Essais cliniques industriels : pourquoi la France recule ?

18/06/2018 Par Marielle Ammouche
Médicaments

L’Académie nationale de médecine s’alarme du recul de la France concernant les essais cliniques, et en particulier ceux à liés à l’industrie pharmaceutique. Dans ce domaine, en effet, la France est passée, en 10 ans, de la première à la sixième place au niveau européen.

 

Les essais à promotion industrielle ont diminué de 16 %, entre 2012 et 2016, et ne représentant plus que 26 % des études interventionnelles contre 45 % en 2014 dans la base de données clinicaltrial.gov, qui répertorie l’ensemble des essais (académiques et industriels). De même, la France n'a participé qu'à 20 % des protocoles réalisés en Europe en 2016 contre 27 % en 2012 et 48 % en 2008. Cette diminution touche principalement les phases précoces des études ; et l’ensemble des disciplines sont concernées sauf l'hématologie, l'oncologie et l'immunologie, qui font figures d’exception. "Ce recul est préoccupant car, selon l'EU Clinical Trial Register, la France est actuellement à la 6ème place en nombre total d'essais cliniques pour les phases I, 7ème place pour les phases II et III, très loin derrière l'Allemagne, le Royaume Uni et l'Espagne, mais aussi derrière la Belgique, les Pays Bas et l'Italie (sauf pour les phases I pour cette dernière)", souligne l’Académie nationale de médecine dans un rapport qu’elle vient de publier sur ce sujet. Les académiciens ont identifié quatre grandes raisons pouvant expliquer cette évolution : un recul de l’offre de médicaments français ; des lourdeurs administratives ; des capacités réduites d’inclusion dans les délais impartis ; et une certaine démotivation des investigateurs. Ainsi, "les nouvelles molécules ont tendance à être étudiées en premier lieu dans le pays siège de l’entreprise, du moins en ce qui concerne les phases précoces" rappelle Yvon Lebranchu, rapporteur de ce texte. Or, on assiste actuellement à un recul de l’industrie pharmaceutique française, qui entraine de facto une diminution de l’offre de médicaments. La France, premier producteur de médicaments en Europe jusqu’en 2008, a ainsi reculé en 2016 à la 4ème place, loin derrière la Suisse, l'Allemagne et l'Italie, talonnée de très près par l'Irlande. Pour les académiciens, "l'industrie pharmaceutique […] n'a pas su prendre le virage des biotechnologies ce qui explique sa place réduite dans la production des nouveaux médicaments qui sont souvent des biomédicaments". A cela, s’ajoute la difficulté des entreprises de biotechnologie qui, bien que nombreuses en France, ont du mal à atteindre une taille critique et à mettre de nouveaux médicaments sur le marché. De même, les entreprises de dispositifs médicaux (Medtechs) restent généralement trop petites pour être compétitives  

Des avis trop longs sur les protocoles

  Autre point noir : les lourdeurs administratives, et en particulier les retards de réponses des deux organismes donnant leurs avis sur les procédures d’essais cliniques, à savoir : l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm) et le Comité de protection des personnes (CPP). Ainsi, en ce qui concerne le CPP, la médiane entre la soumission d'une étude et la réunion du CPP est de 40 jours, et celle entre la soumission et l'approbation de 93,5 jours. Pour l’Ansm, l’approbation est obtenue dans un délai médian de 72 jours. Ces durées sont bien supérieures aux 60 jours, préconisés par la réglementation européenne comme délai maximum. Pour les académiciens, le coût du travail en France pourrait aussi représenter un frein au développement d’essais cliniques dans notre pays. Par ailleurs, la capacité d’inclusion des patients dans un essai est faible en France (33 patients inclus par protocole contre 49 en Allemagne). "La France apparait mal perçue pour la vitesse de recrutement et la cohérence avec les objectifs de recrutement", affirme le Pr Lebranchu dans son rapport. "Or, un moins grand nombre d'inclusions se traduira par une moins bonne place des investigateurs français sur la ou les publications et la difficulté de faire émerger des "leaders" français qui présenteront les travaux dans les sociétés internationales ou américaines. Ce moindre leadership de la France et des investigateurs français conduit à des réactions en chaine en réduisant la place des français dans les "steering committees" diminuant ainsi la chance de la France d’attirer sur son territoire de nouveaux essais cliniques", poursuit-il. Le manque d’organisation en réseau, et le sous-développement des liens entre recherche fondamentale et clinique, participent à ces difficultés de recrutement. Enfin, les académiciens soulignent une "démotivation des investigateurs", liée à la perte, depuis un décret de novembre 2016, de certains bénéfices qui pouvaient être attribués aux services en cas d’essais à visée commerciale, et au manque de reconnaissance par les institutions de leur participation aux essais (simples remerciements à la fin de l’article, pas de prise en compte dans l’avancement, …). "Les déficits actuels des hôpitaux et la structuration en pôles font que les services ne bénéficient pas des fruits de leur travail en recherche clinique", ajoutent les académiciens.   Dix propositions pour redynamiser la France   En conséquence, les auteurs du rapport formulent dix propositions concrètes pour "permettre à la France de retrouver son attractivité dans un domaine capital de l’innovation médicale pour le bien des patients". Il s’agit, en particulier, de développer une politique volontariste en faveur des Biotechs et des Medtechs (fléchage de financements, réforme du forfait innovation, …) ; et d’inciter l’industrie pharmaceutique à nouer des partenariats avec les structures académiques favorisant les interactions, les transferts public/privé et la circulation des hommes. Pour améliorer les délais, le rapport propose de tenir compte des expertises pour le choix des membres des CPP (et pas uniquement d’un tirage au sort) afin de permettre une évaluation plus adaptée du projet et de réduire le délai de réponse ; de fixer un délai maximum de non réponse à 45 jours ; et de dynamiser le fonctionnement de l’Ansm en renforçant ses compétences afin qu’elle réduise aussi son temps de réponse et qu’elle atteigne une dimension concurrentielle au niveau européen. Pour faciliter le recrutement des patients, les auteurs souhaitent faciliter sur le plan financier, administratif et règlementaire le développement de Réseaux permettant l’inclusion rapide de patients dans des essais cliniques ; et mettre en place des plateformes translationnelles biomédicales. Enfin, les académiciens proposent de valoriser le rôle des investigateurs en amplifiant, dans le cadre de l’Université, la formation aux bonnes pratiques cliniques et à la recherche clinique de l’ensemble des acteurs ; en créant dans chaque CHU une structure tierce labellisée afin de gérer les contreparties destinées aux investigateurs dans le cadre de la convention unique ; et en valorisant les services et les structures "fournisseurs" d’essais cliniques.

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