"Casser la descente aux enfers" : médecins et internes en grève pour sauver l'hôpital
Il fallait vraiment que les médecins hospitaliers soient à bout pour prendre part à la grande grève unitaire de tous les syndicats de la fonction publique, ce mardi. Anesthésistes, pédiatres, urgentistes, gynécologues et même internes affichent leur soutien au mouvement. Ils dénoncent les dérives du management à l'hôpital public, et la souffrance toujours plus grande de ceux qui y travaillent.
"Ça fait des années que les gens qui travaillent à l'hôpital public n'en peuvent plus. De temps en temps, ils se plantent une seringue ou se jettent du 5ème étage." Comme de nombreux médecins, le Dr Max-André Doppia, anesthésiste au CHU de Caen, et président du syndicat Avenir Hospitalier, est en colère. Et l'exaspération est si forte, et si partagée, que les praticiens hospitaliers ont rejoint l'appel à la grève, ce mardi, dans toute la fonction publique. Un préavis a été adressé au ministère, valable pour l'ensemble des médecins, pharmaciens et odontologistes à partir de mardi 8 heures, pour une durée de 24 heures.
"Les PUPH se joignent au mouvement... On n'a pas vu ça depuis 20 ans"
"Le fait que les PUPH se joignent au mouvement est un signal suffisamment fort pour être remarqué. On n'a pas vu ça depuis 20 ans", assure le Dr Doppia, qui se félicite aussi que l'InterSyndicat national des internes (Isni) ait apporté son soutien au mouvement. "Ce n'est pas quelque chose d'habituel pour l'Isni, mais ce soutien me paraissait indispensable", confie Olivier Le Pennetier, son président. "Futurs praticiens, nous sommes inquiets. L'efficience a fait surface, et il nous est demandé de faire toujours plus de chiffre. On veut casser cette descente aux enfers", assure Olivier Le Pennetier. "Le management est à côté de la plaque. L'objectif est-il de casser l'hôpital public ? On peut le penser", abonde le Dr Max-André Doppia. Si les médecins qui ont rejoint le mouvement se refusent à faire porter le chapeau de la dégradation des conditions de travail à l'hôpital à un gouvernement particulier, ils sont d'accord pour incriminer la loi Bachelot qui, en 2009, a révolutionné la gouvernance à l'hôpital. "Plutôt que de parler d'organisation des soins, on ne parle plus que d'économies. Avant l'été, la Commission médicale d'établissement de l'hôpital où je travaille a reçu des membres de l'Assurance maladie. Ils sont venus nous expliquer... qu'il fallait prescrire moins de transports en ambulance", glisse le Dr Christophe Prudhomme, urgentiste en Seine-Saint-Denis, et porte-parole de l'Association des médecins urgentistes de France (Amuf), qui soutient l'appel à la grève. "Les gouvernements passent mais le discours est le même. On est dans une logique libérale qui vise à réduire l'hôpital à sa plus simple expression : soigner les pauvres pour qu'ils ne crèvent pas dans la rue", fulmine l'urgentiste. Le mois dernier, plusieurs syndicats et collectifs de médecins ont remis une lettre ouverte à Agnès Buzyn. "Nous vivons un management destructeur et contre-productif qui met à mal tous les personnels, y compris les médecins hospitaliers. (…) Il est impératif et urgent que la politique hospitalière redonne un pouvoir de décision aux praticiens de terrain qui soignent les patients", s'alarment les auteurs du courrier, qui a déjà été signé par plus de 600 médecins hospitaliers.
"90% des causes de la souffrance déclarée ont pour point commun des conflits avec la hiérarchie"
La semaine dernière, la diffusion sur Arte du documentaire "Dans le ventre de l'hôpital", qui montre le quotidien d'un bloc en burn out, a trouvé un large écho auprès des soignants. "Il y a un malaise profond, mais on fait face à un vrai déni de la part des institutions, pointe le Dr Doppia au sujet de la réaction de l'AP-HP à la suite de la diffusion de ce film. "On se plaint pour rien ? Le déni est insultant." Depuis 2009, un observatoire de la souffrance au travail des praticiens hospitaliers a été mis en place par le Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes réanimateurs élargi (SNPHAR-E). Dans son dernier numéro, la revue d'Avenir Hospitalier en tire un premier bilan, basé sur les 200 déclarations enregistrées depuis janvier 2010. "Toutes les spécialités sont concernées. Les termes déclarés qui illustrent le plus fréquemment les déclarations sont mépris, dévalorisation, déconsidération, placard et isolement. Le harcèlement est déclaré dans 67% des cas. On note un recours aux antidépresseurs dans 18% des cas. Deux tentatives de suicides ont été signalées par deux déclarants, tandis que 19% d'entre eux ont eu des idées suicidaires." Sur les causes de souffrance les plus souvent exprimées, l'Observatoire relève que "la surcharge de travail est fréquente mais pas systématique, la surcharge émotionnelle, la désorganisation du service, le dialogue impossible avec la hiérarchie, la direction et une absence de reconnaissance des investissements consentis sont les causes les plus souvent avancées (…) 90% des causes de la souffrance déclarée ont pour point commun des conflits avec la hiérarchie, médicale ou administrative."
"Nous retenir un jour de salaire quand on s'arrête, c'est dégueulasse"
A ce climat délétère, s'ajoutent plusieurs réformes émanant du gouvernement Macron, qui poussent ce mardi les médecins hospitaliers à soutenir la grève. Au premier rang desquelles le rétablissement du jour du carence. "Les médecins ne s'arrêtent déjà pas assez, enrage le Dr Doppia. Quand ils s'arrêtent c'est parce qu'ils ont fait un infarctus, un cancer ou qu'ils se sont cassé une jambe. Alors nous retenir un jour de salaire quand on s'arrête, c'est dégueulasse. C'est un vrai signe de mépris". Parmi les points dénoncés par les praticiens hospitaliers, on trouve aussi le gel du point d'indice, la non-cotisation en points retraite sur les jours accumulés dans le compte épargne temps, et l'augmentation non compensée de la CSG. "Je vous rappelle que les PH ne sont pas fonctionnaires mais "agents nommés à titre permanent, non titulaires de l'Etat", donc si un espace n'est pas crée pour parler de cette question, nous sommes exclus de toute disposition compensatrice concertée, ce qui n'est pas normal", souligne le président d'Avenir Hospitalier, qui ne cesse d'interroger le ministère à ce sujet afin d'envisager des pistes de compensation. "A l'heure actuelle, nous n'avons pas de date de rendez-vous, pas de piste, rien !", déplore-t-il. Le président d'Avenir Hospitalier n'oublie pas le problème du travail intérimaire. "J'attends que l'on déclare l'intérim cancer généralisé de l'hôpital, martèle le médecin. Il faut qu'on arrête de verser 700 euros par jour à des gens qui ne s'investissent pas. L'hôpital est devenu une entreprise de mercenariat. Il faut résister et rendre l'hôpital plus attractif. Il est indispensable de redonner du souffle à l'hôpital public."
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