À l’origine, le mot hôpital, du latin hospitalia, désigne une maison d’accueil. Il n’est pas encore question de soigner, mais seulement d’offrir un toit aux nécessiteux, au nom de la charité chrétienne. Au fil des siècles, leur mission évolue. À partir du Moyen-Âge, ils servent aussi à contrôler la population dans les royaumes européens. Les mendiants, les fous, les pestiférés et les prostituées peuvent être internés de force dans les hôpitaux. Petit à petit, ces établissements vont devenir des lieux de soins : les médecins viennent au chevet des patients pour les soigner, mais aussi pour se former, et les malades sont regroupés en fonction de leurs pathologies pour faciliter le travail du corps médical et améliorer l’hygiène. C’est la naissance des hôpitaux modernes. Le XXe siècle est marqué par une croissance démographique qui accentue les besoins : entre 1896 et 1938, le nombre d’admissions est passé de 564 000 à 1 205 000. Durant l'Entre-deux-guerres, la plupart des hôpitaux français manquent cruellement de moyens. C'est le cas de ceux que compte alors la deuxième ville française et premier port de France : Marseille. En 1938, le journal local Le Petit Marseillais se fait fort de dénoncer la situation des hôpitaux marseillais, abandonnés des pouvoirs publics. Fruit d'une longue enquête, une dizaine d'articles sont publiés pendant les mois de janvier et février. "Locaux, moyens, ressources insuffisants" : tel est le constat dressé d'emblée par le journaliste, Marcel de Renzis, qui n'hésite pas à faire usage des majuscules pour en accentuer la gravité :
Chaque jour, s’affirment les effets détestables d’un état de choses devenu angoissant.
Les hôpitaux marseillais présentent une caractéristique : l’insuffisance.
SONT INSUFFISANTS, LES LOCAUX DONT ILS DISPOSENT. SONT INSUFFISANTS, LES MOYENS TECHNIQUES DONT ILS SONT MUNIS. SONT INSUFFISANTES, LES RESSOURCES BUDGETAIRES QUI LEUR SONT ATTRIBUÉES."
Pour appuyer son propos, le journaliste rapporte cette anecdote révélatrice :
On passa ainsi du rez-de-chaussée aux étages et l’on parvint à la terrasse supérieure d’où l’on a une vue incomparable sur le Vieux-Port et la colline de Notre-Dame-de-la-Garde. Le visiteur s'écria enthousiaste :
– Merveilleux, c’est tout simplement merveilleux !
Notre administrateur crut que ce qualificatif s'appliquait à l’hôpital dont il venait de faire les honneurs. Il interrogea doucement :
– En Amérique, avez-vous beaucoup d’hôpitaux qui soient mieux installés ?
Le brave homme fut foudroyé du regard par le Yankee qui répliqua sèchement :
– Yes, à Cuba !
Pour qui sait combien les Américains du Nord ont de condescendance pour les Cubains, le compliment est moins que flatteur pour les hôpitaux de Marseille."
L'enquête se poursuit ainsi par le témoignage affligeant d’un des grands professeurs de l’Hôtel-Dieu de Marseille :
Parbleu, l'Hôtel-Dieu, par exemple, construit pour trois cents lits abrite plus de huit cents malades. Le résultat est attristant. Les malades sont en surnombre dans les salles et nous n’avons pas de chambres d'isolement.
Dès qu’un malade gémit ou délire, il interdit tout repos dans la salle où il se trouve. C’est une chose navrante que des malades soient amenés à voir d’autres malades agoniser près d’eux.
Faut-il aussi dire que le service de réception n’est pas équipé comme il conviendrait. Trop de nouveaux arrivants pénètrent dans les salles avec leurs vêtements parasités.
Une autre nécessité évidente, c’est celle des lits d'hospices. Nos salles sont encombrées de malades chroniques, infirmes ou impotents qui seraient mieux dans les hospices et cela pour le plus grand profit des fonds publics.
La situation actuelle qui est affligeante trouve son origine dans un passé lointain. On a laissé faire au début et le mal a fait boule de neige."
C'est en visitant l'hôpital de la Conception que, déplore le journaliste, "l’on touche le fond de la misère" : manque de place, insuffisance de personnel et surtout, hygiène déplorable :
Là encore, un professeur témoigne de l’indigence de son service :
Certes, les malades payent désormais une partie de leur séjour à l'hôpital, qui sort donc de la logique purement caritative qui prévalait jusqu'à la fin du XIXe siècle. Mais la baisse du revenu procuré par l'État et l'insuffisance des subventions publiques affectent la situation des hôpitaux. La conclusion du journaliste est sans appel : les hôpitaux pâtissent d'insuffisances budgétaires chroniques et ne sont pas aidés comme ils devraient l'être par les pouvoirs publics.
Le remède ? Il est simple, tranche le journaliste :
C’est pendant la Seconde Guerre mondiale que seront posées les bases de l’hôpital public tel qu'on le connaît aujourd'hui. La loi du 21 décembre 1941 consacrera juridiquement l’hôpital comme un établissement "sanitaire et social" et instituera la commission consultative médicale. – Pour en savoir plus : Jean-Paul Domin, Les assurances sociales et l'ouverture des hôpitaux à l'ensemble de la population : les prémices d'une politique globale de santé publique (1914-1941), Revue française des affaires sociales, à lire sur Cairn Chronologie de la politique hospitalière française, à lire sur le site de la Vie publique
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