Dans le cadre d’une trithérapie dissociée, le tiotropium est prescrit chez les patients asthmatiques sévères chez qui les corticostéroïdes inhalés (ICS) et les bronchodilatateurs, β2-agonistes (Laba) et anticholinergiques (Lama), ne suffisent pas. Dans une étude de la cohorte européenne U-Biopred (Cruz et al. Resp. Med. 2020), 24% des asthmatiques sévères étaient sous lama-ICS-Laba. Dans une cohorte anglaise d’asthmatiques sévères (Jackson et al. Thorax, 2020), tous les patients étaient sous ICS de longue durée d’action et 53,5% sous tiotropium. Il est à noter qu’ils étaient 69% à avoir des biothérapies.
Trithérapies : intérêts, risques et limites
Concernant les trithérapies fixes, les essais Iridium (Kerstjens et al. Lancet Respir. Med. 2020) et Trigger Trimaran (Virchow et al. Lancet 2019) ont été réalisés auprès de patients asthmatiques sévères (> 1 exacerbation dans les 12 mois précédents, VEMS 50%) sous ICS-Laba. « L’efficacité des trithérapies vs les bithérapies (sans Lama) a été démontrée avec un effet rapide au niveau du VEMS qui se maintient au bout de six mois, voire un an, ainsi qu’une réduction du nombre d’exacerbations. C'est intéressant car les résultats avec la trithérapie dissociée sont très bons également », indique le Pr Pierre-Olivier Girodet, pneumologue CHU de Bordeaux. Une méta-analyse (Kim et al. Jama 2021) a également comparé les trithérapies fixes ou dissociées vs les bithérapies. « L’effet sur les exacerbations est également en faveur de la trithérapie. Il est important de noter que chez un sujet qui n'exacerbe pas ou très peu, il n’existe pas de différence entre les trithérapies et les bithérapies et donc chez ces patients, la trithérapie n’apporte pas de bénéfice », complète le spécialiste. Les trithérapies ont d’autre part un effet dose démontré dans les essais Iridium et Captain (Lee et al. Lancet Respir. Med 2021). Pour le médecin : « lorsque la dose d’ICS augmente, l’effet VEMS s’accroît jusqu’à un plateau. Toute la difficulté est de trouver le niveau du plateau ».
Du côté des effets secondaires, « les trithérapies ont possiblement comme cible le tissu cardiaque avec des conséquences cardiovasculaires (fibrillation atriale, allongement de l’intervalle QT, tachycardie, HTA, extrasystoles auriculaires ou ventriculaires, angor). Bien que peu fréquents, ils nécessitent des précautions d’emploi pour les patients ayant des comorbidités CV. Du fait d’un passage systémique avec ces traitements, d’autres effets peuvent survenir (hypokaliémie, glaucome, dysurie, rétention urinaire) ainsi que des effets locaux (dysphonie) sans doute davantage imputables aux corticoïdes. Certaines trithérapies engendrent d’autre part des douleurs musculo squelettiques », souligne le spécialiste.
En 2022, la Global initiative for asthme (Gina) a placé les Lama en niveau 5 de l’asthme avec « +/- une biothérapie ». Les recommandations récentes de la SPLF sont similaires, avec l'anticholinergique en palier 5 (comme pour les biothérapies). « Il existe un consensus entre la Gina et la SPLF pour donner les trithérapies aux patients les plus sévères. À l'avenir, il faudra peut-être un palier supplémentaire pour les biothérapies. En effet, il est recommandé d'avoir ces trois médicaments inhalés à la bonne dose, pour des patients qui les prennent correctement, et avec une bonne observance, avant de passer aux biothérapies. Dans l’AMM, les trithérapies sont indiquées dans le traitement continu de l'asthme chez les adultes dont les symptômes ne sont pas contrôlés par un traitement continu associant Laba et ICS administrés à dose élevée et qui ont présenté plus d’une exacerbation au cours de l’année précédente », insiste le Pr Girodet qui poursuit : « leurs limites viendraient d’une part d'une prescription anarchique de ces médicaments (à n'importe qui, n'importe quand) et d’autre part de l’arrivée des biothérapies. Ces dernières représentent un progrès thérapeutique mais là aussi, il va falloir les prescrire aux bons patients et au bon moment. Et je crains qu'avec toutes ces biothérapies et ces seuils d'indication qui baissent (par exemple, le taux d’éosinophiles sanguin à 150/µL), leurs prescriptions soient anarchiques sans avoir pris le temps de suivre les différentes étapes du bon traitement inhalé, pendant la bonne durée puis en cas d’échec de vérifier si celui-ci va être répondeur à la biothérapie ».
Biothérapies : leur place dans l’asthme
« Les biothérapies s’adressent a des patients dont le diagnostic d’asthme sévère est formel et qui ont des facteurs aggravants et/ou comorbidités pris en charge, un traitement maximal à base de CSI à très forte dose ou à forte dose + autre traitement bronchodilatateur, une maladie non contrôlée et un phénotype identifié », précise la Dre Clairelyne Dupin, pneumologue (Hôpital Bichat). Ce dernier élément conditionne le choix des biothérapies proposées. Il est fonction de l'âge du diagnostic initial de l’asthme (Th2 dans l’enfance et non Th2 à l'âge adulte). Trois biomarqueurs permettent de l’identifier : les IgE, les éosinophiles (Eos) et la fraction expirée de monoxyde d’azote (FeNO). Les recommandations françaises ou internationales (Gina) indiquent que les Eos et la FeNO doivent être répétées 3 fois en cas de valeur normale en raison de leurs variabilités dans la journée, de l'exacerbation, de la prise de corticoïdes. L'agression épithéliale par les allergènes génère une cascade inflammatoire déclenchée initialement par des alarmines (TSLP, IL-25, IL-33) puis une autre selon le phénotype et l'environnement cytokinique (IL-4, IL-13, IL-5). « Ce sont autant de cibles thérapeutiques visées par les 5 molécules aujourd’hui disponibles », précise la spécialiste. L’omalizumab est un anti-IgE. C’est le premier anticorps sorti en 2006. Le mepolizumab et benralizumab ciblent respectivement l’IL-5 et son récepteur. Le dupilumab bloque la sous-unité alpha commune aux récepteurs IL-4 et IL-13. Et attendu d’ici l’été 2023, le tezepelumab est un anti-TSLP bloquant la fixation avec le récepteur agissant en amont de la cascade inflammatoire. « Ces molécules répondent aux enjeux thérapeutiques dans l'asthme sévère notamment en réduisant significativement les exacerbations, en limitant le recours aux corticostéroïdes oraux mais aussi en améliorant ou en préservant la fonction pulmonaire. Selon les recommandations de la Gina, la réponse doit être évaluée entre trois et six mois après l'initiation des traitements. Si un patient ne répond pas selon les critères définis, une biothérapie alternative peut lui être proposée. Ces traitements ont un peu complexifié notre prise en charge, mais représentent une solution pour nos patients », conclut la Dre Dupin.
« Environ 35% des patients adressés à un centre expert en asthme sévère ont une observance < 50% des prises écrites sur l’ordonnance », indique la Dre Clairelyne Dupin, pneumologue (Hôpital Bichat). L’inobservance a de multiples formes : doses et/ou nombre de prises dans la journée non respectées, consultations manquées, éviction allergénique non suivie, traitements associés (IPP par ex.) non pris, plan d'action non observé. L’European respiratory journal (2017) révèle que de 60% à 90% des patients, selon l’inhalateur, font au moins une erreur de manipulation. Pour le Pr Mathieu Molimard, pneumologue (CHU de Bordeaux) : « certaines erreurs graves affectent sensiblement le dépôt pulmonaire du produit. Elles sont soit indépendantes du dispositif (défaut d’inspiration par la bouche à travers l’embout buccal, expiration par la bouche dans l’appareil avant inhalation) soit spécifiques à celui-ci (défaut d’insertion de la gélule, levier non poussé, défaut de synchronisation entre le déclenchement du spray et l’inhalation). Sur 146 patients ayant eu une exacerbation sévère, 45% avait fait au moins une « erreur grave ». Ainsi, l’utilisation de l’inhalateur par le patient doit être vérifiée après chaque initiation de traitement, avant toute escalade thérapeutique et idéalement à chaque consultation ou au moins une fois / an ».
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