"La survie du concept de SOS Médecins et de la visite à domicile est en jeu"
Le Dr Philippe Paranque a été élu président de SOS Médecins France, le 7 novembre dernier. Ce médecin généraliste qui fut le plus jeune président de la fédération, il y a plus de 30 ans, revient pour mener le combat de la survie de SOS Médecins. Revalorisation de la visite et défense de leur système de régulation en complément du service d'accès aux soins sont ses principaux objectifs. Il revient avec passion pour Egora sur l'histoire de SOS Médecins.
Egora.fr : Vous venez de prendre la tête de SOS Médecins France, mais ce n'est pas la première fois…
Dr Philippe Paranque : Oui, j'ai été président il y a 30 ans. A l'époque j'étais le plus jeune président de SOS Médecins France. Puis, j'ai été administrateur de la structure pendant toutes ces années. J'ai travaillé sur le centre de régulation, les outils informatiques… Je suis toujours président de SOS Médecins Essonne que j'ai créé qu'il y a 37 ans. Je crois être le plus ancien, et le seul de ceux qui ont créé leur structure à l'époque.
Que retenez-vous comme phases clés de cette évolution de SOS Médecins ?
Je pense qu'il y a eu quatre phases. Au départ, nous étions beaucoup de jeunes à sortir de la fac et à vouloir créer des structures d'urgences libérales. Nous étions les premiers étudiants à aller dans les Samu - qui commençaient à se créer -, et donc à faire de l'urgence lourde. Puis, il y a eu une réforme des études médicales qui a fait qu'on ne pouvait pas rester avec le statut hospitalier, sauf à revenir en arrière pour passer un concours de l'internat. Nous nous sommes donc dit : "Tant pis, on se lance, on part faire de l'urgence dans le libéral." A ce moment-là, nous étions dans les années 85/90, et entre 15 et 20 structures se sont créées. Quand nous nous sommes installés à l'époque, nous n'étions pas très bien vus par nos confrères. Les médecins avaient en effet l'obligation de participer à la garde, et donc il y avait des services de garde dans toutes les communes. Nous avons été en adversité avec les confrères pendant une dizaine d'années au moins. Moi, j'ai eu dix ans de procédure au conseil de l'Ordre.
Puis en 2002, il y a eu le mouvement national des médecins qui ont arrêté de faire la permanence de soins. Il n'y a alors plus eu d'obligation de participer à la PDSA. D'un seul coup, les SOS Médecins sont devenus le partenaire indispensable pour maintenir une offre de permanence de soins à domicile. La deuxième phase a alors commencé. A partir de là, nous avons été les partenaires dans beaucoup de départements avec les confrères qui, eux, voulaient bien continuer à faire la permanence de soins dans les maisons médicales de garde. Nous étions complémentaires. SOS était l'acteur "visite à domicile". Cette période a été, je dirais, des années de reconnaissance implicite des structures SOS Médecins dans le rôle d'acteur de la visite.
La troisième phase a été une période de flottement. Pour plein de raisons, sans doute générationnelles ou un peu liées aux maquettes des études médicales, nous avions beaucoup moins de candidats alors qu'habituellement notre seul recrutement était les jeunes qui sortaient des Samu. Des confrères sont donc arrivés à SOS Médecins avec un peu moins de fibre "urgences".
Certaines structures se sont retrouvées un peu en difficulté de ne plus avoir assez de volontaires pour faire les nuits et les week-ends. Elles ont donc commencé à mettre en place des consultations SOS Médecins. Il y avait une demande aussi dans ce domaine. De toute façon, comme les structures SOS débordaient d'activités et ne pouvaient pas faire face à toutes les demandes, ces consultations se sont mises en place en complément de la visite. Ça a été un point de bascule, parce que les jeunes générations se sont rendu compte que finalement, c'est plus facile de faire de la consultation dans un cabinet que d'être dehors avec aucune notion ni de temps ni d'heure, et avec des patients forcément plus lourds. Et ça, ça a été un changement de paradigme dans l'homogénéité de nos structures.
Nous avons un combat politique à mener
Nous sommes [désormais] dans la quatrième phase, dans laquelle nous avons besoin de nous recentrer. Cette phase a débuté avec le décret de juin 2024 sur le soin non programmé. Depuis toujours, SOS Médecins ne fait que du soin non programmé, que ce soit en visite ou en consultation. Nos appels sont régulés 24 heures sur 24, puis on envoie le patient vers le bon médecin, selon sa disponibilité.
Avec le Covid, le service d'accès aux soins, les urgences qui débordent… Tout le paysage de l'offre de soins s'est modifié et s'est mis à complétement déborder. Il a fallu sauver le système, et plein de dispositifs ont été mis en œuvre en urgence. Puis, ce décret sur le SAS est sorti le 14 juin en oubliant juste de préciser que les centres de régulation SOS Médecins peuvent être des portes d'entrée pour le soin non programmé, qui devient quasiment un label. La journée, l'accès à nos centres d'appel n'est plus considéré comme régulé. Ne sont régulés que les appels qui passent par le SAS. C'est une non-reconnaissance de ce qu'on a toujours fait. Nos centres, à partir du moment où ils sont interconnectés et protocolisés, étaient reconnus depuis 2002 comme régulation de permanence des soins. D'un seul coup, ce décret-là dit : "Non, plus la journée."
Nous avons un combat politique à aller mener. Cela explique aussi le changement de bureau de SOS Médecins France. Nous étions dans une situation qui était presque stable, acquise… Nous nous retrouvons au cœur du combat pour la reconnaissance historique de notre activité.
Aujourd'hui pour la permanence des soins, il existe donc deux plateformes de régulation : le SAS et la vôtre ?
Cela a toujours existé avec les Samu qui existaient en parallèle de nos structures. Pendant 30 ans, nous avons été partenaires. On ne fait pas tout à fait le même métier. Nous n'avons pas le même système de régulation, mais nos centres sont interconnectés et ont a une ligne directe qui nous permet de basculer de l'un à l'autre.
Les SAS ne sont qu'une officialisation, à coût de financements très conséquents, de plateau logistique de ce qu'étaient les centres 15. Mais ça n'est pas un souci. Le SAS est une excellente idée dans cette notion que les Samu et les urgences sont totalement débordés d'appels. On en arrivait à une situation où certaines urgences vitales, noyées dans le flot, n'arrivaient pas à être décrochées.
Le SAS permet de donner suffisamment de moyens pour qu'il y ait des décrochés rapides de tous les appels. Cela permet donc de savoir rapidement si un patient est en détresse. En revanche, trouver des solutions pour tous les appels qui ne sont pas des urgences vitales est plus complexe à mettre en œuvre. Devant un tel afflux de demandes, on aimerait trouver un effecteur pour tout le monde mais mathématiquement c'est impossible.
Comment concilier SAS et SOS Médecins ?
On dit SAS, mais c'est simplement une étiquette. En fonction de l'heure on parle de Samu, SAS, 15… Il s'agit des mêmes interlocuteurs. La problématique n'est pas de concilier SAS et SOS. Il faut que nous puissions continuer à être reconnu sur notre propre flux d'appels. Ces appels ont une motivation médicale qui est autant justifiée médicalement que ceux reçus par le SAS. Il faut donc admettre qu'on est capable de traiter les appels qui nous arrivent en direct et, par ailleurs, d'accepter un certain nombre d'appels qui nous sont transmis par le SAS. Mais nous ne voulons en aucun cas recevoir tous leurs appels parce que c'est impossible mathématiquement. Il faut reconnaître notre propre activité qui est aujourd'hui bafouée par ce décret, qui semble dire que toute demande de soins non programmés ne pourrait être validée que par le SAS. C'est nier notre activité et ce qu'on fait depuis toujours. Cela représente d'ailleurs une activité très importante.
Actuellement, il y a un vrai sujet sur les seniors, et notamment les plus de 85 ans dont nous avons des demandes très fortes. Nous répondons à cette problématique, d'autant plus que nous nous rendons à domicile.
Cet été, SOS alertait sur les difficultés de la visite en l'absence de revalorisation. Alors que c'était votre cœur de métier, la visite est-elle vouée à disparaître ?
C'était notre seul mode d'exercice au départ. Petit à petit, il y a eu un déplacement de la volumétrie entre les consultations et la visite, juste pour des questions d'économie d'échelle. Forcément, c'est plus intéressant pour un médecin de travailler dans un bureau. On a l'impression que les gens découvrent que le médecin libéral est payé à l'acte conventionné, et que donc son chiffre d'affaires en dépend. A difficulté égale, le différentiel entre la visite à domicile et la consultation fait qu'il n'y a pas photo.
Aujourd'hui, il vaut mieux être en cabinet de consultation que dans une voiture. Il faudrait que cela soit significativement différent pour que ça puisse se rééquilibrer. Il y a plein de paramètres à prendre en compte comme les coûts, la circulation, le temps passé. D'autant que les profils de patients sont très différents entre visite et consultation. En visite à domicile, on a un taux d'hospitalisation qui est de l'ordre de 6%, alors qu'il est à moins de 1% en consultation. Très clairement, ce ne sont pas les mêmes profils.
Ce qui est d'autant plus inquiétant puisqu'en appelant SOS aujourd'hui, on a de grandes chances d'entendre qu'aucun médecin n'est disponible pour une visite à domicile…
C'est notre combat. Il y a une frange de la population dont la visite est la seule option. Si on veut garder cette capacité d'avoir encore suffisamment de professionnels qui répondent à ces besoins, il va bien falloir qu'on fasse le choix de les rémunérer correctement.
C'est le manque de motivation des effectifs qui pose problème
On sait que dans l'activité des médecins de SOS, il y a des actes qui sont très importants, urgents, incontournables, puis d'autres qui le sont peut-être un peu moins, même s'ils restent qualifiés parce qu'ils ont été régulés. Il s'agit donc d'augmenter significativement, mais pas tant que ça, l'ensemble de la rémunération sur les actes de visite à domicile pour faire en sorte que les médecins tournent et soient répartis sur le territoire pour toujours être disponibles au plus près des patients. Tel est notre fonctionnement historique. Il faudrait donc une espèce de mutualisation du prix, ce qui est un peu le principe des pompiers et du Samu.
Aujourd'hui, tout cela est difficile parce les médecins ne veulent plus faire de visites. C'est le manque de motivation des effectifs qui pose problème.
Lors de votre prise de poste en tant que président, vous avez annoncé vouloir défendre l'offre de soins non programmés. Dans le cadre du PLFSS, les centres de soins non programmés privés ont de fortes chances d'être encadrés et devront suivre un cahier des charges pour obtenir certains financements, êtes-vous inquiet ou au contraire rassuré sur ce sujet ?
Aujourd'hui, on générique un concept autour de la notion de soins non programmés alors qu'il y plusieurs types de centres. Si on prend nos consultations par exemple, elles sont régulées. On va donc recevoir des gens qui ont été qualifiés. C'est le cas également de la plupart des maisons médicale de garde. Nous défendons ce système très fortement.
Ce qu'on ne défend pas, même si ça apporte un certain confort à une population de proximité, ce sont les centres qui n'ont comme levier que la rentabilité. Ils font venir les patients, quelles que soient leurs pathologies et les demandes, n'importe quand, mais de préférence sur des heures valorisées comme le soir ou la nuit ou le week-end. Et ils n'ont aucun filtre et pas de régulation. C'est là le point différentiel. S'il n'y a pas de régulation, c'est tout le monde, n'importe qui, le plus de patients possibles à l'heure... À SOS, quand on voit quatre patients dans l'heure, c'est un rythme qui est soutenu, mais raisonnable. D'autant que par définition, dans le cadre des soins non programmés, on ne connaît pas les patients.
Les centres qui sont dans le viseur reçoivent 7, 8 ou 10 patients à l'heure sans les avoir filtrés. On peut donc se questionner sur la qualité du service médical rendu.
Le problème, c'est que les jeunes qui sortent de fac, et on ne peut pas leur en vouloir, vont aller là où, à moins de temps engagé possible, ils vont faire le chiffre d'affaires qui leur convient. Ces jeunes médecins-là, auraient théoriquement dû s'installer, ce qu'ils ne font pas. Ils auraient pu renforcer les urgences ou aller chez SOS Médecins.
Avez-vous justement des difficultés à recruter ?
Forcément, ça nous pénalise beaucoup. Il y a des jeunes confrères qui ont envie de faire du soin non programmé, mais quand ils voient les contraintes qu'il peut y avoir chez SOS Médecins, où il y a quand même des horaires qui ne sont pas toujours faciles avec une partie "visite à domicile", ils sont plus tentés d'aller faire de la consultation non régulée. Ce qui compte malgré tout dans la profession en général, c'est quand même la notion de service médical rendu. Le problème, c'est que les jeunes confrères ne sont pas toujours tous attentifs à ces arguments-là.
On ne rémunère pas suffisamment les quelques médecins qui font encore l'effort et qui assurent ces prises en charge de patients à domicile, alors qu'il ne faudrait pas grand-chose pour qu'ils se sentent reconnus. Cette nuit, à 3h du matin, j'avais cinq médecins qui tournaient sur l'Essonne. Mais j'en avais deux qui étaient bloqués, parce qu'il y avait eu des accidents sur la route. C'est sûr, ça ne fait pas rêver tout le monde. Pourtant, globalement c'est très valorisant. Mais c'est vrai qu'on n'a pas l'argument financier pour équilibrer l'histoire et convaincre les jeunes.
Quelle est l'évolution de la visite à domicile chez SOS Médecins sur les dix dernières années ?
Il y a dix ans, sur un territoire comme le mien, j'avais huit médecins. Là où j'en ai eu cinq cette nuit, et je n'en ai pas cinq toutes les nuits. On a perdu la moitié de l'effectif roulant en dix ans. Sauf qu'en dix ans, il suffit de regarder les courbes d'âge des populations, c'est dramatique... Et ce qui ne se dit pas suffisamment non plus, c'est qu'à chaque fois qu'un médecin par la retraite c'est entre 1000 et 1500 patients seniors qui se retrouvent sans médecin traitant. Ces populations-là sont une bombe à retardement dans la société. Ce sont des gens qui restent silencieux chez eux, ou qui font des allers-retours aux urgences sans que rien ne soit mis en place. Ils sont renvoyés chez eux. Et combien coûtent les transports sanitaires… S'occuper de ces patients donne du sens aussi à notre métier.
Les médecins ont besoin de deux choses : ils ont besoin de sentir qu'il y a du sens dans leur métier, et ils ont besoin de pouvoir en vivre par rapport à l'effort qu'ils font.
Vous avez créé votre propre entrepôt de données de santé. Est-il déjà opérationnel ? Quel est son but ?
SOS était très orienté sur la valorisation des données et faire de la science avant ces dernières pérégrinations politiques et la nécessité de remonter au créneau pour aller défendre juste la survie de la visite à domicile. Il a été décidé que, pour l'instant, on allait se recentrer. Nous verrons dans un deuxième temps si nous allons continuer à investir sur cet entrepôt de données de santé. C'est une activité qui est une valorisation scientifique, mais périphérique au cœur du métier. S'il n'y a plus de métier, de toute façon, ça ne sert à rien de continuer à valoriser cela. Aujourd'hui, notre objectif est la survie du concept de SOS Médecins et de la visite à domicile. C'est cela qui est en jeu actuellement. Si dans les quelques mois ou années à venir, on n'arrive pas à emmener l'adhésion de nos décideurs, on pourra dire qu'on décide qu'en France, il n'y a plus de visite domicile.
La remise sur le tapis de l'obligation de permanence des soins et de la coercition revient régulièrement. Qu'en pensez-vous ?
Les gens qui disent cela sont totalement déconnectés. Ils ne se rendent pas compte qu'aujourd'hui, je crois que 25% des étudiants qui finissent leurs études ne s'installent jamais et partent faire autre chose. On n'imposera pas cela aux générations d'aujourd'hui. Sinon ils partiront, ils feront n'importe quoi. Ils iront cultiver des choux ou élever des chèvres ailleurs, mais ils ne s'installeront pas. Mathématiquement, c'est comme ça qu'il faudrait faire, mais ça ne fonctionne pas dans la vraie vie. Valorisons les médecins et donnons-leur la fierté de faire du travail bien fait.
Il ne faut pas vilipender nos représentants politiques qui essayent de trouver les bonnes solutions. Il faut aussi probablement que la profession s'auto-analyse et regarde pourquoi certains médecins préfèrent faire du travail, qui est probablement moins valorisant médicalement, uniquement pour des considérations qui sont plus matérialistes. Il faut protéger la valeur médicale ajoutée mais pour cela, il faut permettre aux médecins d'en vivre.
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