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"On a réussi !" : épaulée par des remplaçants, une généraliste en secteur 2 a "gommé un désert médical"

Urgentiste à l'hôpital pendant près de 12 ans, la Dre Andrée Leseur est revenue s'installer dans sa région d'origine en mars 2024 pour s'occuper de ses parents malades. Eligible au secteur 2, elle a rapidement été rejointe par un pool de six remplaçants réguliers qui permettent au cabinet d'être ouvert sept jours sur sept, dans une zone fortement touchée par la désertification médicale. Pour la praticienne, le secteur 2 (Optam) est la clé de ce succès. C'est pourquoi elle défend l'idée des assistants territoriaux soumise par la Conférence des doyens comme alternative à la coercition. 

15/01/2025 Par Sandy Bonin
Déserts médicaux
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Elle a 56 ans, est fille de paysans, originaire de Seine-et-Marne. Ils ont la trentaine, vivent en Seine-Saint-Denis et viennent de finir leurs études de médecine. C'est cette rencontre inattendue qui a fait le succès du cabinet de médecine générale de la Dre Andrée Leseur. 

Tout commence en mars 2024. Andrée Leseur, urgentiste (qualifiée en médecine générale) à l'hôpital, décide de revenir dans sa commune d'origine à Mary-sur-Marne pour se rapprocher de son père malade. Deux ans plus tôt, elle a appris, un peu par hasard, qu'elle était éligible au secteur 2, en tant qu'ancienne praticienne hospitalière. Elle ouvre donc son cabinet en honoraires libres mais encadrés par l'Optam* et se met rapidement à la recherche de remplaçants pour la seconder lorsqu'elle devra s'occuper de son papa. 

Après avoir posté une annonce sur les réseaux sociaux, elle est contactée par Ismaël** qui compte remplacer dans la région. Il n'a pas encore sa licence mais la met en relation avec un ami disponible qui effectue son premier remplacement en mai 2024. "Ensuite tous les copains sont arrivés, j'ai désormais 6 remplaçants", se félicite la praticienne. 

"Nous avons gommé un désert médical"

Forte de cette équipe jeune et motivée, la généraliste ouvre son cabinet sept jours sur sept sur des horaires étendus, comme 8h à 21h en fonction de la disponibilité de ses remplaçants. "Nous avons construit ce cabinet ensemble. Je leur verse 80% de rétrocession en semaine et 100% le dimanche. Grace aux 20% que j'ai conservés, j'ai pu ouvrir un deuxième cabinet pour accueillir un interne et donc devenir maître de stage, j'ai acheté un dermatoscope, de l'azote, un super otoscope", s'enchante la praticienne. "Depuis près d'un an que nous sommes installés - et je dis "nous", parce que nous sommes une équipe- nous avons gommé un désert médical", savoure la généraliste. "On a réussi ! "

Installée dans un bassin de 160 000 habitants, la praticienne a vu 12 médecins du secteur partir à la retraite en 2024. Sur les 72 restant, la moitié a plus de 60 ans et 37 sont également susceptibles de partir à la retraite en 2025. "On va se prendre un tsunami de patients dans la tronche", s'alarme la généraliste.

Elle a donc interrogé ses remplaçants pour savoir quels seraient les leviers qui pourraient motiver leur installation à la campagne. "Ils m'ont répondu le secteur 2 comme toi. On veut cette liberté", rembobine la praticienne. 

"Nous ne sommes pas des mercenaires"

Ismaël remplace en effet depuis mai 2024. "J'ai travaillé quelques jours en secteur 1 mais depuis, je ne remplace plus qu'en secteur 2. On est un groupe de 30 médecins, on remplace tous en honoraires libres", confie le jeune homme de 30 ans, qui consulte tous les vendredis chez la Dre Leseur. Boursier pendant son cursus, le généraliste admet sans tabou que "c'est l'aspect financier" qui a motivé ce choix. "Pour le même travail, les journées sont quasiment doublées", calcule celui qui envisage de s'installer après un clinicat pour être éligible à la liberté tarifaire. 

"Nous ne sommes pas des mercenaires", nuance Rémi*, autre remplaçant du Dr Leseur qui exerce au cabinet maximum deux jours par semaine. "En moyenne, j'y suis cinq à six jours par mois." Le jeune homme, qui remplace également en secteur 1, constate que la liberté tarifaire "permet de prendre plus de temps avec les patients". Cette expérience lui aura permis de "découvrir les territoires ruraux", à plus d'une heure de route de chez lui. "Nous avons la volonté de voir et de soigner tout le monde. Les CMU, les ALD restent bien entendu en secteur 1. Sinon les consultations sont tarifées entre 42 et 47 euros en fonction de leur complexité. Nous voyons une population d'agriculteurs qui n'ont pas été soignés de maladies chroniques depuis des années", décrit le jeune médecin de 30 ans.

Pour la Dre Leseur, cette expérience fonctionne grâce au secteur 2. "Pourquoi moi j'ai six remplaçants, et ma voisine en secteur 1 n'en a pas ? Ça n'est pas pour mes beaux yeux", ironise la généraliste. "Le but du secteur 2, c'est de pouvoir réinvestir", souligne la quinquagénaire, qui travaille 12 à 14 jours par mois au cabinet pour un salaire d'environ 2500 euros. "C'est la première fois que je suis libérale de ma vie, à la base je n'ai pas d'esprit d'entreprise. J'étais syndicaliste CGT et déléguée AMUF [Association des médecins urgentistes de France NDLR]", retrace celle qui gagnait mieux sa vie à l'hôpital. "Envoyer les jeunes en secteur 1 dans les déserts, c'est voué à l'échec", prédit-elle. "Alors que si on les encadre correctement, on prévient les suicides, on termine leur formation et ils pourraient ensuite prétendre au secteur 2. C'est la carotte au bout", estime-t-elle. 

Une idée semblable vient d'être défendue par les Doyens, l'Ordre des médecins, l'Isni et l'Anemf sous la forme des assistants territoriaux.  Cette mesure, présentée comme une contre-proposition à la coercition, permettrait aux jeunes médecins volontaires de s'implanter dans les territoires, et de bénéficier en contrepartie de différents avantages comme le secteur 2. "C'est un peu notre projet pilote, c'est ce que nous sommes en train de faire", constate Andrée Leseur.  

Dans un communiqué en date du mardi 14 janvier, le Syndicat national des enseignants de médecine générale (SNEMG) s'y est opposé, affirmant : "Quant au secteur 2 comme réponse aux déserts médicaux, plusieurs études montrent qu'il augmente le renoncement aux soins". Une phrase qui a ulcéré la Dre Leseur. "La justice sociale, nous la faisons chez nous. Nous voyons plus de 40% des patients en secteur 1. Nous ne sommes pas des commerçants, c'est notre essence de médecins", pointe la praticienne, "fille de paysans et boursière" qui a "le code de déontologie sur le bureau".  Les patients de la Dre Leseur et de ses remplaçants bénéficient d'ailleurs du tiers payant systématiquement. 

Ismaël trouve la proposition des assistants territoriaux "top", mais il croit peu en son adoption. "Dans ma promo, presque 30 % des étudiants sont partis à l'étranger. Si demain, il n'y a plus de liberté ou que l'on m'imposait un secteur 1 en désert c'est évident que je partirais", prévient le jeune généraliste. 

 

 

*Les prénoms ont été modifiés 

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