Egora.fr : Dans votre projet de loi, vous appelez à un "changement de paradigme radical" afin de lutter contre la désertification médicale. A vos yeux, les politiques incitatives ne sont pas assez efficaces ?
Thierry Benoit : Disons qu’on voit bien que ça ne suffit pas. Depuis une vingtaine d’années, les gouvernements successifs ont instauré ces mesures "incitatives" de prime à l’installation, de défiscalisation, de mise en réseau des professionnels de santé à travers les encouragements à la construction de maisons de santé pluridisciplinaires, la contractualisation avec les agences régionales de santé par la signature de contrats locaux de santé, la télémédecine… Malgré toutes ces mesures, le problème de la répartition de l’offre de soins de proximité est plus grave qu’il y a dix ans.
Vous vous êtes inspiré du rapport d’information des sénateurs Hervé Maurey et Jean-François Longeot pour réfléchir à la question de la liberté d’installation des médecins. Est-ce la clé selon vous ?
Oui. Ce rapport sénatorial révèle que 6 à 8 millions de Français n’ont plus de médecin référent. On sait que l’accès à la médecine de proximité, c’est justement d’avoir un médecin traitant. Face à ce constat, nous proposons de réguler les installations, les premières années tout au moins, et d’installer, de conventionner, les médecins là où les besoins sont exprimés. Je suis député du département d'Ille-et-Vilaine : sur l’ensemble du territoire, l’offre socio-éducative est de très grande qualité, on n’est pas dans des territoires en déshérence…. Et dans ce département, nous avons malgré tout un problème de répartition de l’offre de soins.
L’une des mesures phares que vous proposez pour pallier cette mauvaise répartition, c’est en effet de contraindre les jeunes médecins diplômés à exercer pendant trois ans dans une zone sous-dotée…
L’idée, c’est de ne pas renforcer, densifier, l’offre là où elle est satisfaisante. Au contraire, il faut permettre la régulation en encourageant les installations même à titre temporaire dans les territoires moins bien dotés. La proposition de loi parle de trois ans, cela sera soumis au débat. Naturellement, les mesures de régulation doivent être couplées avec les mesures incitatives qui existent déjà aujourd’hui. Elles pourraient même...
être renforcées. J’insiste là-dessus : il ne s’agit pas d’une régulation sans accompagnement ni mesures incitatives.
La régulation, c’est la priorité ?
Il y en a plusieurs. Il faut aussi se demander pourquoi dans notre pays, nous avons bloqué pendant aussi longtemps le nombre de jeunes qui entrent en médecine ? Tel que j'entends les débats depuis 15 ans à l’Assemblée nationale, cette décision du numerus clausus strict était prise d’un commun accord entre l’Ordre des médecins et les pouvoirs publics. Augmenter le numerus clausus fait partie des mesures prioritaires. Une deuxième chose qu’il faut regarder, c’est pourquoi au cours des dix années minimums d’études de médecine, on exerce une pression aussi forte sur les jeunes ? Même si je ne suis pas médecin, j’ai le sentiment que la pression exercée sur eux est faite pour les éloigner et les dégoûter de la médecine… Ça paraît incroyable ! On pourrait imaginer que des jeunes qui font le choix d’embrasser une carrière de soignants soient accompagnés de façon à ce qu’ils puissent apprendre leur métier de manière sereine et humaine. Il faut y travailler. Pourquoi ? Parce que finalement, si on a eu dix ans d’études bien accompagné, on va pouvoir demander des mesures de régulation à côté des mesures incitatives qui aujourd’hui ne portent pas suffisamment leurs fruits.
Les jeunes médecins et internes répondent à votre projet de loi que contraindre n'est pas la bonne solution pour résorber le problème de désertification médicale. Que souhaitez-vous leur dire ?
J’entends, j’ai d’ailleurs eu l’occasion d’échanger avec des étudiants en médecine. Mais à mon tour de poser une question : quelles sont les mesures alternatives ? Quelles propositions pour endiguer le problème ? Dans les débats en commission la semaine dernière, il y a un député qui a déposé le même type de proposition de loi, car ce n’est pas nouveau de parler de conventionnement sélectif. Je vois bien que pendant les échanges, on ne parlait pas de nouvelles solutions : il n’y a rien. Dans les centres de santé, on a la possibilité de salarier des médecins mais je ne vois pas de propositions complémentaires aux mesures dites “incitatives” d’aujourd’hui. Il faut que les jeunes médecins aient conscience que ce n’est pas pour la vie et que les territoires sous-dotés sont nombreux. Si vous habitez par exemple Rennes, vous pouvez exercer à 20, 30, 40 minutes de voiture. Pendant deux ou trois ans, je ne pense pas que c’est demander l’impossible. A mes yeux, c’est au moins une mesure qui pourrait être expérimentée le temps que la suppression du numerus clausus par le Gouvernement actuel porte ses fruits.
En choisissant de telles mesures coercitives, ne craignez-vous pas un déconventionnement massif des médecins ?
Qui pourra aller consulter exclusivement chez des médecins déconventionnés ? Pensez-vous que les patients pourront suivre ? Je pense que les médecins ne...
le feront pas, car ils n’auraient plus assez de patients.
Vous proposez aussi de conditionner le conventionnement des médecins dans les zones sur-dotées au départ d’un autre médecin conventionné…
Il s’agit de notre première proposition. On commence par ça, à l’image de ce qui est fait pour les pharmaciens. Une pharmacie aujourd’hui, on ne l’installe pas là où on veut, il y a des mesures de régulation. Pour moi, c’est aussi le même principe que la question du logement : si dans les territoires en tension, vous encouragez la construction, il se posera la question de la répartition. C’est la même chose dans ce cas : si on continue d’encourager l’installation des médecins dans des zones qui sont bien dotées, vous avez beaucoup moins de chance de pourvoir l’offre de soins dans les zones sous-dotées.
L’exercice libéral souffre d’un fort défaut d’attractivité. En faisant le choix du conventionnement sélectif et de mesures coercitives, ne craignez-vous pas une fuite des médecins de la ville ?
Si cela est accompagné par des mesures incitatives qui existent aujourd’hui, avec une revalorisation de la rémunération, je ne pense pas. Soyons honnêtes : il y a une vraie question autour de la rémunération des médecins de ville. Elle ne doit pas être taboue pour renforcer l’attractivité de la médecine libérale. Ceci étant dit, ce n’est pas dans une proposition de loi que doit être débattu ce point. La proposition de loi soulève le problème mais un projet d’initiative gouvernementale doit aborder la rémunération. Les années passant, j’ai entendu à l’Assemblée nationale Xavier Bertrand, Roselyne Bachelot, Marisol Touraine, Agnès Buzyn et Olivier Véran sur la question de la répartition. Les députés les ont souvent interrogés sur le sujet. Les gouvernements successifs nous ont toujours répondu : “mesures incitatives”, “projet professionnel de santé”, “mise en réseau”, “télémédecine”. On voit le résultat…
Vous inscrivez également une mesure de préavis obligatoire d’un an pour tous les médecins - mais aussi sages-femmes et dentistes - qui souhaiteraient déménager alors qu’ils exercent en zone sous-dotée. Est-ce pour protéger les communes ?
C’est pour éviter que des patients se trouvent du jour au lendemain sans solution. Je reprends l’exemple du département dans lequel je suis élu : il y a cinq ans, une maison de santé pluridisciplinaire a été mise en service. Très vite, deux jeunes médecins sont venus s’y installer : un titulaire et un remplaçant. Le médecin remplaçant a toujours dit qu’il ne souhaitait pas s’attacher à un territoire. Quelques mois après, il a décidé - et c’est son droit, de changer d’orientation. Le médecin titulaire, lui, face à cela, a déclaré qu’il allait partir aussi car il ne souhaitait pas rester seul. En l’espace d’un mois, 1500 patients se sont retrouvés sans solution. Que font-ils dans ce cas ? Ils appellent le maire, le député… On essaie de trouver...
des solutions avec les ARS mais on ne trouve pas en quelques semaines.
Vous parlez de zone sous-dotées et sur-dotées mais beaucoup de médecins estiment qu'il n’existe plus réellement, aujourd’hui, de zones sur-dotées…
Personnellement, j'observe qu’il y a des endroits où vous pouvez prendre rendez-vous dans la journée et d’autres endroits où c’est impossible, sauf à aller dans les services d’urgence.
Dans le projet de loi, il est écrit que "compte tenu de l’absence d’offre de soins dans de nombreux territoires, il ne serait pas acceptable que des étudiants soient formés, diplômés et n’exercent pas la médecine". Que voulez-vous dire ?
Ce que je veux savoir en tant que député, c’est le nombre d’étudiants en médecine qui rentrent dans une faculté, le nombre de jeunes qui sortent diplômés et le nombre de diplômés qui exercent réellement. Tout ça, dans le but d’avoir une connaissance précise de la situation et d'améliorer l’offre de soins.
Cela est-il à coupler avec votre proposition de réviser le zonage effectué par les ARS tous les ans ?
Bien sûr, car les zonages des ARS qui sont renouvelés tous les trois ans sont des zonages qui sont hautement techniques. Quand on parle de “zone d’intervention prioritaire”, “zone d’action complémentaire”, ça ne dit pas la densité de médecin ramenée au nombre d’habitants. Ces zonages doivent donc être plus compréhensibles du grand public, des élus, mais aussi des professionnels de santé.
Je comprends les résistances, voire les oppositions, à la convention dite sélective. Si on dit de but en blanc : “on va installer de nouveaux médecins dans les déserts médicaux”, on peut entendre que les jeunes médecins craignent qu’on les envoie dans des endroits où il n’y a rien, pas de services publics, pas d’écoles, pas d’offres culturelles ni de santé. Je reprends donc l’exemple de l’Ille-et-Vilaine où il y a des oasis de réussite de MSP grâce à des professionnels de santé mobilisés. Plus on va avoir d'éléments de transparence on peut les aider à faire un choix par anticipation. Car c’est vrai que l’expression de désert médical, ce n’est pas une expression heureuse. Et en même temps, ce mot qui choque traduit une réalité. En tout cas, il n’est pas question pour moi d’envoyer des jeunes dans des territoires où il n’y a rien sans les accompagner.
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