Essais nucléaires en Polynésie : un impact faible mais réel sur le risque de cancer thyroïdien
41 essais nucléaires atmosphériques ont été réalisés entre 1966 et 1974 en Polynésie française. Une étude datant de 2010 avait déjà montré une faible augmentation du risque de cancer de la thyroïde en lien avec l’augmentation de la dose reçue à la thyroïde avant l’âge de 15 ans. Mais les données restaient insuffisantes pour conclure de façon solide. La même équipe (Inserm, Université Paris-Saclay, Gustave-Roussy) a donc réalisé une 2e étude portant sur 395 cas de cancers de la thyroïde diagnostiqués entre 1984 et 2016 en Polynésie et 555 témoins de la population générale. Avantage particulier de ce travail, des documents originaux des services de radioprotection ont pu être utilisés. Ils ont permis aux chercheurs de simuler le nuage radioactif de chaque essai nucléaire, et d’estimer la dose de radiation reçue par la thyroïde des participants de l’étude. Celle-ci était très légèrement supérieure pour les cas : 4,7 milligrays en moyenne, contre 4,6 pour les témoins. Globalement, les résultats n’ont pas mis en évidence d’association significative entre la dose de radiation à la thyroïde et le risque de cancer thyroïdien. Cependant la relation devenait significative si on se concentrait sur les cancers invasifs en excluant les microcarcinomes papillaires non invasifs. Les chercheurs et chercheuses ont aussi effectué une étude de prédiction du risque, qui a évalué à 2,3% (intervalle de confiance entre 0,6% et 7,7%) la part des cancers de la thyroïde liés aux essais nucléaires français, chez les personnes présentes au moment des essais. "Ces résultats s’inscrivent dans la continuité de ce que nous avions préalablement conclu et confirment que les essais nucléaires sont très probablement à l’origine d’une augmentation, faible, de l’incidence des cancers de la thyroïde en Polynésie française. Ils doivent toutefois être considérés avec prudence car l’estimation des doses de radiation reçues à la thyroïde il y a plus de 50 ans est nécessairement imprécise", a commenté Florent de Vathaire, chercheur Inserm à Gustave-Roussy, premier auteur de l’étude. Les scientifiques poursuivent donc leurs recherches "avec l’objectif d’ajouter à leur analyse l’évaluation des susceptibilités génétiques des populations (les facteurs héréditaires et la combinaison génétique propre à chaque individu) qui pourraient avoir une incidence sur le développement des cancers thyroïdiens dans la zone", conclut l’Inserm dans un communiqué. Réactions indignées "Je suis scandalisée qu'on puisse encore publier des articles qui minimisent les conséquences des 193 essais nucléaires en Polynésie", a réagi à l'AFP Hinamoeura Cross, élue de l'Assemblée de la Polynésie française, qui souffre depuis dix ans d'une leucémie chronique radio-induite. A la tribune de l'ONU, elle a déjà exhorté la France à mieux prendre en charge les victimes des retombées atomiques. "La ministre Geneviève Darrieussecq disait encore en juillet 2021: 'il n'y a pas eu mensonges d'Etat, il y a eu des interprétations'. Or il y a bien eu mensonge d'Etat avant le premier tir nucléaire, puisque De Gaulle disait que toutes les dispositions étaient prises pour qu'il n'y ait aucune conséquence sur la santé des Polynésiens", fustige-t-elle. De l'avis d'autres militants anti-nucléaire, cette étude marque toutefois une avancée. "Ce rapport parle de personnes qui ont développé un cancer entre 1984 et 2016", explique le Père Auguste Uebe-Carlson, président de l'association 193, soulignant que le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) refuse de reconnaître les dossiers des victimes nées après 1974, l'année de fin des essais aériens. "Si ces personnes sont nées après 1974, ce sera un argument de plus pour demander des indemnisations", estime-t-il. Il observe toutefois "une tendance de l'Etat et donc de l'Inserm (un établissement public, NDLR) à minimiser l'impact des retombées nucléaires". Selon lui, l'institut devra un jour expliquer "pourquoi il y a autant de cancers dans nos atolls". "On va reprendre tous ces éléments et on va entrer en discussion avec l'Etat là-dessus", a assuré de son côté Moetai Brotherson, le nouveau président indépendantiste de la Polynésie française, qui a présenté lundi son gouvernement. Son parti, le Tavini Huiraatira, avait évalué à environ 100 milliards de francs Pacifique (838 millions d'euros) les dépenses de la CPS, la Sécurité sociale locale, en lien avec les maladies radio-induites. Une somme qu'il souhaite donc voir remboursée par l'Etat.
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