Les nouvelles idées des maires de France pour lutter contre les déserts médicaux
Egora.fr : Ce baromètre indique que 11% des Français vivent dans un désert. Vos chiffres sont plus importants que ceux de la Drees qui ne comptabilise que 5,7% des Français. Comment expliquez-vous cette différence ?
Frédéric Chéreau : Je ne saurais pas rentrer dans le détail. Nous ne devons pas prendre en compte les mêmes indicateurs ni les mêmes seuils. C'est simplement les modalités de calcul qui sont différentes.
Une étude de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) montre que les habitants des zones rurales consomment 20% de soins hospitaliers en moins que les citadins, comment expliquez-vous ce phénomène ?
Je pense qu'il y a un problème de recours aux soins que l'on peut retrouver dans certains quartiers pauvres. Quand on est loin de l'hôpital, on se fait moins suivre. C'est moins facile de prendre un rendez-vous en programmation. C'est une explication que j'avance à titre personnel. C'est sans doute également lié à la démographie médicale en ville. Il y a des gens qui ne sont pas suivis, qui n'ont pas de médecin de ville. Ce sont souvent ces derniers qui prescrivent des examens complémentaires ou des hospitalisations programmées à leurs patients. Il y a une chaîne d'effets.
Pour contrer ce phénomène de désertification, François Baroin [président de l'AMF NDLR] appelle à un big bang territorial. Que veut-t-il dire ?
Aujourd'hui il faut vraiment travailler sur une logique de couverture de l'ensemble des soins de santé sur un même territoire. Il faut une approche qui soit à la fois sur la ville et sur l'hôpital parce que les deux se parlent dans le cadre de parcours de soins. Cela doit se faire avec un pilotage...
local par les élus, ce qui permet de sortir d'une approche purement administrative et comptable, et uniquement pilotée par l'ARS.
Vous pensez que l'ARS bloque, plus qu'elle n'aide, l'installation des médecins ?
Je trouve, à mon petit niveau, que les élus ont beaucoup de mal à dialoguer avec l'ARS. Cela s'améliore un petit peu. J'ai mis en place une cellule Covid à Douai où le représentant de l'ARS est présent. A un moment donné, on avait l'impression d'une ARS qui était exclusivement sur des sujets financiers et une gestion purement budgétaire.
Concrètement, que pourraient faire les élus ?
Je pense qu'il faut défendre l'idée des contrats de santé que certains territoires ont mis en œuvre. Je pense aussi que la mise en place des CPTS, qui a un moment donné pouvaient apparaître comme des "machins en plus", font leurs preuves. Quand on laisse les professionnels de ville s'organiser entre eux, ça a du sens. Ils trouvent des terrains d'entente et une organisation qui leur va. Il ne faut pas que cela soit rigide et fixé par le niveau régional ou national. Et ensuite, au niveau local, les CPTS, l'hôpital, les structures de soins de suite et tout le médico-social doivent pouvoir être coordonnés dans le cadre d'un contrat local de santé pour que les élus aient fortement leur mot à dire. Les élus connaissent bien la situation sanitaire d'un territoire. Les élus sont aussi écoutés et respectés dans la mesure où ils ne travaillent pas pour les uns ou pour les autres. On ne travaille pas pour l'hôpital, ni pour la médecine de ville, et encore moins pour la médecine privée. On a un rôle de catalyseur qui permet aux uns et aux autres de se parler.
En quoi consisterait ce contrat local de santé ? Qu'apporterait-il aux médecins ?
On peut travailler sur pas mal de sujets. On peut déjà définir une cartographie de l'installation des médecins sur un territoire et constater qu'il y a des micro-zones blanches sur lesquelles il n'y a pas de médecins. C'est sur ces micro-zones que la communauté d'agglomération doit se dire qu'elle va soutenir l'investissement dans une maison de santé où plusieurs médecins et professionnels vont se rassembler. Il peut donc y avoir des soutiens à l'investissement. Dans certains cas, sur des gros territoires ou à l'échelle d'un département, il peut y avoir des recrutements de médecins. Il peut aussi y avoir la création d'une maison des internes de l'hôpital. Je suis en train d'y travailler à Douai. L'idée est que les internes découvrent...
l'agrément de la vie à Douai et aient envie de s'y installer. Les futurs médecins hospitaliers ou de ville sont les internes. Cette maison, c'est l'occasion de leur faire découvrir un lieu où ils ou elles auront peut-être envie de s'installer.
En quoi consiste cette maison des internes ?
Nous sommes très en amont dans ce projet. Aujourd'hui, je m'aperçois que la plupart des internes qui passent à l'hôpital de Douai sont hébergés sur le site de l'hôpital, qui est excentré et face à une zone commerciale. Ce n'est clairement pas le plus joli endroit de Douai. Je souhaite que tous les internes qui passent à l'hôpital soient hébergés en ville et puissent découvrir la vie culturelle, sportive, l'animation du centre-ville. Les médecins qui s'installent viennent souvent de fonder leur famille et ils regardent à la fois les critères médicaux et la qualité de vie d'un territoire.
D'autres solutions peuvent-elles être envisagées pour contrer la désertification ?
Il y a une réflexion à mener à l'échelle régionale, complémentaire au travail local. Un projet de loi a été déposé pour suggérer la mise en place d'un conseil d'administration de l'ARS dans lequel rentreraient la région et les départements. Je suis convaincu qu'il y a un pilotage régional autour de l'ARS et du ou des centres hospitaliers régionaux (CHR). Ce sont ces hôpitaux qui distribuent sur le territoire les chefs de service ou les spécialistes hospitaliers dans certaines sur-spécialités. C'est à l'échelle régionale que l'on peut piloter et distribuer la répartition des spécialités dans les hôpitaux. C'est cela qui va renforcer, ou pas, un territoire. Les spécialités portées par un hôpital sont aussi un critère d'installation d'un médecin.
Il faut s'en doute aussi revoir l'Ondam pour coller à la réalité des besoins des Français. Nous sommes un pays qui vieillit. Les besoins de santé sont importants mais nous avons encore malgré tout des territoires où les gens ne se soignent pas assez. Ça doit être un choix national fort de se dire qu'on se donne les moyens de mettre l'argent qu'il faut sur notre système de santé, avec peut-être une répartition qui est à revoir entre santé privée et publique.
Je ne suis pas contre les acteurs privés de santé mais il faut aussi prendre en compte l'accueil universel qu'il y a sur l'hôpital. Il faut miser davantage sur les médecins qui acceptent d'assurer des gardes. Finalement, tous ceux qui assurent ce service public de la santé, doivent être récompensés. On doit financer...
d'une manière différente ceux qui se contentent d'avoir une approche opportuniste en choisissant les actes médicaux qu'ils veulent faire et les spécialités qu'ils veulent assurer parce qu'elles sont les plus rentables ou faciles.
Plusieurs villes proposent des sommes d'argent aux médecins qui s'installent, ce qui crée parfois une concurrence entre territoires. Qu'en pensez-vous ?
Il faut effectivement faire attention à cela. La concurrence, on la voit là. On la voit aussi dans les services d'urgences où certains médecins mercenaires se font payer des sommes astronomiques pour assurer quelques gestes d'urgentiste. Peut-être faut-il réguler un peu tout cela mais il faut faire confiance aux collectivités pour savoir de quoi elles ont besoin, sous quelle forme et à quel endroit. Ça, les maires le savent.
Offrir une somme d'argent à un médecin qui s'installe, est-ce une bonne idée ?
L'Etat le fait déjà. Il y a des aides à l'installation dans certains territoires, sans doute faut-il les renforcer. Il y a tout un débat à l'AMF sur la liberté d'installation des médecins. La position collective de l'AMF est de dire que nous sommes contre toute forme de coercition à l'encontre des médecins.
En réalité, ce dont les médecins ont peur, c'est de faire des gardes tout le temps, de ne pas avoir leurs soirées ni leurs week-ends parce qu'ils sont tout seuls. Quand on est en-dessous de la masse critique de médecins pour que la charge de travail soit supportable, je me demande s'il ne faut pas réfléchir à ce que les hôpitaux puissent mettre à disposition de temps en temps sur les week-ends des médecins en plus pour suppléer les gardes.
Je me pose cette question, d'une forme de coercition à titre personnel. Je me dis que c'est un cadre sur lequel on peut réfléchir. Il n'y a pas de liberté d'installation pour les magistrats, des cadres de la police ou de la gendarmerie…. Les médecins, d'une manière ou d'une autre, sont financés sur fonds publics. Peut-être peut-on réfléchir à une contractualisation, à des objectifs cibles de nombre de médecins par territoire à travailler avec les départements et les régions. L'idée serait de ne pas forcer mais d'orienter l'installation des jeunes médecins sur les territoires où on en a le plus besoin. Il pourrait aussi y avoir des contrats courts pour des médecins en début de carrière. Ils gagneraient alors des avantages pour la suite de leur carrière.
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