Egora : Beaucoup de professionnels de santé ont évoqué l’impréparation du système de santé pour faire face à une telle crise sanitaire, quels sont vos constats ?
Pascal Gendry : Affronter une crise sanitaire de cette ampleur en solitaire a été soit flippant, soit les professionnels ont été débordés, ou ont sans doute pris en charge d’une autre manière au niveau de la préparation, de l’accueil des patients... En équipe, ça n’a pas été tout à fait la même chose. Pour répondre à ce défi, il a fallu organiser ces équipes pour suivre, dépister les patients, et sortir du cadre habituel de la patientèle médecin traitant en allant vers une patientèle de l’équipe traitante. Cette épidémie était vraiment un crash test pour les professionnels structurés. Et aujourd’hui, on se rend compte qu’elles ont été capables de s’organiser, de protocoliser, de travailler en pluriprofessionnel. Elles bénéficient par ailleurs d’une structuration avec des secrétaires, une coordinatrice, un système d’information partagé. Elles peuvent organiser des suivis à distance, mettre en place de la téléconsultation, assurer une continuité des soins même quand le médecin traitant n’est pas là.
On a vu aussi beaucoup de solidarité entre les professionnels, d’envie de bien faire malgré tous les obstacles, d’adaptabilité de la part des soignants. En parallèle, si on a beaucoup parlé des dons, des masques, des petits plats préparés par des restaurateurs dans les hôpitaux, et bien cela a été pareil dans les maisons de santé. Cela veut dire que le lieu a bien été identifié comme un lieu d’offre de soins en équipe par la population.
Est-ce que finalement cette crise a permis aux patients de découvrir ou redécouvrir les maisons de santé ?
Là où les équipes se sont organisées, c’est manifeste. Combien de fois on a vu des patients avoir la trouille de venir dans nos cabinets et qui, en venant en maison de santé, se sont aperçus qu’il y avait un double circuit (un pour les patients habituels et un pour les cas suspects de Covid), ont pu constater qu’on était...
organisés, qu’on pouvait éventuellement faire des tests. La perception de la dimension d’équipe s’est traduite pour une partie de nos patients et ils en ont eu l’expérience.
Quelles leçons tirez-vous d’ores et déjà de la gestion de la crise ?
Un point sur lequel nous devons encore beaucoup travailler, c’est le lien avec l’hôpital. On est encore trop cloisonnés. Par exemple, les hôpitaux ont mis en place des outils, certes très bien, mais pas négociés avec les professionnels de santé habituels du patient. Ça ne peut pas fonctionner ainsi. De la même manière, concernant la continuité des soins entre le premier et deuxième recours, on a énormément de travail à faire pour améliorer les choses.
On parle beaucoup d’organisation territoriale, de CPTS, de la structuration nécessaire des soins primaires face à l’hôpital, mais je pense qu’en fait il faut qu’on structure de sorte que chacun ait sa place au niveau des territoires. Il faut faire en sorte que chacun n’y voit pas que la défense de son clocher. Il n’y a pas les CPTS d’un côté avec les acteurs de ville et l’hôpital de l’autre. Je pense qu’il faut qu’au sein des CPTS, l’hôpital ait sa place. Cela permettra de négocier les outils, les procédures, les modalités de suivi des patients. La communauté professionnelle territoriale de santé doit être cet espace de négociation. Pour ça, l’hôpital doit être membre et non pas un invité-partenaire.
Par exemple, si un patient fait une poussée d’insuffisance cardiaque, si l'hôpital met en place les outils numériques pour que toutes les données aillent à l’hôpital, et si ce n’est pas fait en lien avec l’équipe traitante habituelle...
du patient, cela va se terminer par une “main-mise” de l’hôpital sur le patient, avec peut-être une hospitalisation. Alors que l’infirmière, le cardiologue et le médecin traitant peuvent tout à fait agir pour prévenir une telle hospitalisation.
Nombre de professionnels se sont sentis délaissés voire abandonnés par les autorités et le Gouvernement, notamment pendant la période du confinement. L’exécutif a-t-il pêché en s’adressant en priorité à hôpital au début de la crise ?
Ce n’est pas le moment de la critique. On avait quand même un gros problème d’offre en réanimation. On peut donc comprendre que la priorité était de préserver notre système hospitalier qui pouvait permettre de prendre en charge des cas graves. Par contre, il était aussi très important de prendre en charge la partie de la population qui n’avait pas besoin d’aller à l’hôpital.
D’un autre côté, je comprends aussi l’hôpital qui n’a pour seuls interlocuteurs que des professionnels isolés. Les hôpitaux savent parler de structure à structure, ils ne savent pas le faire de structure à individu. C’est plus simple d’échanger avec une équipe, une MSP par exemple, qui va mettre en place une procédure de lien avec l’hôpital.
Pensez-vous qu’il est nécessaire d’envisager en urgence une réorganisation du système de santé, en embrayant notamment le virage ambulatoire ?
Des choses très bien ont été réalisées en urgence (comme le tiers-payant, la téléconsultation,...), mais il est aussi impératif de réfléchir ensemble. Et on ne construit pas des coopérations dans l’urgence. Il faut des négociations, il faut se connaître, il faut construire un projet commun. Ça ne se décrète pas. Il va falloir sortir de l’urgence pour construire sur des bases solides. D’ailleurs les maisons de santé qui ont le mieux résisté à la crise...
sont celles qui avaient les projets les plus matures et qui étaient les mieux organisées et les mieux structurées. Et ça, ça ne se fait pas du jour au lendemain.
Est-ce que la mise en place du futur service d'accès aux soins (SAS), annoncé en septembre dernier, pourrait être une clef de la refonte du système de soins ?
Oui, à partir du moment où il ne prend pas en compte que l’accès à un médecin traitant, mais l’accès à une équipe. Ça veut dire aussi qu’il doit connaître exactement les organisations territoriales qui sont proposées.
Des soins non programmés peuvent être pris en charge dans le cadre de protocoles d’équipe par d’autres personnes que le seul médecin traitant (pharmacien, kinésithérapeute, infirmière). Sinon, le SAS resterait dans le modèle médico-centré. On l’a vu dans le cadre du Covid dans les cas de sorties d’hospitalisation, le rôle du médecin s’est avéré important, mais le rôle du kiné ou de l’infirmière l’est.
Les autorités devront-elles donc encourager davantage ce mode d’exercice ?
Il faut donner un coup d’accélérateur politique. Il faut donner des directives dès la formation pour que les étudiants sachent que le modèle n’est plus l’exercice isolé. L’exercice en pluriprofessionnel va devenir la règle. A l'hôpital c’est déjà le cas, en ville beaucoup moins, mais il faut sortir de cela. Il va aussi falloir donner des signes forts au niveau de la rémunération, des encouragements à l’exercice pluriprofessionnel, aux coopérations interprofessionnelles. Mais en gardant toujours à l’esprit qu’on ne doit pas faire travailler ensemble des personnes qui ne le souhaitent pas. Des tas de gens ne sont pas faits pour travailler en équipe. Mais il faut accompagner les leaders...
de ces ébauches de rassemblements de professionnels. Il est nécessaire de professionnaliser cela.
Quel a été votre rôle de président d’AVECsanté depuis maintenant plus de deux mois ?
J’ai découvert Zoom comme les autres (rires). Nous avons essayé d’armer nos équipes avec les fédérations régionales pour qu’elles ne réinventent pas l’eau chaude à chaque fois. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on a établi des check-lists pour le confinement et pour le déconfinement. On s’est engagé dans un programme de recherche avec le CNGE, avec les fédérations des centres de santé, pour voir dans le temps comme réagissent les équipes en réalisant des enquêtes flash.
J’ai aussi appelé le ministère pour demander de disposer de matériel comme les autres, pour faire remonter les difficultés des équipes quand, par exemple, la moitié des professionnels ne travaillent plus parce que leur Ordre leur a dit de stopper leur activité. Cela pose des problèmes économiques à ces professionnels mais aussi à la structure. Il faut aussi peut-être travailler sur une évolution de l’ACI pour l’année 2020 pour que ces équipes puissent continuer à être rémunérées alors qu’elles ne vont pas totalement réaliser les objectifs sur lesquels elles avaient contractualisé avec l’Assurance maladie sur certains indicateurs.
Comment vous envisagez la place des maisons de santé pour le déconfinement ?
Je pense qu’il est important pour les maisons de santé de faire de la prévention, de l’éducation, de repérer les patients suspects, d’organiser le dépistage, mais aussi d’informer le grand public. J’ai pu, par exemple, échanger avec une institutrice et on se pose la question d’organiser un échange avec des professeurs pour répondre à leurs interrogations...
On va aussi avoir le sacré challenge de récupérer les deux mois de retard dans l’accès aux soins de certains patients, d’autant que tout le deuxième recours va mettre un peu de temps à être de nouveau opérationnel. L’accès au plateau technique à 100%, ce ne sera peut-être pas dès demain. Il faut qu’on se débrouille pour que ce retard soit le moins préjudiciable pour nos patients. Mais là encore, la dimension d’équipe va sans doute nous rendre service.
Après le déconfinement, quelle est la prochaine étape pour engager une refonte solide du système de santé ?
A un moment donné, il va tout de même falloir se poser et regarder ce qui a été fait pendant cette crise sanitaire. Je pense que des états généraux de la santé vont s’imposer. Il faut observer le rôle des ARS, se demander quel est le bon niveau territorial etc. Au-delà des polémiques, il faudra aussi regarder comment notre système de santé est. Il n’a quand même pas si mal résisté que cela, il a produit des choses. Oui on n’avait pas forcément toujours de masques, de matériel, mais il y a des personnes qui ont pu avoir accès aux soins malgré tout. Arrêtons aussi de pleurer. Il est temps de construire et d’améliorer les choses.
Est-ce que cette crise est encore un exemple du besoin de plus de coordination pluriprofessionnelle et de synergies entre les soignants ?
Bien sûr. J’ai eu par exemple une réunion avec tous les médecins du territoire pour harmoniser nos pratiques et notre discours vis-à-vis des patients face au contact-tracing. Dans la MSP, ce n’est pas imaginable qu’un médecin fasse comme ça et qu’un médecin fasse autrement. Plus on va être coordonnés, moins on laissera de patients passer à travers les mailles du filet. Est-ce qu’on imagine un médecin anesthésiste réanimateur prendre en charge tout seul un patient Covid ? C’est la même chose pour les soins primaires.
En septembre 2018, Emmanuel Macron déclarait que d'ici à 2022, "l'exercice isolé sera marginal, il sera l'aberration". Pensez-vous que l’objectif sera atteint ?
Non. Mais cette crise doit permettre un coup d’accélérateur pour l’évolution du système de santé.
*Anciennement appelé FFMPS (fédération des maisons de santé)
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