Pollution de l’air : les liens avec le cancer du poumon se dévoilent peu à peu
Avec son cocktail de particules fines, d’oxydes d’azote et d’ozone, la pollution de l’air constitue un fléau sanitaire de premier ordre. Parmi les principales maladies concernées, celles de nature cardiovasculaire et pulmonaire, dont le cancer du poumon. Lors de l’étude européenne Eescap, tout incrément de 5 µg/m3 de PM2,5 (particules fines de taille inférieure à 2,5 microns) était liée à une hausse de 18% de l’incidence de cancer du poumon (1). Si le lien entre particules fines et cancer du poumon, indépendamment du tabagisme, est bien établi, au point que les PM2,5 sont depuis 2013 classées ‘cancérogènes certains’ par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), des incertitudes demeurent quant aux mécanismes d’action. Un tournant dans la compréhension de ce phénomène est survenu en avril 2023, avec la publication d’une importante étude britannique révélant une hausse d’incidence spécifique aux cancers du poumon mutés pour le gène EGFR, lorsque l’exposition aux PM2,5 augmente (2). Un nouveau modèle de cancérogénèse En France, on estime entre 10% et 15% la proportion de cancers bronchopulmonaires mutés pour EGFR, contre environ 40% en Asie. Selon le Pr Alexis Cortot, qui dirige le service de pneumologie et d'oncologie thoracique du CHU de Lille, "il s’agit typiquement de cancers du non-fumeur". Afin d’explorer ce lien avec les PM2,5, Alexis Cortot et ses collègues ont mené une analyse de la cohorte KBP2020, large étude décennale sur l’ensemble des cas de cancer du poumon suivis dans les hôpitaux généraux français. Pour cela, les chercheurs ont analysé les caractéristiques génétiques tumorales de 5 778 patients atteints de cancers non à petits cellules et non épidermoïdes, les croisant entre autres avec les données de pollution issues de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris). Présentés au 28e CPLF, leurs résultats confirment le lien entre polluants et mutations EGFR. Chez le quart de patients les plus exposés aux PM2,5 (quartile supérieur), l’incidence de mutations EGFR était 50% plus élevée que dans le quartile inférieur, après prise en compte du tabagisme, du sexe et de l’âge. De même pour les PM10 (particules fines de taille inférieure à 10 microns) et le dioxyde d’azote NO2, avec des surrisques respectifs de 39% et 63%. Autre nouveauté de l’étude, les chercheurs décrivent pour la première fois un lien entre les mutations du gène STK11 et l’exposition au radon et aux rayonnements ionisants, autres causes environnementales majeures de cancer du poumon. L’équipe souhaite désormais mieux évaluer l’effet de la pollution de l’air sur réponse au traitement. Selon Alexis Cortot, ces résultats, qui confortent les travaux britanniques, ouvrent la voie à "une nouvelle théorie de la carcinogénèse, en deux étapes. D’abord une étape d’initiation, au cours de laquelle s’acquiert une mutation EGFR ou KRAS pour des raisons inconnues, peut-être de façon sporadique et aléatoire. Puis une étape de promotion : sous le fait d’une exposition à la pollution, se déclenche une réaction inflammatoire médiée par les macrophages alvéolaires qui passe par la voie IL1-bêta, ce qui permet à des cellules porteuses de mutations d’évoluer vers la formation de tumeurs mutés pour EGFR". Des infections pulmonaires tous azimuts Autre effet de la pollution de l’air, les infections respiratoires. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), 17% des décès secondaires à des infections des voies respiratoires inférieures seraient liées à la pollution de l’air. Lors du congrès la Pre Claire Andréjak, du service de pneumologie du CHU Amiens-Picardie, a rappelé les nombreux liens entre polluants de l’air et divers pathogènes bactériens et viraux. Cette association, déjà bien connue pour les infections à VRS et la grippe, a également été observée pour le Covid-19. Lors d’une récente méta-analyse, toute hausse de 10 µg/m3 de la teneur atmosphérique en PM2,5 était liée à un surrisque de 66% d’infection, de 127% de contracter une forme grave, de 40% de décès lié à au covid (3). D’autres travaux ont mis en évidence un lien épidémiologique entre pollution et varicelle, oreillons, pneumonie à mycoplasmes, et même tuberculose. Pour Claire Andréjak, la pollution, en particulier celle par les PM2,5, pourrait agir "en favorisant le transport des microorganismes dans l’air, en altérant la réponse macrophagique ou la barrière épithéliale, peut-être en augmentant l’expression de récepteurs à certains pathogènes, voire en diminuant la réponse vaccinale". Comme l’a suggéré une récente étude espagnole, qui a mis en évidence un lien entre exposition aux PM2,5 et réponse immunitaire au vaccin anti-Covid19 (4).
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