Pharmacien

Pharmacien, il redistribue des produits invendus aux plus démunis : "On a aidé au moins 100 000 personnes"

En mai 2019, à l'aube de ses 29 ans, Sami Tayb-Boulahfa, docteur en pharmacie et étudiant en médecine, créait Pharma Solidaires, une association qui redistribue des dispositifs médicaux et des produits de parapharmacie invendus ou périmés aux plus démunis. Cinq ans après, la structure a considérablement évolué et s'apprête à ouvrir un centre de consultation à Paris. Son leitmotiv reste le même : venir en aide à ceux qui en ont le plus besoin. 

11/09/2024 Par Louise Claereboudt
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Tout est parti d'un "constat". Après avoir été diplômé en pharmacie, Sami Tayb-Boulahfa entame des études de médecine. Ce fils d'ouvriers a toujours rêvé d'embrasser cette vocation, mais il avait été coupé net dans son élan après avoir échoué en première année de médecine. Il s'était alors dirigé par dépit vers la pharmacie. Mais une fois ce parcours achevé, il a voulu retenter sa chance, ne pouvant abandonner l'idée d'être un jour médecin. Sa persévérance aura payé. Sami entre directement en deuxième année de médecine à Paris en 2015, grâce à une passerelle. 

Pour financer ses études, le jeune homme décide de faire des remplacements de nuit dans une officine située avenue des Champs-Élysées. Très vite, le pharmacien est frappé par le gaspillage "monumental". Une quantité monstre de produits sont jetés à la poubelle, sous prétexte que la date de péremption est dépassée : des gels douche, des couches, des pansements… A ce moment-là, l'étudiant habite dans le Val-de-Marne (94) : "Je voyais l'opulence la nuit en travaillant, et toute la misère dans le métro en rentrant chez moi. Ça a été un électrochoc."

"Il fallait que je fasse quelque chose"

"Il fallait que je fasse quelque chose", poursuit le jeune homme, qui se sent alors comme investi d'une mission. Il décide de subtiliser des échantillons (crèmes hydratantes, gels, produits nettoyants pour bébé…) et de constituer des "petits kits d'hygiène" pour les redistribuer aux sans abri. "C'est comme ça que ça a commencé, et ensuite, ça a un peu pris de l'ampleur depuis", sourit-il. En mai 2019, celui qui est alors externe en médecine décide de créer une association pour formaliser sa démarche. Elle s'appellera "Pharmaciens solidaires". L'objectif : collecter et redistribuer les dispositifs médicaux et autres produits d'hygiène invendus ou périmés provenant des officines, des grossistes ou encore de simples particuliers. Outre les sparadraps, bas de contention, ou encore béquilles, l'association, hébergée dans des locaux prêtés par le Secours populaire, dans le 20e arrondissement, stocke et redistribue du lait maternisé.

Des volontaires de Pharma solidaires (DR)

Très vite, l'association grossit. L'épidémie de Covid-19 rend son action d'autant plus importante, et Sami Tayb-Boulahfa, aidé de quelques bénévoles, multiplie les distributions auprès d'associations, comme Aurore, qui accueille et accompagne vers l’autonomie des personnes en situation de précarité ou d’exclusion via l'hébergement, les soins, l’insertion sociale et professionnelle. Il récupère également des masques et du gel hydroalcoolique pour les redistribuer à des ONG. Deux antennes sortent de terre, à Lyon et Chambéry, au printemps 2020, tandis que Sami commence son internat de gériatrie. Il aurait préféré faire de la médecine interne, mais son mauvais classement aux ECN l'en a empêché. Qu'importe, le jeune homme n'est pas du genre à se laisser abattre et continue d'alterner entre les cours, les stages et la vie de l'asso. Celle-ci change d'ailleurs de nom : ce ne sera plus Pharmaciens solidaires mais Pharma solidaires, pour être "plus inclusif". "Le nom initial prêtait à confusion sur le fait que cela pouvait être réservé aux pharmaciens."

L'asso procède aussi à d'autres changements : elle délaisse le lait maternisé. "On a choisi de délester cette partie de l'activité au profit du matériel médical, qui s'est beaucoup développé, de la dermocosmétique et du complément alimentaire", explique son président. "On a fait le choix de ne pas trop s'éparpiller, on fait déjà beaucoup." 

Fort de son expérience dans la pharmaceutique, Sami parvient à attirer de gros donateurs, en particulier des laboratoires, "qui nous font des dons beaucoup plus conséquents, jusqu'à l'appareil d'imagerie [l'échographe]." L'association se diversifie aussi sur la partie orthèses : chevillière, genouillère, contention élastique… Des dispositifs qui ne sont souvent utilisés que durant un temps court par les patients et finissent par traîner à la cave ou au grenier. Pharma solidaires s'installe aussi dans ses propres locaux, à Montparnasse, grâce à des fonds de pension. 

"Je suis moi-même issu d'un milieu modeste"

Quand survient la guerre en Ukraine, en février 2022, Sami Tayb-Boulahfa entend les appels à la solidarité. "D'habitude, je suis très réfractaire à l'international pour des raisons de traçabilité, souligne le pharmacien, très à cheval sur ce sujet. Mais on a été mis en relation avec Aide médicale & caritative France-Ukrainе via les scouts ukrainiens de France, et leur système de traçabilité répondait à nos exigences." Les Pharma solidaires, qui portent des valeurs "d'équité, de tolérance, de solidarité et d'humanité", organisent deux envois "très conséquents" : le premier avec "majoritairement de l'hygiène et du lait", et le second, "surtout des dispositifs médicaux, beaucoup de pansements techniques et des orthèses pour les blessés de guerre". Pour Sami, aider son prochain quand on peut le faire relève du devoir : "Je suis moi-même issu d'un milieu modeste, mes parents se sont beaucoup sacrifiés pour moi, pour me permettre de faire les études que je voulais par exemple. Ça vous sensibilise à la cause de l'autre." 

Après cinq ans d'existence de l'association Pharma solidaires, son président - âgé maintenant de 33 ans - estime à "au moins 100 000", le nombre de personnes qui ont pu être aidées, même s'il est difficile de savoir précisément. Et Sami, qui est depuis parvenu à bifurquer vers la médecine interne comme il en rêvait, entend bien pousser encore ce nombre. Sans doute porté par son geste envers l'Ukraine, il s'apprête à développer la partie humanitaire de son activité avec la signature prochaine d'un partenariat avec Aviation sans frontières : "On va les accompagner sur le versant médical, et eux vont nous accompagner sur le versant logistique." "L'idée va être de développer notre activité à l'international tout en conservant notre rigueur de traçabilité, ce qui n'est pas évident", concède Sami.

Le jeune homme confie avoir eu des doutes sur certaines associations françaises avec lesquelles il travaillait – parfois "connues de tous" -, et a décidé il y a peu de mettre à jour sa convention d'engagement. "Les associations bénéficiaires s'engageaient déjà à ne pas vendre les produits qu'on leur donnait, mais au-delà de ça maintenant, il y a un droit d'audit, notamment sur les conditions de conservation des produits mais également sur la traçabilité des dons [...] Quand on a fait passer cette nouvelle convention, on a perdu 80% de nos bénéficiaires, déplore-t-il. Mais ça a permis de faire le tri de manière intelligente." Car pour Sami, la rigueur est indispensable dans le milieu. 

Pharma solidaires, qui ne touche pas de subventions publiques et ne fonctionne que grâce au mécénat, travaille tout de même encore avec pas moins de 80 associations et structures : le Secours populaire, la Croix Rouge, Aurore, Utopia 56… "On a fait une action avec le CAS pour les enfants défavorisés emmenés en vacances par l'association. On leur a confectionné des trousses dans lesquelles on a mis une crème solaire, un après soleil, une crème cicatrisante, un brumisateur…, illustre Sami Tayb-Boulahfa, contacté début août. L'année dernière, on avait fait une opération dans les Ehpad publics pour apporter un petit paquet aux personnes âgées qui souvent sont isolées, un peu de réconfort. Dans cette même optique, on vient de débuter un très beau partenariat avec les Petits Sœurs des Pauvres, on est très contents."

"Le gaspillage, c'est l'affaire de tous"

Depuis sa création, l'association a distribué au total "l'équivalent de 7 millions d'euros de produits" à des personnes dans le besoin. "J'en suis très fier mais je reste aussi humble parce qu'il reste encore beaucoup de travail, je veux emmener tout le monde avec moi dans cette aventure, fédérer l'ensemble des acteurs de la santé", confie le trentenaire, invitant les professionnels de santé qui le désirent à rejoindre la cinquantaine de bénévoles à Paris et en région - 5 antennes existent actuellement mais l'association a vocation à se centraliser, indique son fondateur. 

"Le gaspillage, c'est l'affaire de tous : du patient, qui doit être responsable quand il va à la pharmacie, du pharmacien qui ne doit pas mettre trois boîtes au lieu d'une suffisante parce qu'il va gagner trois fois plus, du prestataire à domicile qui ne doit pas surcharger un patient qui va décéder et se retrouver avec 6 mois de produits en avance. C'est aussi l'affaire de l'étudiant en médecine, de l'infirmière, du médecin qui va ouvrir un pack de deux compresses au lieu de 5", estime Sami. Il réfléchit d'ailleurs à "offrir aux pharmacies d'officine" une "solution clé en main" pour "faire don de leurs produits invendus" et "qu'ils restent dans un circuit pharmaceutique". "Il y a déjà des sociétés qui se sont lancées de gens qui ne sont pas issus du domaine de la santé, l'idée c'est qu'on garde une certaine spécificité dans notre activité, que l'on garde le monopole sur nos produits", explique celui qui se décrit comme "pharmacien de cœur". "On ne peut pas libéraliser le médicament et les produits de santé, cela créerait une brèche."

Infatigable, Sami porte aussi un autre gros projet qui le touche particulièrement : "On va bientôt ouvrir des centres de consultation pour personnes démunies en partenariat avec un industriel", annonce-t-il avec émotion. Le premier centre devrait ouvrir en octobre à Paris. "La personne qui viendra recevra les produits dont elle a besoin. Ce ne sera pas : 'Voilà une ordonnance, merci et au revoir'. L'objectif est d'apporter tout ce qui n'est pas remboursé, qu'on aurait en stock." La structure sera spécialisée en dermatologie, des médecins y feront des consultations. "Mais mon souhait est que cela soit étendu à d'autres [spécialités]", ambitionne le président de Pharma solidaires.

A côté de cela, l'étudiant a fait une pause dans son internat pour réaliser une thèse de science "sur l'immunotoxicité".  

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3 commentaires
9 débatteurs en ligne9 en ligne
Photo de profil de Madeleine Matura
56 points
Gynécologie-obstétrique
il y a 2 mois
Un seul mot : bravo. Ce gaspillage permanent dans tous les secteurs, orchestré par notre société de surconsommation, est en effet insupportable. Merci pour toutes ces personnes dans le besoin.
Photo de profil de Marie Claude Milhau
730 points
Débatteur Renommé
Infirmiers
il y a 2 mois
Bravo , en espérant que cela se généralise partout ( ce gaspillage organisé est signalé depuis longtemps par les infirmiers à domicile ! )
Photo de profil de Lisa K
138 points
Médecins (CNOM)
il y a 2 mois
Un parcours impressionnant et inspirant.
 
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