Covid : des conséquences psychiatriques à rechercher

29/05/2020 Par Dre Brigitte Blond
Infectiologie Psychiatrie
Pour les sujets a priori sains, soignants y compris, comme pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques identifiés, l’anxiété liée au confinement mais aussi au Sars-Cov-2, bouscule la santé mentale, et peut être à l’origine de manifestations multiples allant de la dépression à des symptômes psychotiques. Le Dr Anne Giersch, directrice de l’Unité Inserm U1114 et psychiatre au pôle de Psychiatrie du CHU de Strasbourg au sein de la Fondation Fondamental, analyse la situation pour Egora.

  Egora : Que peut-on redouter chez les personnes "saines" ? Dr Giersch : L’anxiété, le principal symptôme de l’épidémie de Covid, que l’on soit ou non infecté, rend plus vulnérable. Elle produit, avec les changements de rythme, des troubles du sommeil, facteur multiplicatif de troubles psychiatriques en germe. L’ennui conduit certains, pour trouver du plaisir, à des addictions, et en terrain confiné, à opter pour l’alcool ou les jeux d’argent. Vider sa cave est aussi un moyen de calmer l’anxiété. Les craintes pour le travail sont encore l’occasion de remettre en question ses choix de vie ; et cette introspection peut être positive ou négative, avec un risque de ruminations qui empêchent d’avancer, surtout en cas de solitude. Au début du confinement, une diminution des appels, en particulier à CovidEcoute*, a été observée, sans doute due à l’arrêt de toutes les activités et à la crainte de consulter. Les effets de l’isolement sont ensuite apparus, avec des décompensations dépressives, telles que décrites dans les études. Il convient d’y penser au décours, d’autant plus que ces manifestations étaient parfois invisibles en période de confinement. Autre trouble alimenté par l’anxiété, les phobies, renforcées par les caractéristiques “floues“ du virus, un ennemi invisible : le discours a été et reste nécessairement mouvant, au fil des connaissances acquises au jour le jour ; une incertitude qui alimente le stress. Cette anxiété phobique peut d’ailleurs être à son acmé, assortie de crises de panique, au moment du déconfinement, quand le risque de contagion augmente.

Que l’on soit ou non malade, l’isolement et la désafférentation sociale, sensorielle, produisent un nombre non négligeable d’idées paranoïaques et d’hallucinations, qui cessent à l’arrêt de l’isolement : des troubles révélateurs des particularités de notre système sensoriel. Entendre sa propre pensée, ressentir des “choses“ qui restent étrangères aux autres, ces symptômes de prodromes psychotiques, atténués chez les sujets sains, ont curieusement diminué au cours...

du confinement (une étude strasbourgeoise, sur 160 personnes), peut-être en lien avec l’explosion de contacts avec la famille permise par les réseaux sociaux ? L’éventuelle présence de tels symptômes psychotiques prodromiques doit être évoquée chez des patients isolés, âgés, souffrant de troubles sensoriels.   Et chez les patients souffrant de troubles psychiatriques ? Stress, désorganisation des rythmes biologiques et isolement sont des facteurs de risque de décompensation des maladies psychiatriques. Et ces patients psychotiques n’ont probablement pas consulté pendant le confinement, sauf éventuellement à l’occasion d’une décompensation aiguë. Une psychose peut aussi s’aggraver à bas bruit. Des signes ténus doivent alerter le médecin de famille, qui connaît l’adolescent ou le jeune adulte : une hygiène moins scrupuleuse, un isolement renforcé, etc. ; et ce, sans céder à la facilité de justifier ce comportement par la peur du virus notamment… Nous avons toutefois observé que grâce à la télémédecine, et aux réseaux d’appel qui se sont constitués, les malades chroniques connus ont été accompagnés, et satisfaits, ayant alors le sentiment d’être "comme tout le monde". Le bilan (préliminaire) est plus contrasté en cas de comorbidité ou d’addiction…

  Qu’en est-il des soignants ? Ils sont particulièrement à risque de stress post-traumatique, et plus encore les jeunes soignants, parce qu’ils ont été exposés à la mort, un événement traumatique par nature, dans des situations souvent plus “prenantes“ dans la mesure où ils devaient pallier l’absence de la famille… Ils ont mis moins de barrières protectrices qu’à l’habitude, leur identification aux proches était plus forte, ce qui majore le risque de difficultés ultérieures. Et ceci, dans un contexte de crainte pour soi, de tomber malade à son tour et de mourir. Maintenant que la phase aiguë est semble-t-il passée, une décompensation anxiodépressive est prévisible, ce qui a conduit à la mise en place, dans les services, de recours psychologique pour les soignants qui le souhaitent.   *CovidÉcoute (https://covidecoute.org/) a été créé par la Fondation Fondamental, avec le soutien notamment de l’Association française de thérapie comportementale et cognitive (AFTCC), de l’Encéphale online, et de la Fondation Pierre Deniker   Le Dr Griesh déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.

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