Ils ont fermé la maternité, la chirurgie, et maintenant les urgences de nuit… La lente agonie d'un terroir

21/03/2018 Par Aveline Marques
Démographie médicale

Morceau par morceau, les petits hôpitaux de Bourgogne font les frais des réorganisations territoriales. N'enregistrant qu'une trentaine de passages par jour quand ceux des grands centres sont débordés, ces petits services d'urgence sont priés d'"adapter" leurs horaires et leurs effectifs. Pour les élus locaux, le manque d'urgentistes n'est qu'un "affreux prétexte" pour ne pas prendre le problème de la désertification médicale à bras le corps. Se sentant abandonnés par l'Etat, 70 maires, adjoints et conseillers de la Nièvre viennent de démissionner.   Un à un, ils sont venus déposer leur écharpe tricolore devant le buste de Marianne. Le 22 février dernier, dans un baroud d'honneur pour "la République en milieu rural", 70 élus locaux de la Nièvre (maires, adjoints, conseillers départementaux…) ont remis leur démission au préfet. "Face à un détricotage brutal de ses services publics, la résilience de la Nièvre a aujourd'hui atteint ses limites", annonce le maire de Varzy, Gilles Noël, dans une lettre ouverte au Premier ministre. Le coup de grâce ? Le projet de fermeture des urgences de nuit de l'hôpital périphérique de Clamecy, 3.800 habitants, trois ans après la fermeture de la maternité et de la chirurgie. En cas d'urgences survenant entre minuit et 8 heures du matin, les habitants des communes alentours devront se rendre jusqu'à Auxerre, à 1 heure de route.  

30 passages par jour, dont 5 à 6 la nuit

  Le SAU de Clamecy n'est pas le seul dans le collimateur de l'ARS Bourgogne-Franche Comté. Les urgences de nuit de Decize (Nièvre), Tonnerre (Yonne), Chatillon-sur-Seine (Côte-d'Or), et Gray (Haute-Saône) pourraient également faire les frais du projet régional de santé 2018-2022, qui vise à "adapter" les horaires d'ouverture et les effectifs sur ces sites de faibles activités. "Ces services enregistrent en moyenne moins de 30 passages par jour, dont 5 à 6 la nuit et 2 entre minuit et 8 heures du matin", détaille le Dr Anne Lecoq, conseillère médicale à la direction de l'offre de soins de l'ARS. Trop peu pour justifier la présence 24h/24 de deux urgentistes, estime l'ARS. D'autant que les urgentistes se font rares dans la région : "Il manque au minimum 150 urgentistes, voire près de 200 si on applique strictement la législation", insiste Anne Lecoq. Paradoxalement, ce ne sont pas dans ces services périphériques que la pénurie de médecins urgentistes se fait le plus ressentir -à l'exception de Clamecy qui ne compte que 2 des 11 urgentistes requis-, mais dans les grands centres hospitaliers. "Il y a un problème de répartition dans toute la région, développe Anne Lecoq. Les professionnels préfèrent travailler dans ces sites à faible activité qui leur permettent de se reposer la nuit et faire de l'intérim ailleurs." Là où nécessité fait loi. "Aujourd'hui, nous avons des médecins mercenaires qui viennent se faire payer 3.000 euros la journée dans des hôpitaux exsangues pour faire tourner un bloc opératoire, pour faire tourner des urgences, a dénoncé Agnès Buzyn lors de sa venue dans la Nièvre le 1er mars. Certains sont bons, d'autres sont moins bons. Ce que je dois aux Français, c'est la même qualité des soins."

 

"Les mercenaires font la loi"

  L'ARS confirme le chiffre avancé par la ministre (particulièrement lors des gardes de fêtes fin d'année), même si les établissements hospitaliers restent "assez discrets sur la manière dont ils paient les intérimaires". Pour assurer la permanence des soins, les directeurs "sont prêts à tout dans ce contexte de ressources rares", commente la conseillère médicale. "Les mercenaires font la loi. Et le décret encadrant l'intérim est très difficile à appliquer." La pénurie médicale pose un double problème de sécurité. Les gros centres n'ont pas les effectifs suffisants pour faire face à l'afflux de patients, tandis que dans les SAU des hôpitaux périphériques, où il n'y a pas de plateau technique, les urgentistes "perdent leurs compétences, sont rarement confrontés à des urgences vitales et n'ont pas le background des spécialistes et des réanimateurs", pointe Anne Lecoq. D'où l'idée de constituer des équipes de territoires : les urgentistes des petits centres pourraient aller se faire la main "de temps en temps" dans les sites de référence, soulageant leurs collègues sur place. Un seul urgentiste resterait alors en poste 24h/24 dans les hôpitaux périphériques : celui du Smur, qui ne sort en moyenne qu'une fois tous les trois jours, fait valoir l'ARS. "On privilégie l'accès aux urgentistes pour les urgences vitales", insiste la conseillère de l'ARS, qui précise que "chaque site fait l'objet d'une étude". La décision est attendue en juin. "Dans ces zones rurales, il y a un problème de ressources médicales de médecine générale. A Clamecy et Tonnerre, la permanence des soins n'est plus assurée à minuit, voire 20 heures. On sait bien que ces sites répondent à un besoin d'accès à des soins non programmés, c'est pourquoi on ne souhaite pas les fermer mais adapter les horaires ou les effectifs. C'est le smuriste qui accueillerait les patients envoyés par la régulation."  

Le manque d'urgentistes n'est qu'un "affreux prétexte"

  Mais pour Alain Lassus, président du Conseil départemental de la Nièvre et ancien médecin généraliste à Decize, la présence d'un urgentiste au SAU est indispensable : "Quand le médecin du Smur s'en va, c'est le seul médecin qui assure la permanence médicale dans tout l'établissement. A Clamecy, il y a 200 lits et des services de surveillance intensive, souligne-t-il. Si on l'enlève, ça veut dire qu'on accepte l'idée que pendant un certain temps il n'y ait plus d'accueil des urgences sur un territoire, ni de médecin dans l'établissement." L'élu local soulève un autre problème : qui transportera les patients jusqu'à Auxerre en pleine nuit ? Car qui dit temps de trajet rallongé dit ambulanciers débordés et pompiers volontaires "épuisés et découragés". Pour le président de la Nièvre, le manque d'urgentistes n'est en fait qu'un "affreux prétexte" pour "fermer les hôpitaux de proximité". "On nous dit 'il n'y pas assez de personnel médical par rapport à ce qui est prévu dans les textes, donc on ferme'", dénonce-t-il. Le 1er mars, lors des Etats généraux de la Nièvre, l'élu local a avancé ses propositions pour redonner vie à son département, dont la "situation sanitaire est extrêmement dégradée" : "On y meurt deux ans plus tôt, il y a plus de cancers, plus de suicides, plus d'alcoolisme, un taux de pauvreté supérieur, un nombre de bénéficiaires de l'AAH plus important, souligne-t-il. Et la situation va encore se dégrader puisque le nombre de médecins va diminuer de 26% à l'horizon 2025." Pour inverser la tendance, Alain Lassus mise sur les étudiants en médecine. Alors que 60% des carabins bourguignons sont actuellement captés par le CHU de Dijon, l'élu propose de les répartir sur l'ensemble des hôpitaux de la région afin de "les relier de nouveau aux territoires". Dans les centres périphériques, les internes, sous la direction du smuriste, seraient à même d'assurer l'astreinte de nuit quand ce dernier sort. "Moi j'ai fait ma post formation à Nevers, comme la moitié des médecins de plus de 45 ans installés dans le département. J'y suis resté 2 ans et demi, j'y ai fait des remplacements et je me suis installé là où j'ai fait des remplacements. On est dans un système où on a complètement hospitalo-centré les internes, déplore-t-il. Pas besoin d'avoir un patron universitaire pour apprendre la médecine générale."

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