Pourquoi le statut de PU-PH ne fait plus rêver les médecins
L’exercice hospitalo-universitaire n’attire plus suffisamment les médecins, alertent les PU-PH. Une situation qui met selon eux en danger ce que le système de santé a de plus précieux : son avenir. Car sans professeurs, pas d’enseignement possible. Décryptage.
Le temps du mandarinat est-il terminé ? Faut-il dire adieu à l’époque où le statut de professeur des universités - praticien hospitalier (PU-PH), vous plaçant au sommet de la pyramide médicale, était le graal dont rêvait tout étudiant ayant un minimum d’ambition ? C’est ce qu’on pourrait se dire en écoutant les revendications de ceux qui portent les fameuses trois casquettes de clinicien, d’enseignant et de chercheur. Ceux-ci n’hésitent plus à parler de crise d’attractivité, et mettent en garde contre une fuite des cerveaux hors du système hospitalo-universitaire, voire hors de France, qui aurait selon eux déjà commencé. Reste à comprendre les racines du malaise, afin d’envisager les remèdes à y apporter.
« C’est bien simple : depuis 1996, le nombre d’hospitalo-universitaires a baissé de 2,5 %, et le nombre d’étudiants à former a été multiplié par trois », calcule le Pr Guillaume Captier, président du Syndicat des hospitalo-universitaires (SHU). Une évolution en ciseaux d’autant plus dramatique que le nombre d’étudiants est appelé à augmenter encore dans les années à venir, rappelle ce chirurgien pédiatrique montpelliérain. « On voit mal comment la charge de travail pourrait être tenable à long terme », estime-t-il. Facteur aggravant : la reconnaissance est loin d’avoir, selon lui, suivi un chemin parallèle à celui de la charge de travail. « Aux dernières assises hospitalo-universitaires, il a été démontré que notre pouvoir d’achat avait diminué de 20 % en 20 ans », rappelle-t-il.
La grogne des hospitalo-universitaires a été particulièrement visible au printemps dernier, quand ceux-ci ont protesté contre la réforme de leur système de retraite. En effet, une disposition de la loi Valletoux de 2023, entrée en vigueur le 1er septembre dernier, a affilié les PU-PH à l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques (Ircantec). Le montant de leur retraite, jusqu’alors calculé sur la seule partie universitaire de leur rémunération, prend désormais en compte également la partie hospitalière. Mais les représentants de la profession estiment que le nouveau mode de calcul a deux défauts : non seulement il diminuerait leur rémunération présente, mais il diminuerait également leur retraite future, car il porte sur l’ensemble de la carrière et non sur les six derniers mois.
"Les jeunes semblent de moins en moins à l'aise avec l'idée d'exercer nos trois missions"
Cette insatisfaction a conduit une partie des hospitalo-universitaires à se mettre en grève au moment des Examens cliniques objectifs structurés (Ecos) en mai dernier. Mais le malaise qu’ils expriment va bien au-delà de la question de la retraite. « On nous perçoit comme les cerveaux des spécialités, les experts, mais certains peuvent avoir l’impression d’être insuffisamment considérés à l’hôpital », se désole le Pr Michaël Grynberg, gynécologue et chef du service de médecine de la reproduction à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart (Hauts-de-Seine, AP-HP). Ce spécialiste de l’assistance médicale à la procréation (AMP) prend l’exemple du secteur privé à l’hôpital. « On nous dit qu’on peut faire du privé si on en a envie, mais dans les faits les limitations imposées à notre activité privée font que beaucoup d’entre nous restent très largement en-dessous des rémunérations de nos collègues du privé », constate-t-il.
Au-delà de l’aspect financier, c’est l’image toute entière des carrières hospitalo-universitaires qui semble écornée. « L’une de mes grandes préoccupations, c’est d’identifier des jeunes, confie le Pr Julie Haesebaert, médecin de santé publique et chercheuse au sein du laboratoire Reshape de Lyon. Or ceux-ci semblent de moins en moins à l’aise avec l’idée d’exercer à la fois nos trois missions. » Une difficulté d’autant plus criante que la santé publique « a déjà du mal à attirer des étudiants », souligne l’enseignante, qui n’hésite pas à parler de « double peine ». Pour noircir encore le tableau, elle ajoute que de nouveaux acteurs font une sérieuse concurrence à la carrière hospitalo-universitaire. « Il y a des cabinets de conseil, des boîtes jeunes, dynamiques, comme celles qui accompagnent les CPTS, par exemple, qui peuvent donner un plus grand sentiment de liberté aux médecins de santé publique », remarque-t-elle.
Et comme si cela ne suffisait pas, aux trois casquettes qui s’accumulent sur la tête des PU-PH s’ajoute bien souvent une quatrième : celle de manager. Or, les hospitalo-universitaires ne sont pas formés au management, ce qui est d’autant plus regrettable qu’ils exercent souvent cette fonction dans des conditions difficiles. « On est dans le glissement de tâche permanent, s’indigne le Pr Henri Duboc, gastro-entérologue à l’hôpital Louis-Mourier de Colombes (Hauts-de-Seine, AP-HP) et membre du syndicat APH. On passe notre temps à remplir des demandes en format papier, on travaille avec des équipements informatiques obsolètes, et quand on veut nommer quelqu'un, cela prend tellement de temps que la personne n’a pas la patience de nous attendre. » Les PU-PH ont la responsabilité du fonctionnement des services, sans avoir les leviers d’action nécessaires, résume-t-il.
La faute à l’hôpital
Pour mieux comprendre les racines du mal-être hospitalo-universitaire, et la façon dont celui-ci peut conduire à des demandes accrues de mise en disponibilité, la professeure de gestion des ressources humaines Sarah Alves, enseignante à l’EM Normandie, a mené en 2023 une enquête quantitative auprès de 484 PU-PH et MCU-PH, dont les résultats ont notamment été présentés au mois d’octobre dernier au congrès de l’Association francophone de gestion des ressources humaines (AGRH). « Nous avons constaté que les répondants avaient un haut niveau d’engagement envers leur métier, et envers l’institution publique, résume la chercheuse. Ce qui pose problème, c’est l’engagement envers la structure locale de soins. » En d’autres termes, les hospitalo-universitaires sont attachés à la médecine et au service public, mais ils n’ont pas le sentiment d’avoir les moyens de les servir dans des conditions acceptables. Et cela « constitue un terreau favorable à leur départ », avertit la chercheuse dans sa communication à l’AGRH (à paraître).
Bien sûr, les PU-PH savent que leur malaise est loin d’être isolé au sein du système de santé. « La crise que nous vivons vient de la crise de notre environnement : l’hôpital est notre outil de travail, le support de notre recherche, et il est en faillite », avance Guillaume Captier. « Nous avons parfaitement conscience du fait qu’il s’agit d’un malaise généralisé des professionnels de santé », confirme Henri Duboc. Mais, remarque Sarah Alves, « ce qui est particulier avec la population des PU-PH, c’est qu’elle a la responsabilité de la formation des jeunes ». Si le corps des hospitalo-universitaires va mal, déduit-elle, « cela impacte les soins, mais cela impacte également l’avenir de notre système de santé ».
"Il me reste 15 à 17 ans à travailler, et je n’ai aucune perspective d’évolution"
Voilà qui donne selon les hospitalo-universitaires une force particulière aux revendications qu’ils portent pour améliorer leur sort. « Il faut plus de postes, avance Henri Duboc. On nous a trop répété qu’il n’y avait pas de postes, mais l’activité augmente, le nombre d’internes à former augmente, il faut donc investir. » Autre tableau sur lequel il faut agir : la reconnaissance financière. En dehors du sujet des retraites, qui n’est selon les syndicats toujours pas réglé, il faut selon eux adapter le calcul de leur temps de travail. « Notre rémunération est toujours calculée sur onze demi-journées de travail, observe Guillaume Captier. Il faudrait passer à dix demi-journées, et compter le samedi matin comme du temps additionnel. » De même, ajoute-t-il, créer de nouveaux échelons dans la grille de rémunération permettrait de conserver la motivation de ceux qui ont déjà avancé dans leur carrière. « Il me reste 15 à 17 ans à travailler, et je n’ai aucune perspective d’évolution, il faudrait donc au moins trois échelons supplémentaires », suggère le président du SHU. Reste à savoir si ce genre de proposition, alors que le Gouvernement est à la recherche d’économies tous azimuts, saura trouver une oreille favorable du côté de Bercy.
Un soutien de poids
« Les conditions d’exercice des personnels HU sont souvent devenues intenables, affectant lourdement l’attractivité de leur carrière chez les plus jeunes et provoquant de plus en plus souvent des départs de l’hôpital public pour un exercice dans le secteur libéral ou à l’étranger. » Tel est le triste constat dressé par Anne-Marie Armanteras et le Pr Manuel Tunon de Lara dans leur « plan de rénovation de la recherche biomédicale » remis au gouvernement en mai 2024. Dans ce document, celle qui fut directrice générale de l’offre de soin et celui qui fut président de France universités balaient divers sujets pour redonner à la recherche française une attractivité qu’elle a perdue, et s’attardent notamment sur le sort des PU-PH. Et leurs recommandations recouvrent en grande partie les revendications des représentants de ces derniers : on y retrouve notamment le passage du temps de travail à dix demi-journées, et le renforcement des effectifs.
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