7 chefs de service menacent de porter plainte contre l'ARS : "Les équipes sont épuisées"

27/03/2018 Par Fanny Napolier

Ils ont le sentiment d'avoir été trompés. Ils ont fait les économies demandées et voilà qu'on fait encore des coupes au lieu d'investir. Sept chefs de service et un collectif de soignants des Hôpitaux de Strasbourg menacent de porter plainte contre le directeur de l'ARS Grand-Est pour mise en danger de la vie d'autrui et maltraitance des équipes. Pour le Pr Jean-Philippe Mazzucotelli, chirurgien cardiaque et chef de service, la situation n'est plus tenable.

      Egora.fr : Vous avez manifesté ce lundi devant l'ARS, vous menacez de porter plainte… Que dénoncez-vous ? Pr Jean-Philippe Mazzucotelli : Nous avons créé un collectif de défense, constitué par 7 chefs de service, en juin 2016. Nous nous sommes rendu compte que l'administration s'apprêtait à mettre en place un plan de retour à l'équilibre sans concertation, sans écouter ni répondre à nos interrogations. On a compris qu'il y avait danger et nous avons créé ce collectif. Depuis deux ans nous essayons de maintenir un niveau de qualité des soins tout en réalisant des économies. On a réduit de 30% nos consommations d'actes de radiologie, de biologie. On a réduit nos durées moyennes de séjour. Je pense qu'on a fait le travail demandé.

Sauf que la direction ne s'arrête pas là et prend des décisions de réduction de personnel, de lits, qui sont complètement délétères sur la prise en charge des malades et la qualité des soins. Nous avons eu plusieurs réunions avec le directeur des hôpitaux de Strasbourg, et il y a trois semaines, avec le directeur de l'ARS. Il ne se passe rien. On veut bien écouter nos difficultés, on veut bien admettre qu'il y en a, mais ça ne change rien du tout. Mais rien. Lors de la dernière réunion avec le directeur de l'ARS, on a posé un ultimatum. Si rien n'était fait dans les quinze jours, on irait porter dans la rue les difficultés de l'hôpital public. Si ça ne suffisait pas, on lui a dit qu'on était prêts à déposer une plainte, et à mener d'autres actions. Ce lundi, nous avons manifesté. Nous étions 150, 200. L'ARS nous a demandé un entretien, alors que nous avions bien expliqué au directeur que nous n'étions plus dans la négociation mais dans les propositions objectives sur l'amélioration de nos conditions de travail. Nous avons quand même accepté la réunion. Il ne s'est évidemment rien passé. Les personnes présentes n'étant pas les décideurs, ils n'avaient aucune proposition décente à nous faire. On en est donc toujours au même point. Le combat continue.   De quelle manière entendez-vous continuer le "combat" ? Si dans le courant de la semaine prochaine, nous n'avons aucune information de la part du directeur de l'ARS, nous déposerons une plainte au tribunal pour mise en danger de la vie d'autrui et maltraitance des équipes soignantes, contre l'ARS et son directeur.

Nous pourrons mener d'autres actions au sein de l'hôpital. Nous pouvons bloquer l'aspect administratif de l'hôpital. Nous avons beaucoup de tâches administratives à faire, surtout nous, les chefs de service. Nous allons cesser de les faire. Par exemple, on ne codera plus les actes et l'hôpital ne sera plus remboursé par l'Assurance maladie.   Quel est le signal que vous attendez de la part de l'ARS ? C'est un coup de téléphone disant : "On vous a entendu, on va arrêter le plan de retour à l'équilibre et on va réinvestir dans le matériel et le personnel. On vous donne 10 millions d'euros pour ça". Ce serait une proposition honnête. C'est la somme nécessaire compte tenu du retard que nous avons accumulé, du nombre de fermetures de lits et du nombre de personnes à embaucher. C'est un minimum. Il manque du personnel dans tous les services. Il manque des infirmières, des aides-soignantes, des kinés… Il faudrait plus d'une centaine de recrutements, toutes catégories professionnelles confondues. Mais ce n'est qu'une estimation. Il faut évaluer l'activité des services, les déficits…   Que s'est-il passé pour que vous passiez à l'action maintenant ? Y a-t-il eu un élément déclencheur ? Il ne se passe plus un jour sans qu'on soit à la recherche d'une infirmière ou d'une aide-soignante parce que l'une est tombée malade, on a du courrier qui s'accumule faute de secrétaires, on a un kinésithérapeute pour deux ou trois étages, et ils ne peuvent pas s'occuper de tout le monde… Et tout est comme ça. Aujourd'hui, la situation est en train de dégénérer. Les équipes arrivent à tenir en termes de qualité des soins, mais on est à la limite. Les équipes sont épuisées. La situation continue de s'aggraver. On rappelle des gens de leurs congés annuels ou hebdomadaires pour venir combler des trous dans les services. Et il y a des gens qui sont en difficulté au quotidien, toute l'année. Dans les laboratoires de biologie, ils ont des problèmes de matériel, de techniciens. Dans le pôle de radiologie, il manque des manipulateurs pour faire les radios. Ce sont des activités transversales qui nécessitent beaucoup de personnels. Aujourd'hui, tous ces services sont en grande difficulté.   Quels sont les risques ? La situation sera bientôt catastrophique. Quand les équipes ne seront plus en mesure de répondre aux manques, on sera obligés de fermer des services entiers. Et pour la population, ça va poser d'énormes problèmes. On ne peut pas continuer comme ça. C'est fini. Les professionnels sont appliqués dans leur travail et aujourd'hui, ils ont fait le maximum. Vous ne pouvez pas demander l'impossible à des gens qui ont déjà beaucoup donné. Surtout que nous avons rempli notre part du marché. Nous avons fait les économies demandées. Mais aujourd'hui c'est fini. Il faut investir. Il faut investir dans la structure pour la sauvegarder. Ce n'est pas possible autrement. Si on nous disait qu'il n'y a pas d'argent, je pourrais le comprendre, mais ce n'est pas vrai. L'ARS a donné 20 millions à la clinique Rhéna, elle s'apprête à donner encore quelques millions à la clinique de l'Orangerie… C'est inacceptable. Le directeur de l'ARS considère qu'il faut une répartition de l'offre de soins équilibrée… Mais donner de l'argent aux cliniques, ce n'est pas se préoccuper de la situation sanitaire de la région, c'est s'impliquer dans la gestion financière des cliniques privées. Ça n'a rien à voir et ce n'est pas le rôle de l'ARS de se préoccuper de la santé financière des cliniques. Surtout quand on sait qu'elles sont gérées en arrière-plan par des fonds de pension, pour lesquelles la rentabilité doit être maximale et pour laquelle on réduit au maximum le personnel. S'il y a un modèle à ne pas suivre, sur le plan de la moralité et de l'éthique, c'est bien les cliniques privées. On est dans un monde de fous.   Quel est votre état d'esprit aujourd'hui ? Ça suffit. Nous sommes des professionnels qui avons travaillé dur, mais aujourd'hui nous avons une responsabilité vis-à-vis de la population. Nous sommes le garant de la qualité des soins qui doit être donnée. Et on ne supporte plus d'être gouvernés par des gens qui ne tiennent pas compte de nos avis. Nous sommes sur le terrain, nous sommes des spécialistes et le directeur de l'ARS ne nous consulte pas. Il prend ses décisions tout seul dans son coin, sur des chiffres. Il ne travaille que sur des chiffres. Sauf que ce qu'ils n'ont pas compris, c'est qu'on ne fabrique pas des objets. On travaille avec des hommes et on soigne des hommes. Il faut que dans les hôpitaux, il y ait une gouvernance équilibrée entre l'administration et les médecins. C'est la seule solution pour que ça puisse fonctionner.

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