Les relations intimes entre un médecin et son patient s'apparentent-elles nécessairement à un abus de faiblesse ?

Les relations intimes entre un médecin et son patient s'apparentent-elles nécessairement à un abus de faiblesse ?

Les relations intimes entre un médecin et son patient s'apparentent-elles nécessairement à un abus de faiblesse ?

C’est la position que semble adopter aujourd’hui l’Ordre national des médecins, confirmée par un arrêt du Conseil d’Etat du 27 décembre 2023, interdisant toutes relations intimes ou sexuelles entre médecins et patient(es). 

22/12/2024 Par Nicolas Loubry
Déontologie
Les relations intimes entre un médecin et son patient s'apparentent-elles nécessairement à un abus de faiblesse ?

Les relations intimes entre un médecin et son patient s'apparentent-elles nécessairement à un abus de faiblesse ?

La question des relations amoureuses entre soignants et soignés est loin d’être anecdotique. Elle peut donner lieu à des sanctions disciplinaires, voire pénales, si ces relations s’exercent sous la contrainte, avec des actes de violence physique ou morale ou
caractéristiques d’un abus de faiblesse.  

L’Ordre a toujours veillé à ce que les médecins n’abusent pas de l’ascendant de leur fonction, notamment sur des patients vulnérables, du fait de leur état pathologique ou de leur situation, pour transformer la relation médicale en relation sexualisée.  

Jusqu’à l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 27 décembre 2023, la haute juridiction administrative considérait, a contrario, que l’Ordre n’avait pas à s’immiscer dans la vie privée de personnes libres et consentantes, qu’ainsi une relation amoureuse entre
un médecin et un patient majeur ou un conjoint de patient ne pouvait constituer une infraction pénale ou déontologique (1).  

L’Ordre, mais aussi le Conseil d’Etat, considéraient alors que si tout médecin devait s’abstenir, dans son exercice et même en dehors, de tout acte de nature à déconsidérer sa profession, il restait libre de nouer des relations plus intimes avec des personnes
qu’il aurait pu rencontrer dans le cadre de son exercice, à condition que ces relations aient été librement consenties.

Revirement de jurisprudence ?

Dans l’affaire qui nous intéresse aujourd’hui, un médecin avait été condamné à un an d’interdiction d’exercice pour avoir entretenu une relation intime avec une patiente. Dans son recours devant le Conseil d’Etat, ce praticien soutenait que la décision rendue par l’Ordre « était entachée d’erreur de droit, en ce que la chambre disciplinaire nationale avait méconnu le droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».  

Une argumentation balayée par le Conseil d’Etat, pour qui « les relations intimes entre un médecin et son patient s’apparentent nécessairement, le patient se trouvant dans un état de fragilité psychologique, à un abus de faiblesse, sans considération de ce que les relations en cause peuvent s’inscrire dans le cadre d’une relation sentimentale réciproque ».  

Une décision critiquée par certains auteurs (2) pour qui la notion d’abus de faiblesse évoquée par cette décision semble inappropriée, voire dangereuse. Selon Bruno PY, professeur de droit privé et sciences criminelles à la faculté de Droit de Nancy, « le délit pénal d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse s’applique soit à l’égard d’un mineur, soit à l’égard d’une personne particulièrement vulnérable, soit à l’égard d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement (article 223-15-2 du Code pénal modifié par la loi n°2023-22 du 24 janvier 2023) ». 

Et cet auteur de s’interroger : « Peut-on affirmer en même temps que le patient est aujourd’hui codécideur de la relation de soin par un consentement libre et éclairé, mais qu’il lui serait interdit d’être codécideur d’un acte sexuel ? ».

Conseil d’Etat, 26 décembre 2022

Bruno PY : Peut-on mêler soin et sentiment ? Il apparaît finalement que non… Revue Droit et Santé N°118 – Mars 2024  
 

 
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