"On ne va pas venir un dimanche pour 5 euros de plus" : pourquoi de nombreuses maisons médicales de garde risquent de fermer en décembre
A compter du 22 décembre, les maisons médicales de garde en accès libre n'auront plus le droit, sauf cas d'urgence avérée, de coter les majorations de nuit, de dimanche et de jour férié. A Paris ou encore dans le Var, de nombreux médecins ont décidé de ne plus faire de gardes. Explications.
La pétition approche les 60000 signatures. "On l'a affichée dans les salles d'attente, dans nos cabinets… Ça a commencé doucement, puis ça a fait boule de neige", retrace son initiateur, le Dr Mathieu Prix. Généraliste installé dans le 10e arrondissement à Paris, le praticien se mobilise pour "sauver" les cinq maisons médicales de garde (MMG) de la capitale, dont la pérennité serait menacée par l'entrée en vigueur du volet tarifaire de la nouvelle convention médicale, le 22 décembre prochain.
A compter de cette date, il ne sera pratiquement plus possible pour les médecins de ces MMG de coter les majorations de nuit (MN), de dimanches et de jours fériés (F) spécifiques aux actes effectués pendant les horaires de la PDSA, mais en dehors de la régulation. "A Paris, on a la particularité de ne pas être régulés, explique Mathieu Prix, de garde environ 6 heures par semaine à la MMG Paris 19, située dans les locaux de l'hôpital Jean-Jaurès. C'est comme ça que se sont créées les MMG il y a une vingtaine d'années."
D'autres territoires sont concernés, notamment le Var, où un collectif de 11 MMG se mobilise contre la nouvelle convention. "Il y en a d'autres, dans les Hauts-de-France et ailleurs", précise le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. De fait, d'après l'enquête PDSA 2023 de l'Ordre des médecins, dans pas moins de 60% des départements les patients ont la possibilité d'accéder aux sites dédiés à la PDSA sans régulation préalable. L'Ordre rappelle à ce titre que si la circulaire définissant l'organisation des MMG stipule que l'accès doit "de préférence" être régulé par la permanence des soins, "un accès direct peut toutefois être accepté au vu de la situation locale". "Des médecins, en accord avec des hôpitaux, ont monté des MMG aux portes des urgences, pour diminuer la file d'attente", explique Luc Duquesnel. Le fait qu'"un passage aux urgences coûte plus cher qu'une consultation" explique sans doute la relative "tolérance" des ARS et de la Cnam... du moins jusqu'ici.
Car le nombre d'actes non-régulés est en hausse : en 2022, ils représentaient 34% du total des actes réalisés en horaires de PDSA, soit 5 points de plus qu'en 2021, relève l'Ordre.
"On va contrôler que ces soins faits en soirée, quand ils sont assortis d'une cotation de majoration, c'est bien de l'urgence"
Alors que les plateformes de téléconsultation se sont engouffrées dans la brèche et que des centres de soins non programmés se montent un peu partout en France, la Cnam a souhaité "remettre de l'ordre". Les majorations F et MN demeurent, mais elles doivent être limitées aux situations d'urgence, "correspondant à une affection ou la suspicion d'une affection mettant en jeu la vie du patient ou l'intégrité de son organisme et nécessitant la mobilisation rapide des ressources humaines et matérielles", cadre la nouvelle convention. "On s'est rendu compte qu'il y avait des renouvellements d'ordonnance facturés à 22h en majoration d'urgence, soulignait Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à l'organisation des soins à la Cnam, lors d'une interview accordée à Egora le mois dernier. On va contrôler à partir de maintenant que ces soins faits en soirée, quand ils sont assortis d'une cotation de majoration, c'est bien de l'urgence."
"Il y a des centres qui font du mauvais travail, c’est évident, mais ce n'est pas le cas de nos MMG, défend Mathieu Prix. On a le sentiment que le bébé a été jeté avec l’eau du bain", réagit le généraliste.
A compter du 22 décembre donc, hors urgence avérée, et à défaut de la régulation préalable qui leur permettrait d'appliquer les tarifs de la PDSA, les médecins des MMG concernées ne bénéficieront plus que d'une majoration de 5 euros, contre 35 euros actuellement pour la tranche 20h-minuit en semaine et 19.06 euros pour les dimanches et jours fériés. Cette nouvelle cotation (SHE) vise initialement à combler le "temps mort" de la tranche horaire 19-21 heures, expliquait à Egora la numéro 2 de la Cnam. "C'est avant la PDSA mais c'est une vraie pénibilité pour le médecin d'accepter de travailler à ces heures plutôt que d'être avec ses enfants."
"Etre mieux rémunéré pour le même travail mais à des horaires nettement moins sympathiques"
Sauf que "la grande majorité des médecins de notre MMG ne voient pas l’intérêt de venir pour 5 euros de plus un dimanche, et j’en fais partie", rétorque Mathieu Prix. Quitte à faire "des heures sup", le généraliste préfèrerait que ce soit à son cabinet, pour ses patients, lance-t-il. "On a fait un sondage, sur les 50 médecins qui participent à la MMG, il y en a 10 qui continueraient avec ces tarifs-là, uniquement ceux qui ont un contrat d'aide à l'installation et qui sont obligés de justifier de participer à la PDSA, pointe Mathieu Prix. Mais à 10, ils ne pourront pas faire un tableau de garde."
Dans le Var, les médecins participant aux 11 MMG ont d'ores et déjà annoncé leur retrait des tableaux de garde à compter du 21 décembre, indique l'Ordre à France Bleu. "On vient clairement parce que ça arrondit les fins de mois, souligne Mathieu Prix. C’est intéressant d’être mieux rémunéré pour le même travail que l’on fait au cabinet… mais pour des horaires nettement moins sympathiques", insiste le généraliste parisien.
Si le praticien concède que "90%" des patients qui se présentent spontanément à la MMG relèvent bien de la médecine générale, "il y a 10% l'activité qui diffère de celle que j'ai au cabinet : on envoie des patients à l'hôpital, on appelle le Smur, on fait des sutures, pour les enfants on est en contact avec Robert-Debré… Et ça va dans les deux sens, signale Mathieu Prix. Quand ils sont débordés aux urgences ils nous délèguent des patients."
En 2023, la MMG 19 a comptabilisé 7500 passages. "En 2022, on était à 6000, indique le généraliste. Ça ne fait qu'augmenter depuis le Covid. On a doublé nos effectifs, maintenant on est à deux médecins au lieu d'un pour la plupart des nuits. C'est une grosse activité que n'arriveraient clairement pas à absorber les urgences"… ni les confrères libéraux, relève-t-il.
Le généraliste estime par ailleurs qu'environ 30% des patients adultes consultant à sa MMG, venant de Seine-Saint-Denis, des 10e et 19e arrondissements de Paris, "n'ont pas de médecin traitant". "On a beaucoup de précarité dans le secteur." "L'Assurance maladie a tendance à considérer qu'il y a peut être des effets d'aubaine, mais ces structures rendent quand même un service", souligne le président des Généralistes-CSMF. "Mais on peut se demander pourquoi, à ces heures-là, la permanence des soins n'arrivent pas à les prendre en charge."
Ces arguments n'ont semble-t-il pas convaincu l'ARS Ile-de-France et la CPAM 75, qui "insistent" pour que les MMG s'intègrent dans la régulation de la PDSA. "La régulation médicale permet de régler 30 à 50% des demandes de soins, uniquement par conseils téléphoniques ou par envoi d'ordonnance", insiste Marguerite Cazeneuve. "Aujourd'hui, on est dans la pertinence et la qualité des soins, abonde Luc Duquesnel. La régulation, elle a un intérêt."
Un point sur lequel Mathieu Prix ne cache pas son scepticisme : "Quand vous régulez, combien de patients ne consultent pas, au final ? A mon avis c’est très très peu", répond-t-il. "Tous les patients que je vois à la MMG, je ne pourrais pas leur dire 'non, ne consultez pas un médecin, vous allez guérir tout seul'. Et repousser la consultation, ce n'est pas toujours possible, soit parce qu'ils n'ont pas de médecin ou que ses disponibilités sont trop éloignées."
Payer plus pour voir moins de patients
Mathieu Prix commence à se faire une raison : "On va y venir à la régulation… mais est-ce qu'on arrivera à tenir?" "Actuellement, on paie 25 euros à l'année pour avoir du papier, une imprimante et un logiciel", précise le généraliste. "On est vraiment une toute petite structure, on fonctionne avec un secrétaire qui organise les plannings, on utilise des locaux à mi-temps… C'est le système le plus simple et le plus économique possible." La régulation nécessiterait quant à elle un agent d'accueil pour "orienter" les patients le cas échéant et "éventuellement un agent de sécurité s'il y a des gens qui s'énervent", anticipe Mathieu Prix. "Quand on commence à dire non à quelqu’un à qui on a dit oui une semaine avant ça ne passe pas", lance-t-il.
Non seulement l'organisation sera plus coûteuse et complexe… mais les patients seront sans doute moins nombreux, révèle également le généraliste. "Moins de monde en payant plus, ce n'est pas très attractif", résume-t-il.
Les médecins concernés sont soutenus dans leur combat par l'UFML qui, dans un communiqué diffusé lundi 25 novembre, a dénoncé "une décision illogique et dangereuse, qui va aggraver l'accès aux soins, pénaliser les patients et encombrer les urgences". "Il faut au contraire favoriser celles et ceux qui s'engagent et prennent sur leur temps, en sus de leur activité habituelle", considère le syndicat du Dr Jérôme Marty. "Les médecins qui participent à la PDSA et qui acceptent hors PDSA d’ouvrir leurs cabinets en sus de leurs horaires habituels, aux horaires de la PDSA, doivent bénéficier des mêmes tarifs que ceux utilisés lors de leurs gardes en PDSA. Le coût pour la nation sera bien moindre que le coût des urgences débordées ou des retards ou ruptures de soins."
Les régulateurs débordés ?
De leur côté, les régulateurs varois craignent d'avoir à absorber une forte hausse des appels. "On a déjà chaque année 7% d'appels en plus, sans moyens supplémentaires", alerte le Dr Christophe Landrieux, président de l'association des médecins régulateurs libéraux du 15 sur France bleu. "Plus aucun médecin n'est volontaire pour faire de la régulation au Samu. On ne voit pas bien à quoi ça sert, à part à embouteiller le système."
Le "bruit court" qu'un délai de trois mois supplémentaires serait laissé pour permettre aux MMG concernées de s'organiser pour la régulation, souffle Mathieu Prix. Le président des Généralistes-CSMF plaide également pour un moratoire, le temps de "remettre à plat le système de la PDSA". En attendant la décision de la Cnam*, le compte à rebours jusqu'au 22 décembre est lancé. "Les patients sont prévenus, lâche Mathieu Prix. Pour le moment, officiellement, au 22 décembre on ferme, purement et simplement."
*Sollicités par Egora, l'ARS et la Cnam n'ont pas encore réagi.
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