"On ne peut compter que sur nous-mêmes pour améliorer l’accès aux soins" 

05/03/2022
À deux mois de l’élection présidentielle, les candidats de tous bords politiques enchaînent les propositions coercitives pour lutter contre les déserts médicaux. Attention à ne pas se tromper d'objectif, prévient le Dr Luc Duquesnel, président Les Généralistes-CSMF. Pour garantir un accès aux soins de qualité malgré le déficit de professionnels de santé, il appelle urgemment à mettre l’accent sur la réorganisation des soins primaires. 
 

Egora.fr : Valérie Pécresse, Marine Le Pen, Anne Hidalgo, Fabien Roussel… face au manque de médecins dans les territoires, les candidats à la présidentielle se positionnent de plus en plus en faveur de mesures coercitives ou contraignantes. Que cela vous inspire-t-il ? 

Dr Luc Duquesnel : Un sentiment de frustration et d’incompréhension. Quand on écoute ces candidats, même s’il y a quelques propositions nouvelles qui n'ont jamais été trop au cœur des programmes jusque-là, comme la quatrième année d’internat de médecine générale par exemple, toutes les mesures proposées sont globalement coercitives. Les propositions des candidats sont les mêmes depuis dix ans. Il n’y a rien d’innovant. Ils sont simplement dans une gestion arithmétique du nombre de médecins généralistes, dans une période où la Drees* montre que, jusqu’à 2030 au moins, leur nombre va diminuer. Je parle bien ici du nombre purement arithmétique, en sachant que cela veut dire que la raréfaction de l’offre de soins dans cette spécialité va être majorée après 2030, puisqu’il faut aussi prendre en compte les besoins de santé qui augmentent avec une augmentation et un vieillissement de la population. De plus, il faut aussi bien avoir à l’esprit que les médecins généralistes, quel que soit leur âge, travaillent moins que ceux d’il y a 20 ans. 

 

Quelles devraient être les priorités pour garantir une bonne prise en charge des patients malgré le sous-effectif médical ? 

Idéalement, la porte de sortie pour améliorer l’accès aux soins, c’est purement une réorganisation des soins primaires. J’entends par là une réorganisation de tous les professionnels de santé au sens large : infirmières, pharmaciens, kinés, etc… C’est en fait ce que l’on vit sur le terrain, dans le cadre des Maisons de Santé Pluriprofessionnelles (MSP) ou des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS). Au niveau national, je ne vois malheureusement rien qui permette d’aller dans ce sens. On le voit d’ailleurs dans les négociations sur les Équipes de soins primaires (ESP) qui se déroulent en ce moment, dont l’objectif devrait être d’accentuer la coordination pour, non seulement mieux répondre aux demandes de soins, mais aussi améliorer les parcours. Or, il n’en n’est rien car l’Assurance Maladie, par manque d’ambition, ne propose qu’un modèle trop restrictif. Pour avoir des parcours de qualité, il faut travailler avec les autres professionnels de santé. Quelles peuvent donc être les solutions ? Certaines ont émergé au cours des négociations mono-professionnelles ou pluri-professionnelles : assistant médical, infirmière de pratique avancée. Aujourd’hui, on a la nécessité de développer une ingénierie de terrain. Il faut aider les professionnels sur le terrain à les mettre en place car ce n’est pas à l'Assurance Maladie de le faire ni aux ARS. Les médecins généralistes ne leur font de toute façon pas confiance pour cela. 

 

D’autant que des initiatives de terrain, initiées par des professionnels de santé, ont déjà fait leurs preuves… 

Oui. Je constate que sur le terrain, grâce - entre autres - aux Unions régionales des professionnels de santé (URPS), des organisations se sont mises en place pour accompagner les professionnels de premier recours dans les réorganisations que j’évoquais. Dans les Pays de la Loire par exemple, une inter-URPS a créé une association pour la création d’équipes de soins primaires. Ou alors, une URML médecins** a décidé de créer un groupement d’employeurs pour salarier les assistants médicaux et développe un chargé de mission ayant vocation à accompagner les généralistes dans les départements pour mettre en place le Service d’accès aux soins (SAS). L’urgence est là : il faut se réorganiser, la solution n’est pas uniquement dans le numerus clausus et certainement pas dans la coercition. 

 

Peut-on vraiment éviter la coercition ? 

La coercition pourrait fonctionner uniquement s’il y avait un nombre de généralistes important à disposition des Français. Ce n’est pas le cas. Rappelons qu’avec un diplôme de médecine générale, il est possible de faire plein de choses autres que de la médecine ambulatoire. Si on impose une contrainte aux nouveaux médecins, ils iront faire autre chose. 

 

Les politiques se trompent-ils dans leurs priorités pour améliorer l’accès aux soins ? 

Très clairement, et ce n’est pas nouveau. Je suis d’un département où des parlementaires, dont le député Guillaume Garot (PS), déposent chaque année des textes contraignants. Je trouve quelque part qu’on est un peu dans le populisme dans la façon dont on aborde les échanges ou les messages vers la population dans la problématique d’accès aux soins. Cela semble être une lapalissade de dire que les médecins vont être envoyés dans les territoires ruraux. Aujourd’hui, il y a en effet une inégalité de répartition des médecins. Pour autant, il n’y a aucune..

zone sur-dotée en France. Même dans les villes avec des densités plus importantes, on s'aperçoit qu’en fait, bon nombre de médecins étiquetés comme généralistes ne sont pas des médecins traitants. C’est important de le dire : il n'existe pas de liste du nombre de généralistes qui sont médecins traitants. Donc, toucher à l’installation dans les villes dites à tort sur-dotées risque d’avoir des conséquences négatives sur la qualité des soins. 

 

Avez-vous le sentiment d’être entendu ?  

Quand on rencontre les candidats et les politiques, on se rend compte que rien ne change. Guillaume Garot, par exemple, nous a écouté mais n’a pas changé la moindre virgule à son texte de loi qui prévoyait une orientation prioritaire des jeunes médecins vers les zones sous-dotées. Globalement, le discours des politiques dans le cadre de la campagne n’est pas adressé aux professionnels de santé mais à la population française. Pour eux, c’est bien plus facile de dire qu’on va empêcher des médecins de s’installer dans les grandes villes. Or, je rappelle que, depuis 15 ans, tous les ministres que l’on a eus, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont expliqué que ces mesures étaient contre-productives. On est vraiment dans le populisme. 

 

Vous regrettez l’orientation que prend cette campagne présidentielle ? 

Globalement, on est déçus parce qu’on ne peut pas compter sur ces politiques et la politique qu’ils mènent pour faire avancer les choses. On ne peut compter que sur nous-mêmes pour nous organiser sur nos territoires, avec les autres professionnels de santé et l’aide de nos URPS. Un autre exemple caricatural : le service d’accès aux soins. Dans beaucoup de départements, il n’existe pas de problème le soir après 20 heures ou le week-end car des organisations de permanence des soins fonctionnent très bien grâce à des médecins généralistes. Malheureusement, le positionnement du Ministère et de l’Assurance maladie, suite à l’avenant 9, a fait échouer une mise en place efficace du SAS car il manque des effecteurs. Les SAS qui fonctionnent sont ceux où les organisations mises en place par les médecins généralistes se sont vu accorder des financements bien supérieurs à ceux de l’Assurance Maladie grâce à un investissement des conseils départementaux, des ARS et des CPTS elles-mêmes. Si ces financements cessent au 1er avril, date d’application de l’avenant 9, la plupart des médecins généralistes ne participeront plus aux rares SAS qui aujourd’hui fonctionnent. 

 

En parallèle, les candidats à la présidentielle semblent d'accord pour revaloriser la consultation, à 30 euros par exemple. Est-ce suffisant ? 

Pour ce qui est de la consultation, on voit aujourd’hui dans le cadre de notre activité qu’il y a plein de types de consultations différentes. Du fait de la population âgée et polypathologique notamment, nous avons beaucoup de consultations complexes. Bien sûr que la consultation de base à 25 euros est insuffisante. Pour autant, si la future convention se limitait à augmenter de 25 à 30 euros la consultation, ce serait un échec total et cela ne rendrait pas la médecine générale plus attractive. Il faut prendre en compte le quotidien des consultations : si elles durent 30 à 45 minutes, les tarifer à 25 ou 30 €, c’est scandaleux. Il faut revaloriser oui, mais dans le cadre d’une hiérarchisation des consultations avec une nomenclature lisible et donc simplifiée. Lors des prochaines négociations, il faudra que l’Assurance Maladie cesse de faire un saupoudrage qui finalement ne lui coûte pas grand-chose, car les médecins généralistes sont dans l’incapacité de s’approprier une nomenclature aussi complexe. 

 

*Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques 

** Union des Médecins Libéraux 

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