La liberté d’installation des médecins, une forteresse plus que jamais menacée
[DOSSIER ENJEUX 2025] Comme tous les ans, plusieurs initiatives devraient, au cours de l’année 2025, s’attaquer à la liberté d’installation des médecins. Celle-ci a toujours résisté jusqu’ici, mais la pression sociale se faisant de plus en plus forte, on peut se demander quand la digue cédera...
Toujours menacée, jamais éliminée. La liberté d’installation des médecins, dogme de l’exercice libéral depuis l’entre-deux-guerres, a pour l’instant triomphé de tous les projets législatifs qui ont tenté d’éliminer ce qui est vu par beaucoup comme un obstacle à l’accès aux soins sur les territoires. L’année 2025 sera-t-elle celle de sa défaite? La question est légitime.
Non pas que le nombre de projets de loi attendus sur le sujet soit cette fois-ci particulièrement élevé (on en compte deux)… mais la frustration de la population face aux difficultés d’accès aux soins et les probables législatives à venir pourraient en faire un enjeu électoral plus pressant qu’à l’accoutumée. Car 93% des Français seraient favorables à la régulation de l’installation des médecins, révèle l’association de consommateurs UFC-Que choisir dans un sondage. De quoi apporter du grain à moudre aux projets de loi visant à lutter contre les déserts médicaux. "Il y a la proposition de loi Garot à l’Assemblée nationale, et il y a le rapport Rojouan au Sénat qui devrait aussi donner lieu à une proposition de loi, énumère Bastien Bailleul, président de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes en médecine générale (Isnar-IMG). Il y aura donc un combat à mener dans chacune des deux chambres."
Car la proposition de loi transpartisane formulée par le groupe de travail contre les déserts médicaux créé par le député socialiste de la Mayenne Guillaume Garot propose un arsenal de "mesures puissantes et efficaces". Dont – et c’est l’article 1er du texte qui en compte 17 – la création d’une autorisation d’installation des médecins, délivrée de droit par l’ARS dans les zones sous-denses, mais conditionnée à la cessation d’activité d’un praticien exerçant la même spécialité dans tout autre territoire où l’offre de soins est jugée "au moins suffisante". "Il s’agit d’un premier pas dans la régulation de l’installation des médecins sur le territoire, qui permettra, à tout le moins, de stopper la progression des inégalités entre territoires", présentent les députés, qui espèrent que les installations seront fléchées vers les déserts.
De son côté, le sénateur Bruno Rojouan (LR) a dressé, en novembre, un nouvel état des lieux – plus sombre encore – de l’accès aux soins sur le territoire. "On ne peut pas continuer ainsi", a déclaré l’élu, qui a présenté 38 recommandations. Dont le souhait de mettre fin à la liberté "totale" d’installation des médecins. Car alors qu’une régulation est déjà en place pour les infirmières, pharmaciens et sages-femmes, que le cadre "a été durci" pour les kinés, et que les chirurgiens-dentistes ont accepté, en 2023, de soumettre leur exercice au principe d’"une installation pour un départ" dans les zones les plus dotées, "une profession reste en dehors de tout ça : les médecins", a-t-il pointé d’emblée. Mais "vouloir réguler aujourd’hui la totalité du système d’implantation des médecins en France serait une folie puisque [leur] nombre diminue et va diminuer jusqu’en 2028", a-t-il enchaîné, proposant ainsi de subordonner l’installation de nouveaux praticiens dans les zones médicalement "les mieux dotées" à un "exercice avancé à temps partiel" dans les zones "les moins bien dotées". Dans "un cabinet secondaire" par exemple. "On pourrait confier à la profession la charge de mettre en place [ce dispositif]. Nous verrons si elle est capable de le faire. Nous lui donnerons un délai. […] Nous légiférerons si elle n’en est pas capable, et nous prendrons les décisions nécessaires", a-t-il mis en garde.
"Aucun jeune ne voudra plus devenir médecin libéral"
Mais pour Bastien Bailleul comme pour l’immense majorité de la profession, la question ne souffre pas de discussion: abroger la liberté d’installation n’est en rien une solution à la pénurie médicale qui sévit sur le territoire et elle pourrait même l’aggraver. "À l’heure où 87% du territoire est classé en zone sous-dotée, il est illusoire de penser qu’il existe encore en France des territoires surdotés. Ajouter une contrainte supplémentaire à l’installation reviendrait à priver certaines communes de nouvelles installations alors même que les difficultés d’accès aux soins se font ressentir sur l’ensemble du territoire national du fait de la pénurie médicale touchant particulièrement la médecine de ville", plaident ainsi 12 représentants* de médecins et de carabins dans un communiqué commun, le 15 novembre dernier, rappelant "leur ferme opposition à toute forme de régulation ou de contrainte à l’installation".
À leurs yeux, "il n’existe pas une solution unique pour résoudre cette problématique complexe". Il faut donc "agir sur les déterminants à l’installation et sur les contraintes de l’exercice pour améliorer la réponse aux besoins de santé". Cette régulation de l’installation des médecins, c’est "une solution démagogique qui n’apportera aucune réponse à la demande des patients, argumente Bastien Bailleul. En revanche, elle fait peser un risque important sur la profession de médecin généraliste, car aucun jeune ne voudra plus devenir médecin libéral." À ses yeux, les choses sont claires: sans liberté d’installation, les médecins se tourneront "vers le salariat ou vers d’autres pays" ou bien "tenteront de s’installer à la limite des zones artificiellement délimitées" pour rester le plus proche possible de l’endroit où ils souhaiteraient idéalement exercer.
Trophée
Reste à savoir si le climat politique particulièrement explosif qui devrait prévaloir en 2025 permettra à ces arguments d’être entendus comme ils l’ont été depuis des années, ce qui a permis à chaque fois de repousser les textes considérés comme "coercitifs" par la profession. "Bien malin qui peut prédire comment les choses vont se passer au niveau politique", sourit le représentant des internes, qui veut rester optimiste. "Lors de la discussion du PLFSS [Projet de loi de financement de la Sécurité sociale, NDLR], tous les amendements coercitifs ont été repoussés au Sénat, donc rien n’est joué d’avance", veut-il croire. Une vision qui risque toutefois de se heurter à une dure réalité: l’ensemble du monde politique table sur une dissolution à l’été, et dans une période où bien des chantiers sont à l’arrêt, les parlementaires auront à cœur de se présenter devant leurs électeurs avec quelques trophées à leur tableau de chasse. La liberté d’installation des médecins pourrait dans ce contexte faire figure de proie facile.
* ReAGJIR, Isnar-IMG, Isni, Anemf, MG France, Médecins pour demain, Jeunes Médecins, FMF, SML, UFML-S, Avenir Spé-Le Bloc, CSMF.
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