Saint-Céré, 4.500 habitants. Cette petite commune située au Nord-Est du département du Lot, en plein cœur d’une région touristique, essaie de lutter contre les déserts médicaux à sa manière en pariant sur deux ingrédients : l’avenir et sa jeunesse. En septembre 2021, son lycée général Jean Lurçat, 350 élèves, a fait le pari de lancer une “option santé”, ouverte dès la classe de première. L’objectif ? Proposer deux heures et demie de cours par semaine aux jeunes motivés afin de les préparer aux études de médecine. “Ce n’est pas une prépa comme on a l’habitude de les voir, prévient son proviseur Rémi Poumeyrol. On est là pour planter la petite graine de la confiance en soi et du projet de s’engager dans les études de santé.” “On a l’avantage et l'inconvénient de la ruralité : le cadre de vie mais peut-être aussi parfois un manque d’ambition de certains élèves, non pas parce qu’ils ne peuvent pas y arriver mais parce que les études impliquent de se déplacer, coûtent cher… la problématique de la mobilité est très importante”, poursuit-il. Le territoire est en effet situé à 2h30 Bordeaux et plus de 2h de Toulouse et Limoges, soit loin des grandes universités… et des facultés de médecine. Dans l’établissement, un quart des 120 bacheliers s’oriente vers des formations courtes sans rapport avec la santé comme des BTS* ou des BUT**, qui se déroulent dans des villes intermédiaires et de petites promotions, à moins d’une heure de voiture. “C’est plus difficile pour un élève de la ruralité d’aller chercher un appartement, prendre le train et les transports en commun… le métro, pour certains c’est normal, pour d’autres c’est la nouveauté. Ici par exemple, nous n’avons pas de gare. Tout ça peut faire qu’on préfère faire une formation de proximité”, analyse Rémi Poumeyrol.
Redonner de l’ambition aux élèves des campagnes Un constat que regrette et veut combattre le président de la Communauté de commune du Cauvaldor, Raphaël Daubet, à l’initiative de cette option. Ce chirurgien-dentiste libéral s’intéresse depuis longtemps déjà au fossé existant entre les étudiants de la ruralité et ceux des territoires urbains. “Selon mon expérience personnelle, peu de jeunes des campagnes trouvent le courage d’aller affronter des études longues et difficiles dans des villes lointaines surtout quand c’est coûteux. Je me suis dit qu’il fallait redonner de l’ambition aux jeunes”, raconte-t-il, convaincu que les élèves de la ruralité sont ceux qui sont le plus susceptibles d’y revenir une fois diplômés. Il y a dix ans, il a fait le choix d’accueillir dans son cabinet deux jeunes élèves de troisièmes pour un stage. “Les deux sont devenus chirurgiens-dentistes et ont passé leur thèse. L’un est venu s’installer à 20km d’ici et l’autre fait des remplacements dans le secteur. Je me suis dit que si on arrive à leur donner le goût des choses, même en troisième, ils y arrivent !” Avec la maire de Saint-Céré et le proviseur, ils ont monté un véritable projet d’accompagnement et d’orientation des futurs candidats aux études de santé, du lycée jusqu’à la fin de l’internat. En première et en terminale, les élèves bénéficient de cours renforcés essentiellement en physique-chimie et en sciences de la vie, donnés par les professeurs de l’établissement, qui se sont emparés du projet. “La mise en place de l’option a été facile car l’idée de lutter contre les déserts médicaux faisait consensus parmi tous les acteurs”, confirme le proviseur. Endocrinologie, imagerie médicale, immunologie, chimie organique, biochimie, anatomie… le programme est intense pour les jeunes. Mais au-delà de l’enseignement en lui-même, Raphaël Daubet, Rémi Poumeyrol et son équipe pédagogique ont imaginé des modules de méthodologie et d’outillage composés d’ateliers sur la gestion du stress, sur les techniques de révision et sur la confiance en soi notamment grâce à des prestataires extérieurs. Une psychologue intervient même au fil de l’année pour les accompagner. Et puis, il était impensable pour les créateurs de l’option de ne pas prévoir de dialogue avec les professionnels de santé eux-mêmes. “On veut renforcer la motivation des gamins”, appuie Rémi Poumeyrol. Si le groupe d’option a pu visiter le Samu 31 l’an dernier, il leur est également possible de faire des stages dans les hôpitaux de proximité. “Ils ont eu deux jours en tout, avec des demi-journées en gériatrie, aux urgences, en image médicale, avec des kinés… partout où ils peuvent être accueillis, sur notre territoire.” Selon Raphaël Daubet, en deux ans, cette option a réussi à "fédérer les professionnels de santé du Cauvaldor”. “On a créé une CPTS qui fonctionne bien et ils ont des interventions des professionnels de santé de chez nous qui se mouillent et viennent motiver les élèves. Ils reconnaissent que les études sont dures mais leur expliquent que ça vaut le coup. Ça aide nos jeunes à se projeter.” Il note par ailleurs un effet “boule de neige” car les soignants se sentent associés à la formation des jeunes et acceptent de les prendre en stage voire s’imaginent devenir maîtres de stage universitaire. “L’idée c’est qu’ils ne soient pas perdus dès le départ à l’université et que le petit retard qu’ils peuvent avoir du fait de leur arrivée en ville, ne les désavantages pas au final”, résume le proviseur du lycée. “N’importe quel gamin qui se donne peut réussir les études de médecine. Mais il faut lui donner confiance en lui”, renchérit Raphaël Daubet.
“Il faut une vraie envie d’habiter à la campagne” Pour lui, il faut aussi “une vraie envie d’habiter à la campagne” pour sauter le pas de l’installation. “Ce choix ne se fait pas comme ça, il ne suffit pas de dire qu’on va envoyer des gens vivre dans la ruralité pour que ça marche, il faut que la greffe prenne. Donc miser sur nos jeunes, qui connaissent les lieux, les usages et se projettent dans cette vie pour lutter contre les zones sous–dotées est la solution”. C’est d’ailleurs toute l’ambition du ministre de la Santé qui trouve un “intérêt à faire du repérage le plus tôt possible, en première, en terminale”. “Si vous voulez qu'un jeune s'installe dans une zone sous-dense, la meilleure des chances c'est qu'il soit issu de cette zone sous-dense. On s'installe là où on a grandi, là où on a des amis”, a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse de l'Association des journalistes de l'information sociale le 8 novembre dernier. Il a également confié à cette occasion sa volonté de voir “comment faire, avec les collectivités, avec l'université, pour que ces jeunes qui ne sont pas issus de la ville aient une priorité pour obtenir un logement étudiant par rapport à celui qui a ses parents à deux rues de la fac”. “C’est tout l’objectif du Conseil national de la refondation de travailler sur la mobilité”, a assuré le ministre. Dans le Lot, la petite graine tant espérée semble germer puisque l’an dernier, 12 élèves étaient inscrits en première et ont tous continué en terminale. Sur les 5 élèves de la première promotion de terminale (qui n’a fait qu’un an), 3 ont intégré une Pass et 1 un IFSI***. Cette année, ils sont 20 à avoir poussé la porte de l’option en première et cette dernière attire des élèves d’autres établissements. Un espoir, pour le bassin de population de 50.000 habitants… Les étudiants en première année de Pass reviennent aussi aider les bacheliers qui préparent leur entrée à la fac. “Ils nous ont fait un cours d’anatomie et sont venus nous parler du fonctionnement du cœur. On a aussi fait une dissection”, rapporte Antonin, étudiant en terminale inscrit à l’option. Âgé de 17 ans, il rêve “depuis 12 ans” d’être médecin et n’a pas hésité une seconde à s’inscrire, même s’il a entendu “que les études de médecine sont difficiles”. “Je me dis que si je me suis tenu à cette option pendant deux ans au lycée, c’est que je peux y arriver en Pass”, estime-t-il. “En plus, tout ce que j’apprends m’intéresse, j’ai adoré mon stage. Ça me conforte dans mon idée”. Même s’il a encore de longues études devant lui, Antonin songe déjà à “l’après”. Et cet après… c’est à la campagne. “J’aimerais bien revenir habiter ici, je suis plus à l’aise qu’à la ville. Je me vois exercer dans un désert médical. Un jeune médecin qui était au lycée de Saint-Céré et qui est revenu vivre ici nous a raconté son parcours et ça m'a donné envie d’avoir le même. Je me suis dit que c’était possible d’y arriver”, souffle ce jeune passionné. Un CESP territorial Compte-rendu des retours positifs, Raphaël Daubé a souhaité de ne pas s’arrêter à l’option santé du lycée. Il a décidé, avec la communauté de commune, d’accompagner les étudiants tout au long de leurs études grâce à des aides financières. Pour tous les jeunes du Cauvaldor qui sortent de l’option, ils proposent une aide financière de 800 euros pendant la Pass, “sans autre contrepartie que l'assiduité à l’université”. Une fois la première année commune aux études de santé passée, le Cauvaldor a mis en place le “ParcoursM’aides”. “C’est comme un contrat d’engagement de service public [CESP, ndlr] mais en moins contraignant”, explique l’élu. En deuxième et troisième année, les élèves peuvent toucher 200 euros par mois, “toujours sans contrepartie. C’est une sorte d’aide au logement et aux frais de transports pour nos gamins”, précise-t-il. Pendant l’externat, cette aide grimpe à 300 euros mais cette fois, les jeunes ont l’obligation de faire au moins un stage sur le territoire, “dans un CH ou en ambulatoire”. Ils doivent également s’engager dans le tutorat de la faculté qu’ils auront choisie. Enfin, le territoire propose une bourse d’engagement à partir de l’internat avec deux formules possibles : 5.000 euros par an contre six ans d’installation dans le territoire, ou 2.500 euros par an contre 12 semaines de remplacement à l’année pendant trois ans minimum. Tout comme l’option santé, les efforts des élus portent leurs fruits : ils sont 11 à toucher la bourse en première année, un en deuxième année, trois en troisième et cinquième année et deux en sixième année.
Un “coup de pouce” “On ne fait pas ça pour l’argent, c’est un coup de pouce financier et on se doute que ça ne suffira pas à couvrir tous leurs frais. Mais on se dit que c’est le coup de pouce qu’on donne depuis le lycée qui leur donnera envie de revenir chez nous”, espère Raphaël Daubé. A la question de savoir pourquoi il a fait le choix de monter un CESP différent de ce qui peut exister à l’échelle nationale, il explique que c’est, selon lui, aux territoires de “s’emparer de la question” et de “faire en sorte que ses enfants reviennent”. “Peut-être qu’ils auront envie de faire autre chose avant 40 ans, de voir autre chose… Mais au moment d’avoir une famille, cette envie peut leur revenir. Et nous, on doit le favoriser.” Antonin, lui, se sent gonflé à bloc pour affronter la Pass l’an prochain. Il aimerait rejoindre la faculté de Limoges, dont le tutorat le rassure et s’imagine déjà médecin généraliste. “J’aime voir les choses dans leur ensemble et je préfèrerais pouvoir faire des consultations de médecine générale. Je ne m’imagine pas à l’hôpital même si mes stages m’ont beaucoup plu”, estime l’adolescent, conscient que son projet “à le temps de changer” en plus de dix ans d’études. Comme lui, “les élèves sont ravis”, se réjouit le proviseur de Jean Lurçat. “Ils s’accrochent quand c’est dur et on voit que ça renforce leur motivation.” Raison de plus pour le président de la Communauté de commune de poursuivre les efforts pour accompagner les jeunes de son territoire. L’agrément pour leur option devrait être renouvelé à la fin de l’année scolaire. *Brevet de technicien supérieur **Bachelor universitaire de technologie **Institut en soins infirmiers
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