Rhumatismes inflammatoires chroniques : la place des innovations thérapeutiques précisée

23/01/2023 Par Caroline Guignot
Rhumatologie

Les découvertes de nouvelles molécules et nouveaux mécanismes d’action s’accumulent dans le traitement des rhumatismes inflammatoires chroniques (RIC). Face à ce large arsenal, de nombreuses questions pratiques se posent, que ce soit en termes de séquences de traitement, d’associations thérapeutiques ou en termes de tolérance avec les inhibiteurs de JAK.   Les combinaisons de thérapies ciblées doivent désormais être envisagées pour améliorer le taux de patients RIC atteignant la rémission, « qui plafonne aujourd’hui à 50% dans la polyarthrite rhumatoïde (PR) », affirme la Pre Thao Pham (APHM, Marseille). Dans le courant des années 2000, des études d’association conduites avec l’abatecept n’avaient pas montré d’avantage clinique, mais un surrisque infectieux, mettant un coup d’arrêt à ces recherches. L’arrivée de nouveaux mécanismes d’action a réactivé l’intérêt pour ces associations, a fortiori dans un contexte où les patients n’ont plus le même profil de tolérance qu’auparavant (moins d’imprégnation cortisonique). Aussi, la recherche clinique s’est-elle réactivée, permettant d’espérer de nouvelles lignes thérapeutiques. « En attendant les données des différentes études cliniques en cours, ces associations existent en routine », a-t-elle reconnu : le registre français Combio a justement été constitué en 2020 et 2021 autour des patients recevant des associations de traitement ciblés. Fort heureusement, ses données sont rassurantes : le contrôle de la maladie des patients inclus, qui « étaient pour moitié des sujets ayant une RIC difficile à traiter, et pour moitié des patients ayant une autre pathologie inflammatoire chronique » (maladie de Crohn et psoriasis principalement), était meilleur sous association (anti-TNF et védolizumab ou ustékinumab majoritairement). Et les taux d’infection grave étaient comparables à ceux sous monothérapie ciblée. « Le recours à ces associations va augmenter, à mesure que l’arsenal se développe », juge la rhumatologue. Outre les RIC difficiles à traiter ou ceux associés à une autre maladie inflammatoire chronique de type Mici, un troisième groupe émerge : celui « des sujets atteints d’une pathologie de spectre différent, comme l’asthme ou la dyslipidémie, et pour lesquels des traitements ciblés sont aussi développés ». La connaissance de ces traitements et leurs profils de tolérance et d’efficacité une fois combinés invitent à de nouvelles études.   Définir les RIC difficiles à traiter Maintenant que les options thérapeutiques sont nombreuses, la question des patients en impasse thérapeutique suscite l’intérêt : afin d’identifier les échecs véritables des autres, l’association européenne de rhumatologie (Eular) a défini la « PR difficile à traiter » en 2021. Trois critères sont obligatoires : l'échec préalable à au moins deux thérapies ciblées de mécanismes d'action différents, la présence d’au moins un signe d'activité ou de progression et une prise en charge qui est perçue comme difficile par le rhumatologue ou le patient. Ainsi, si les caractéristiques de la maladie n’entrent pas dans ce cadre, on ne parlera pas de RIC sévère. Les hypothèses seront donc soit que le diagnostic initial doit être redéfini, que le patient n’est pas observant, ou que certaines comorbidités complexifient le tableau clinique. Les facteurs liés au patient (déterminants sociaux, mode de vie, hypersensibilité à la douleur...), au médecin et à la maladie (manifestations inflammatoires ou non inflammatoires, présence des dégâts structuraux, apparition d’une éventuelle immunisation..) doivent être passés en revue. L’Assessment of SpondyloArthritis International Society (Asas) travaille à son tour sur une définition consensuelle des spondyloarthrites difficiles à traiter. Elle viendra en regard des recommandations de prise en charge de ce groupe de maladies pour lequel la Société française de rhumatologie (SFR) a réactualisé ses recommandations au printemps dernier (cf encadré).   Le sujet brûlant des inhibiteurs de JAK Début 2022, l’étude Oral Surveillance, a jeté un pavé dans la mare des JAKi. Celle-ci avait comparé deux doses de tofacitinib (anti-JAK1/3) à un anti-TNFα, chez des patients de plus de 50 ans avec un facteur de risque cardio-vasculaire (CV) et une polyatrhrite rhumatoïde (PR) ne répondant pas suffisamment au méthotrexate, avait montré une augmentation de la survenue d’événements cardiovasculaire, d’accidents thromboemboliques veineux graves et de néoplasie sous inhibiteur par rapport aux patients sous anti-TNF. S’en est suivie une mise en garde des autorités de santé européennes concernant le tofacitinib, étendue à l’ensemble de la classe thérapeutique, par principe de précaution. Fin octobre 2022, le Pharmacovigilance Risk Assessment Committee (Prac) a recommandé que ces médicaments ne soient utilisés qu’en l’absence d’alternative thérapeutique appropriée chez les plus de 65 ans, et ceux ayant des facteurs de risque d’événements CV majeurs, de cancer ou ayant un tabagisme (présent ou passé). Il préconise également qu’ils soient utilisés avec prudence chez les patients présentant des facteurs de risque de thromboembolie veineuse et que leur posologie soit réduite chez certains patients à risque (risque de thromboembolie veineuse, cancer ou événements cardiovasculaires majeurs). Des analyses complémentaires et des études observationnelles et de registre ont été conduites pour préciser ces observations et en comprendre l’étiologie. Elles confirment que les événements délétères observés sont survenus sous tofacitinib dans une population à risque – sujets âgés, fumeurs, avec des antécédents cardiovasculaires. Une étude en vie réelle, confortée par les données de pharmacovigilance européennes suggère, par ailleurs, une augmentation du risque thrombo-embolique sous baracitinib (anti-JAK 1/2) parmi des patients de même profil. Il reste néanmoins difficile d’imaginer se passer de cette classe thérapeutique dans la prise en charge des RIC. Leur efficacité et leur maniabilité (prise orale, demi-vie courte, action rapide, absence de risque d’immunogénicité) ont incité les sociétés savantes à réagir. L’Eular préconise ainsi qu’en cas de réponse insuffisante de l’activité de la PR avec un premier traitement de fond (DMARD) synthétique, un JAKi ne soit considéré en alternative à un DMARD biologique qu’à condition qu’il n’y ait pas de contre-indication et après une évaluation rigoureuse du risque propre au patient, selon son âge, son statut tabagique, et ses antécédents de maladie cardiovasculaire et néoplasique. Les patients jeunes sans comorbidités y seraient plus volontiers éligibles. Les autres ne le seraient qu’en l’absence d’alternative thérapeutique et après évaluation du bénéfice-risque, en accord et en discussion avec le patient. Les recommandations dédiées de la SFR, dont la parution est imminente, insisteront sur l’évaluation du risque cardiovasculaire, thromboembolique veineux et néoplasique des patients atteints de RIC. Elles proposeront un algorithme concret de la conduite à tenir : les antécédents d’événements cardio-vasculaires majeurs devront faire écarter la classe thérapeutique sauf absence d’alternative. Dans ce cas, le cardiologue devra donner son avis sur la stabilité de la maladie cardio-vasculaire ou thrombo-embolique veineuse. Ensuite une « décision collégiale » sera nécessaire avant prescription. En l’absence de tels antécédents, l’âge sera le second élément déterminant avec un seuil fixé à 65 ans et une démarche calquée sur l’étape précédente. Viendront ensuite les facteurs de risque cardiovasculaire et thrombo-embolique qu’il conviendra d’évaluer et intégrer dans la décision thérapeutique.  

Spondyloarthrites : points clés des recommandations thérapeutiques 2022

Dans les formes axiales prédominantes, après échec du traitement symptomatique, les traitements ciblés (anti-TNF, anti-IL-17, JAKi) sont envisagés : les anti-TNFα préférentiellement, ou plus volontiers un anti-IL17 en cas d’atteinte psoriasique associée significative.
Dans les formes à arthrite prédominante, les traitements ciblés ne sont recommandés qu’après échec du traitement symptomatique puis d’un traitement de fond conventionnel, ou lorsqu’il existe une atteinte structurale, une Mici ou une uvéite associées et actives. Les anti-TNFα ou les anti-IL-17 doivent être privilégiés dans tous les cas, ainsi que, alternativement, un anti-IL-23 en cas d’atteinte psoriasique ou un JAKi en cas d’atteinte axiale associée.
Dans les formes enthésitiques et/ou avec dactylite en échec du traitement symptomatique, un traitement ciblé (anti-TNFα, anti-IL-17, anti-IL-12/23, anti-IL-23, JAKi) peut être envisagé. L’échec à un premier traitement ciblé incite à rechercher d’autres causes que la SpA elle-même (observance, pathologie mécanique, syndrome fibromyalgique,...) avant d’envisager un second traitement ciblé.

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