Egora.fr : Une récente étude de la Drees a montré que près de 4 millions de Français vivent dans un désert médical. Comment les pharmaciens d'officine ressentent-ils la baisse de la démographie médicale ? Quel est l’impact sur leur activité ? Philippe Besset : Forcément, la désertification médicale est un problème pour les pharmacies dans les territoires ruraux. Généralement les deux acteurs qui recherchent des médecins sont la mairie et le pharmacien. Vous voyez plein d'annonces de mairie qui sont relayées par les pharmaciens. Moi-même, j'ai cherché un généraliste quand le médecin de mon quartier de 2.500 habitants est parti à la retraite. D'ailleurs, nous n'en avons toujours pas trouvé. Une pédiatre s'est installée, mais ce n'est pas pareil. La relation avec le MG est la relation principale. Les personnes âgées qui habitent dans ce quartier ont envie et besoin d'un médecin de proximité.
A la différence des médecins, notre présence sur le territoire est régulée. L'installation des pharmacies obéit à une réglementation très stricte. Les ARS délivrent des licences d'exploitation d'officines avec des critères démo-géographiques et des critères de transfert, ce qui fait qu'on ne peut pas bouger. Ça a des avantages et des inconvénients. L'inconvénient, c'est que quand un médecin s'en va, on reste car on ne peut pas les suivre. On est donc beaucoup moins libres dans ce sens. L'avantage, c'est que ça génère une rentabilité minimale de l'officine parce que ça limite la concurrence interne. Préconisez-vous la régulation de l’installation des médecins ? Je n'ai pas de conseils à donner aux autres professions, je ne me permettrai pas. Je sais que les médecins sont très attachés à la liberté d'exercice. La seule chose que je peux dire, c'est que nous, pharmaciens, sommes très attachés à la régulation parce que ça génère une solvabilisation de la patientèle. Quand on part à la retraite, on est à peu près sûr de la solvabilisation d'une vie de travail. Ça n'existe plus chez les médecins… En 2018, en France, il y avait 32,4 officines pour 100.000 habitants. Mais combien de communes disposent de pharmacies sans généraliste à proximité ? Sur les 35.000 communes de France, 8.000 sont dotées d'au moins une pharmacie dont 5.000 qui n'en ont qu'une. Dans ces 5.000 villes, plus de 500 n'ont pas de médecins. A l'inverse, il y a plus d'un millier de communes qui ont un médecin sans officine. De temps en temps, c'est une organisation qui est souhaitée par la population, comme dans le plateau de Sault dans l'Aude. Il y a deux bourgs, Belcaire où se trouve le cabinet médical et Espezel où se trouve la pharmacie. Ni le maire Belcaire ne veut voir partir ses médecins ni le maire d'Espezel ne veut voir fermer sa pharmacie. La population s'est donc habituée. Mais, en général, les 500 communes dépourvues de médecins souffrent… Et pour les 1.000 médecins dans des villages sans pharmacie, cela ne doit pas être très pratique pour leurs patients. Ce couple pharmacien-médecin, du point de vue du patient, est mieux quand il est ensemble. Il faut le renforcer car le patient a besoin des deux. Une fois que le médecin a établi le traitement, le patient doit se rendre à la pharmacie pour le récupérer. Lors du colloque sur l'installation organisé par MG France le 30 janvier, vous parliez déjà du couple et de l'histoire d'amour entre les généralistes et les pharmaciens. Comment peut-on expliquer ce lien ? L'histoire d'amour commence lors de la première année qui est commune. Des jeunes qui se destinent aux métiers de la santé (médecins, dentistes, pharmaciens, sages-femmes…) ont la même première année. Les études nous séparent ensuite puisque nous avons chacun des enseignements spécifiques pour nos métiers, mais nous rassemblent de temps en temps avec notamment une cinquième année en commun. Nous sommes aussi externes pendant 1 an à l'hôpital.
Quand ils s'installent, les médecins et les pharmaciens vont voir leur confrère pour se présenter. Dans les territoires surtout ruraux, mais aussi dans les quartiers parisiens, le pharmacien connaît parfaitement l'ensemble des médecins généralistes qui sont autour de lui. Et inversement. La connaissance personnelle compte beaucoup. Moi, quand je reçois l'ordonnance d'un docteur ce n'est pas un nom que je lis, c'est quelqu'un que je connais très bien. Au-delà de ça, notre métier de prescrire est imbriqué avec celui du médecin. Sans ordonnances, nous avons 80% d'activité en moins [on a environ 10% de l'activité consacré à la dispensation de médicaments sans ordonnance et 10% consacré à la parapharmacie]. Nous sommes complètement dépendants de leur présence sur le territoire. Ce couple est-il aujourd'hui en danger ? Non, je ne crois pas. Je pense au contraire que les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui sortent de terre sont de nature à le renforcer. Au début de mon exercice professionnel, il y avait quelque chose d'horrible, les enseignements post-universitaire (EPU) financés par l'industrie pharmaceutique. C'était un truc limite satanique qui nous permettait de nous retrouver, médecins et pharmaciens. On faisait près de deux soirées par mois ensemble autour de thèmes, de médicaments, mais aussi autour de prises de connaissances. On se rencontrait. Depuis que l'industrie pharmaceutique n'a plus le droit d'organiser ces rencontres, elles n'ont pas été remplacées. Depuis la loi Bertrand, il n'y a pas une seule soirée que j'ai passé avec les médecins de Limoux, à part des rendez-vous amicaux pour l'anniversaire de l'un ou de l'autre. La première soirée qu'on a pu refaire, c'était pour le projet de création de la CPTS qui se fera sur deux cantons. Une partie de la mission de la CPTS, c'est justement recréer le lien entre les soignants qui n'existent plus. Les pharmaciens sont habitués à travailler en groupe au sein des officines. On a envie de ça : travailler avec des médecins, des infirmiers pour améliorer le service aux patients. On est habitué à l'exercice regroupé. Concrètement, à quoi ressemblera cette coopération avec les autres professionnels de santé ? Elle permettra, par exemple, de tenir à jour les demandes des personnes qui cherchent un médecin traitant, d'organiser en commun de la permanence des soins, des soins non programmés, d'établir des protocoles etc. Moi par exemple sur la cystite, pendant la semaine, je n'ai pas de demandes car les médecins sont ouverts. Mais le week-end, je suis le seul à être ouvert. Soit un acte de télémédecine se met en place avec quelqu'un qui me donne l'autorisation de donner de la fosfomycine, soit on me délègue cette fonction. Mais il faut bien qu'on réponde aux besoins de la population. Il faut donc s'organiser sur le territoire.
Ce sera aussi l'occasion de repenser des systèmes de formation et d'information en commun. Et, enfin, réfléchir à comment faire le lien avec l'hôpital. La désertification médicale est-elle de près ou de loin liée à la fermeture d'officines ? Non. La désertification pharmaceutique sera liée à la désertification médicale, mais pas l'inverse. Peut-être qu’un jour il y aura une désertification pharmaceutique parce qu'il n'y a plus de médecins sur le territoire, mais pas l'inverse. On est plus accroché que les médecins parce qu'on ne peut pas déplaquer du jour au lendemain. C'est impossible. Le titulaire pourra vendre, mais il y aura toujours quelqu'un pour lui succéder. Quels sont les facteurs qui peuvent expliquer cette baisse ? Le premier, c'est la régulation du prix du médicament. Les fortes baisses du prix du médicament en France ont généré des problèmes économiques pour les officines. On parle de milliards d'euros tous les ans depuis 2007. Ces baisses de prix entraînent forcément des baisses de rentabilité pour les officines. Outre la disparition des médecins, la concurrence interne joue aussi dans la baisse du nombre d'officines. La profession pousse les pharmaciens vers leur rôle d'acteurs dans les soins de premier recours, c’est-à-dire au côté du médecin, de l'infirmier. Un rôle de santé publique. Mais nous avons des confrères qui font d'autres choix : créer des PME de distribution de produits de santé par exemple. On voit ainsi éclore des énormes pharmacies de plus de 1.000 m² dans des centres commerciaux ou même en centre-ville de Paris. Ça créé une concurrence interne.
Le Sénat examine en ce moment un projet de loi qui prévoit de faciliter la vente en ligne de médicaments sans ordonnance. Pourra-t-il influer sur la baisse du nombre d'officines ? Dans le projet gouvernemental, oui. Le numérique en santé peut rapprocher ou éloigner les gens. Et le projet du Gouvernement propose un numérique qui éloigne. Il promeut l'idée qu'une plateforme centralisée quelque part dans le pays pourra arroser l'ensemble de la France de médicaments. Nous nous y opposons fermement. En l'état actuel, le projet est à revoir complètement. Je pense que c'est un avis quasi unanimement partagé. Sauf peut-être une petite dizaine d'acteurs spécialisés dans la vente en ligne. A côté de ça, il peut y avoir des formes de numérique qui permettent de marier la proximité du pharmacien avec l'information nécessaire pour le produit de santé. Je pense aux e-prescriptions, aux sites Internet des pharmaciens qui permettent parfois au patient de commander un produit de sorte que quand il se rend en officine, il n'a pas à revenir.
Le nombre d'officines est passé sous la barre symbolique des 21.000, pour s'établir à 20.966 au 1er janvier 2019. Soit une baisse de -1,1% par rapport à 2017 et de -6.7% par rapport à 2008. En dix ans, 1.504 pharmacies ont baissé le rideau, dont 226 en 2018, une année record. Cette même année, il y avait en France 32,4 officines en moyenne pour 100.000 habitants, soit 4 de moins en dix ans. Ce qui représente 3.087 habitants par pharmacie en moyenne. Les fermetures sont fréquemment volontaires (32% de cessions de clientèles, 21% de fusions) mais parfois contraintes : 39% des pharmaciens titulaires ont dû restituer leur licence faute de repreneur, 6% ont été en liquidation judiciaire. Le nombre de titulaires d'officines est également en baisse de -1.3% par rapport à 2017 et -6.9% par rapport à 2008, soit 1.926 titulaires en moins. Ceux-ci sont également plus âgés qu'auparavant. Depuis 2008, il y a eu +38.2% de pharmaciens titulaires âgés de 55 ans.
source carte : bilan démographique de l'Ordre national des pharmaciens du 1er janvier 2019
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