Les médecins aussi tombent malades. Taboue pendant plusieurs années, cette idée fait de plus en plus parler. Les associations d'aide aux médecins en souffrance se multiplient sur le territoire. Lundi et mardi derniers, s'est tenu un colloque européen sur la santé des soignants dont le thème était "Being a doctor and staying a person" ("Etre médecin et rester une personne"). Il était suivi d'un colloque français intitulé "Soigner les soignants"*. Le Pr Eric Galam, expert de la question du burn out des médecins, était à l'initiative de ce colloque français. Selon lui, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que les médecins deviennent enfin des patients comme les autres.
Egora : Vous travaillez depuis plusieurs années sur la question du burn out des médecins, comment la situation a-t-elle évolué ? Pr Éric Galam : La situation a effectivement évolué. Je travaille sur le burn out des médecins depuis 2004, au moment où l'on a créé l'association d'aide professionnelle aux médecins libéraux (AAPML). Cette association était le premier dispositif d'aide aux soignants en difficulté psychologique dans l'exercice de leur profession. Il s'agit d'un numéro d'appel* 24 heures sur 24. A l'époque, cette initiative était originale, truculente et dérangeante. Tout le monde avait furieusement envie d'oublier que cette problématique n'était pas qu'individuelle mais collective. Ce sujet a pris encore plus d'ampleur avec une tension démographique de plus en plus forte. Entre les suicides et la multiplication des agressions de soignants, cette sensation de malaise professionnel semblait ne pas être qu'individuelle mais plutôt collective. Les choses ont tellement évolué que maintenant, il y a plusieurs associations qui se sont développées sur le même mode que l'AAPML avec des fonctionnements un peu différents. Il y a quelques jours nous étions justement réunis à l'Ordre des médecins pour fédérer ces associations. Dans le même axe, cet épuisement professionnel a commencé à être reconnu par les uns et les autres, à tel point que la question de reconnaissance en maladie professionnelle a été évoquée. La HAS va sortir très prochainement un guide qui va s'appeler "repérage et prise en charge de l'épuisement professionnel". Il y a aussi une stratégie nationale d'amélioration de la qualité de vie au travail des professionnels de santé avec en sous-titre, "prendre soin de ceux qui nous soignent". Cette stratégie nationale a été présentée par Marisol Touraine le 5 décembre dernier pour son versant hospitalier et le 21 mars dernier pour son versant ambulatoire. Cette stratégie nationale se donne comme mission d'améliorer la qualité de vie au travail des soignants et notamment de les soigner et de les accompagner dans des problématiques spécifiques. Elle reconnaît la pénibilité du métier de soignant. Dans cette dynamique de reconnaissance générale, il y a aussi un risque avéré qui est de diluer l'épuisement des soignants dans un épuisement général de rapport au travail, en évacuant la spécificité du soignant. Comme si cet épuisement professionnel n'avait pas été décrit initialement chez les soignants. Comme s'il ne touchait pas très fortement les soignants. Et comme si, une fois de plus, les soignants n'avaient qu'à soigner les autres mais qu'on n'avait pas le temps de s'occuper d'eux. Pourquoi les soignants sont-ils si mal soignés ? Il y a plusieurs raisons. La première est que le soignant, par essence métaphysico-philosophique, n'a pas besoin d'être soigné puisqu'il est un super-héros. Deuxièmement, quand le médecin a besoin d'être soigné, il pense que c'est un signe de défaillance. Enfin, troisièmement, il pense qu'il est capable de le faire lui-même. Il a la possibilité de s'auto-prescrire des choses, mais ça n'est pas bien fait, avec une tendance à retarder la prise en charge. C'est le banal syndrome du cordonnier qui est mal chaussé. Mais il y a vraiment ce côté métaphysique. Molière disait déjà "qu'un médecin malade, ça la fout mal". Comme s'il y avait un lien entre la santé du médecin et sa capacité à soigner les autres. Le sujet est encore très tabou… Oui très largement. On avance mais cela reste un tabou. Il y en a d'ailleurs plusieurs. Le premier est que le médecin n'a pas besoin d'être soigné. Il est indemne. C'est un tabou partagé par la collectivité, à savoir par les médecins et par les patients. Autre tabou : le médecin est capable de se soigner tout seul. Enfin, dernier tabou, on ne soigne pas les médecins comme les autres. C'est à la fois vrai et faux. Il est important de faire descendre les médecins sur Terre en disant qu'ils ne sont jamais que des humains, malades comme tout le monde. Mais il y a une prise en charge spécifique, comme cela pourrait être le cas pour une lombalgie chez un travailleur du bâtiment. L'abord du médecin malade est spécifique, ne serait-ce que parce qu'il est examiné par un autre médecin. Il y a un regard réciproque avec des jugements et des attentes… Il y a différentes choses qui sont en cours, notamment la campagne "Dis doc t'as ton doc ?", pour inciter les médecins à avoir des médecins traitants. C'est une très bonne chose. J'ajoute qu'il ne s'agit pas uniquement de soigner les soignants, mais de prendre soin des soignants, de les respecter dans leur travail délicat et important pour la santé des populations. Prendre soin d'eux, c'est aussi, les payer, ne pas les insulter, savoir qu'ils ne peuvent pas tout faire, accepter qu'ils soient parfois défaillants… Il faut les aider à travailler plutôt que leur en demander toujours plus. Les institutions et les pouvoirs publics sont-ils assez à l'écoute et au service des médecins ? Je pense qu'on avance un peu mais on est encore loin du compte parce que la médecine, c'est un peu le camion-balai de la société. On a l'exemple des urgences où les gens s'y rendent et estiment que c'est normal. On n'a jamais vu un service qui lorsqu'il est surchargé, continue à travailler quand même. Or les urgences, par essence, ne peuvent pas dire "le personnel est fatigué, on ferme". Mais il y a frémissement. L'Igas a sorti un rapport sur les risques psycho-sociaux chez les soignants, qui a donné lieu à la stratégie nationale. On espère que ça n'est pas uniquement un effet d'annonce. Qu'en est-il de la jeune génération de médecins qui arrivent sur le marché du travail ? Les jeunes sont à la fois une belle réponse et une aggravation de la problématique. Ils refusent de s'installer, veulent une qualité de vie et ils ont raison. Dans le même temps, le fait qu'ils ne s'installent pas aggrave la charge de travail de ceux qui sont en activité. Mais il y a des mécaniques humaines qui font que les vieux vont partir et donc que cet état d'apparente maîtrise d'une situation tendue ne va pas durer éternellement. Si on anticipe pas cela, je ne sais pas comment les choses vont évoluer. Dans cette campagne présidentielle, avez-vous le sentiment que les candidats ont pris la mesure du problème ? J'ai l'impression que ça n'a intéressé personne. Quand on voit la problématique du terrorisme, par exemple, on se dit qu'il y a plus urgent que les soignants. C'est un sujet qu'on laisse derrière parce qu'on se dit qu'il y a plus urgent. C'est un peu comme l'enseignement. Or, enseignement ou santé sont les signes de l'état de notre société. Si les enseignants ou les soignants ne vont pas bien, cela veut dire que c'est la société qui va mal. C'est aussi se mépriser soit même que de mépriser ses soignants. Prendre soin de ceux qui nous soignent, c'est prendre soin de nous. *0826 004 580
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