on n’y arrivera pas. Je tiens à rassurer les internes : ils n’iront en stage que s'il y a un MSU, qui a reçu un agrément.
La réforme du premier cycle des études de médecine arrive au terme de ses trois premières années de mise en place, soit un cursus de licence complet. Vous allez sollicité le ministère de l’Enseignement supérieur pour réaliser un bilan en vue de possibles assouplissements. Avez-vous déjà des idées en tête ?
Vous l’avez dit : il est d’abord l’heure du bilan. On arrive effectivement au bout de trois ans et c’est le bon moment pour réaliser un bilan nécessaire, qui permettra de piloter la suite. Il y a forcément des points positifs, comme celui de faire disparaître l’effet “cul de sac” de la Paces. Il y a aussi des points plus discutés… notamment sur le manque de visibilité de cette R1C. Il y a potentiellement trop de voies d’accès. Il est trop tôt pour avancer des pistes d’améliorations, cela dépendra du bilan. En tant que doyens, ce qui nous marque c’est que les étudiants ont du mal à s’y retrouver entre la voie d’accès Pass et la voie d’accès LAS. Nous allons mettre en place un groupe de travail au sein de la conférence pour faire des propositions. À titre personnel, je pense qu’il faut travailler sur le nombre de LAS ouvertes, qui peuvent générer du bruit de fond. Ce n’est pas naturel de dire qu’on va s’inscrire en lettres modernes ou en langues étrangères pour faire médecine. C’est aussi pour cela qu’il y a une forte tension sur la Pass. On relève enfin que certaines jeunes en Pass n’ont peut-être pas bien saisi le poids de la mineure, par exemple. Pourtant elle est essentielle : si jamais ils ont choisi de faire une Pass avec une mineure chimie et qu’ils ne peuvent pas accéder à l’une des filières de leur choix, cela leur permettra de poursuivre dans cette voie s’ils n’intègrent pas les filières santé.
Il était aussi question de travailler sur le poids de l’oral pour l’accès aux filières médecine, maïeutique, odontologie, kiné, épreuve largement contestée par les étudiants…
Il n’y a pas d’homogénéité au sein de la Conférence des doyens sur ce point et les universités ont une liberté de manœuvre. Le poids de l’oral est variable d’une UFR à l’autre. Ma position personnelle est qu’un poids trop excessif de l’oral diminue le poids de l’écrit et donne l’impression qu’on joue l’année sur quelques minutes, ce qui est difficile. Personnellement, je pense que 30% à 40% comme poids de l’oral dans la note finale serait suffisant. L’autre point : contrairement à ce qu’on fait dans les concours des grandes écoles où l’écrit permet d’accéder à l’oral, l’écrit peut permettre une admission directe. La question qu’on doit se poser c’est de peut-être ouvrir l’oral à tous les étudiants. C’est une question en cours de réflexion.
A partir de septembre, tous les médecins qui ont exercé leur spécialité trois ans minimum pourront candidater pour réaliser un deuxième diplôme dans une autre spécialité. Comment va fonctionner ce dispositif ?
Il s’agit d’une très grande avancée de la R3C. Ce “deuxième DES” représente la possibilité pour des médecins de se réorienter après quelques années d’exercice. Cela a par exemple été conçu pour les accidents de la vie, comme un chirurgien qui ne pourrait plus utiliser sa main pour opérer. On donne la possibilité aux médecins de se reformer pour continuer à exercer la médecine dans un autre domaine. De manière plus générale, cette possibilité permet à tous les médecins de se former sous forme d’un “droit au remords” un peu tardif. On peut penser à un médecin nucléaire qui veut se tourner vers la radiologie, par exemple, à un généraliste qui veut devenir urgentiste ou un urgentiste qui veut faire de l’anesthésie-réanimation. Mais ce sera plus difficile pour un biologiste de devenir chirurgien. Attention toutefois : ce deuxième DES tiendra compte des besoins en professionnels par discipline et par régions.
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