"Je suis devenu la pire des ordures" : un interne ostracisé pour avoir dénoncé ses semaines de 96 heures

04/10/2018 Par Un interne
Témoignage

Un temps de travail qui explose le plafond réglementaire, des tâches ingrates, une formation quasi-inexistante… En dénonçant de manière factuelle les conditions dans lesquelles se déroulent son stage aux urgences gynécologiques d'un grand hôpital, cet interne en médecine générale s'est attiré les foudres de la direction, des médecins seniors et même de certains internes. Isolé, ostracisé, presque harcelé, il témoigne de son amertume.

  "Aujourd'hui, je suis interne de médecine générale, en fin de 1ère année. J'ai choisi ces études et ce métier pour soigner des gens, apprendre la médecine, apporter du réconfort aux patients et les aider à guérir. Avec l'internat et les semaines de 96h à l'hôpital, j'ai découvert que J'AI besoin de réconfort et de soutien. Ce soutien, je l'ai auprès de mes proches qui me comprennent, me connaissent, voient mon état, voient mon humeur changer, mon visage se cerner, mon teint pâlir de semaine en semaine, mes blagues se raréfier, mon sourire perdre de sa persistance, mes pensées se perdre de plus en plus.

Ce soutien, je l'ai également de la part de quelques-uns des internes en stage avec moi, qui souffrent comme moi. Je ne l'ai pas de la part des médecins titulaires de l'hôpital, qui ont besoin de mes heures de travail pour imprimer leurs comptes-rendus opératoires, m'occuper de leurs patients, sans considération pour la qualité de ma formation, sans prendre en compte le fait que tout ce que je saurai de leur spécialité, je l'aurai appris dans leur service ; et qu'en l'absence de formation, à m'abrutir de tâches ingrates, seul devant un ordinateur du matin au soir, c'est un généraliste NUL qui revendiquera d'avoir été formé dans leur service.  

Secrétaire Bac+7

  J'ai envoyé une lettre. Factuelle, dénonçant le temps de travail abusif et illégal qui nous est demandé, mettant l'accent sur l'absence de formation prévue sur nombre de domaines clés (suivi de grossesse, contraception, accouchement...) de la médecine générale. Envoyée par email au service, à la direction, à la fac, à mon syndicat. A la faculté, ils ont immédiatement réagi en retirant tous les postes d'internes du stage en question pour l'avenir. Le service ne pourra plus compter sur notre temps de travail de secrétaire bac +7 dans quelques mois. Je suis extrêmement mal vu. La chef de service s'est entretenue furieuse avec moi 1/2h, proférant des menaces, sur ma validation de stage, sur le fait que la loi pourrait se retourner contre moi, dénigrant mes co-internes, me disant que je ne devrais "pas être médecin, mais avocat ou juriste". Les internes non-généralistes parlent dans mon dos. "A cause" de moi, ils auront deux fois plus de travail à l'avenir. Les médecins seniors, au mieux n'approuvent pas, au pire trouvent scandaleuse ma démarche et me le disent. Les médecins d'autres services trouvent scandaleuse ma démarche car "à cause" de moi l'hôpital va moins bien tourner et les médecins vont avoir plus de travail.  

"Ferme-là. Accepte l'illégalité"

  Voilà ce qui se passe à l'hôpital à l'heure actuelle. Tu dénonces tes conditions de travail de manière factuelle ? Tu es la pire des ordures. A aucun moment ils ne se posent la question : "pourquoi ce stage est fermé, dès que l'on rapporte son déroulement de manière factuelle ?". Non, parce que eux, ils ont "prêté le serment d'Hippocrate". Et puis, avant moi, ils en ont bavé, travaillé sur leur repos de sécurité, et eu des stages pourris... Donc, le message qui m'est envoyé à longueur de journée et par l'ensemble des gens qui subissent, de près ou de loin, la décision de mes chefs de formation, indépendante de ma volonté, c'est : "Ferme la. Accepte l'illégalité. Accepte de ne pas être formé. Accepte de devenir un médecin nul et incompétent. Parce que ça a toujours été comme ça et qu'on a plus souffert que toi, tu n'as pas à te plaindre." Pour l'instant je tiens encore. Mais il va falloir un jour que j'aille consulter mon médecin traitant, et que je me préserve, parce que si même les médecins censés me former n'écoutent pas ma souffrance, ne se préoccupent pas de ma santé, et me harcèlent au quotidien pour me reprocher de vouloir une formation digne, qui va le faire... ? J'ai une certaine amertume quand on parle de la dignité des patients, de déontologie et de confraternité, quand les jeunes médecins en devenir, qui se plient en quatre pour faire tourner de toutes leurs forces des hôpitaux à l'agonie, ne peuvent même pas compter sur leurs seniors, et sont traités comme des moins que rien ingrats...

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Stéphanie Beaujouan

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