Baisse de la ROSP et réforme fiscale : "Je vais devoir faire un emprunt sur 24 mois"

19/06/2018 Par Fanny Napolier
Installée depuis 15 ans, cette généraliste pensait avoir trouvé un bon équilibre économique. C'était sans compter la baisse de la ROSP et le prélèvement à la source en janvier prochain. Sans parler des charges en constante augmentation. Pour faire face, elle va devoir faire un emprunt.

  "Je suis généraliste associée dans un cabinet en milieu rural. Je suis installée depuis 15 ans. On est deux femmes, on partage le temps de travail. Je fais entre 35 et 40h par semaine. Mensuellement, je suis à 4 500 ou 5 000 euros de chiffre d'affaires avant impôts. C'est variable selon les mois. Je n'ai pas un gros chiffre pour une généraliste, mais j'ai fait le choix de faire 40 heures. Je ne veux pas travailler plus. Je suis seule dans mon foyer fiscal avec deux enfants à charges.

"Moins 2000 euros, avec plus de patients"

Toutes les charges ont augmenté. L'Urssaf, la Carmf, l'abonnement à VIDAL, le comptable pour le cabinet, l'électricité, la maintenance du logiciel Hellodoc… En quatre ans, nos charges ont globalement augmenté de 200 euros par mois, donc 100 euros chacune.

A cela, s'ajoute une baisse de ma ROSP. L'année dernière, sur la convention 2016, j'ai touché au total 6 620 euros de ROSP clinique et forfait organisation du cabinet. Le tout pour 772 patients. Je n'avais même pas les 800 patients nécessaires pour avoir le taux plein. Cette année, j'ai 802 patients, donc j'atteins le seuil et je vais toucher au total 4 588 euros. C'est moins 2 000 euros, avec plus de patients. Dans le détail, pour l'organisation du cabinet, l'équivalent du forfait structure j'avais 2 763 euros l'année dernière, et cette année j'ai 1 300 euros. Pour la ROSP clinique j'avais 3 856 euros, et cette année j'ai 3 258 avec plus de patients. Je pense que j'ai bénéficié de la pondération, qui est appliquée si notre ROSP baisse trop par rapport à l'année dernière.   Les chiffres sont invérifiables, et il y a des erreurs Pour la surveillance des traitements par AVK, j'ai 0 point. Alors que je suis embêtée deux ou trois fois par jour pour des patients sous AVK. Les gens qui font leur prise de sang à l'hôpital ne sont pas comptabilisés. Pareil pour le dépistage du cancer du côlon. Tous les patients de plus de 50 ans doivent le faire, sauf ceux qui ont des antécédents familiaux ou ont déjà fait une coloscopie dans les cinq ans. Je pense qu'il y a des erreurs là aussi puisque la CPAM n'a pas accès aux antécédents des patients.

"Refuser la ROSP? Je ne peux pas"

De toutes façons, c'est invérifiable. Je suis en train de préparer une lettre pour contester les chiffres, fournie par mon syndicat. Je leur demande de me fournir la liste des patients qui n'ont pas bénéficié du dépistage du cancer du côlon et qui auraient dû l'avoir, qui n'ont pas bénéficié de la surveillance de leur INR. Je demande des comptes sur les chiffres qu'on m'a sortis. Je pense que ça n'aboutira pas, mais peut être que si on conteste tous, ça portera ses fruits. Il faut arrêter avec ces rémunérations à la prime. On veut un montant de consultation plus honorable et plus proche de la moyenne européenne. Refuser la ROSP ? Je ne peux pas. J'aimerais bien. Certains médecins le font. Mais moi, je ne peux pas m'asseoir sur 4 000 ou 6 000 euros à l'année.

Mon ami est agriculteur. Ils ont la PAC depuis plusieurs années. Ils ont accepté cette prime en échange du prix du blé stable, sans tenir compte du coût réel de production. Et au fil du temps, on leur diminue le montant. La prime aura bientôt diminué de 50%. Nous c'est pareil. On accepte une consultation à 25 euros, et on nous donne des primes qui font soi-disant une consultation à 31 euros. Je préfère une consultation à 31, 35 ou 50 euros comme la moyenne européenne et ne plus avoir de primes. Ce n'est pas valorisant. On a l'impression d'être sous perfusion de l'Etat. C'est un peu décourageant. En plus, j'ai une réduction fiscale sur un appartement en loi Scellier, mais ces dispositifs de réduction d'impôt ne sont pas pris en compte dès le départ pour calculer le montant de l'impôt. Mon impôt de l'année prochaine prélevé avant toute réduction, est multiplié par rapport à cette année par 1,8. C'est presque le double. C'est costaud à budgétiser. Même si ce sera rétrocédé après, je dois quand même avancer les sommes. L'année prochaine, avant toute déduction, j'aurai à avancer 17 000 euros. C'est 7 000 euros de plus que ce que je paie habituellement. Je vais devoir faire un emprunt de 7 000 euros. J'ai été voir mon banquier, et après étude de ma situation je ferai un prêt à la consommation sur 24 mois à un taux de 1%. Je pourrai rembourser en anticipé sans frais quand le trésor public prendra en compte mes déductions fiscales ! Je trouve cela affligeant de devoir emprunter pour payer une somme que je ne devrais pas payer si Bercy avait anticipé toutes ces questions avec le prélèvement à la source.

"J'ai 45 ans, je pensais pouvoir souffler. Et non."

Je constate que pour maintenir un niveau de vie égal, je prends moins de vacances. Il y a 15 ans, j'avais des enfants en bas âge. Je me permettais de prendre toutes les petites vacances scolaires, plus trois semaines l'été. Aujourd'hui, je prends une semaine sur deux et deux semaines l'été. Je ne suis pas malheureuse. J'ai plus de vacances que la moyenne, mais je les ai réduites pour maintenir un niveau de vie égal. Je suis obligée de compenser, alors que la consultation a un peu augmenté, qu'on a ces primes… Ça fait 15 ans que je suis installée, c'est la première fois que je suis confrontée à ce genre de problème. Ça me mine pour l'année prochaine. J'ai un enfant étudiant, il faut le loger. Je vais devoir trouver des sous quelque part. Après 15 ans, on se dit qu'on est dans la routine. J'ai 45 ans, je vais bientôt finir de payer ma maison. Je pensais pouvoir souffler. Et non. Les médecins qui ont aujourd'hui 70 ans, quand ils avaient 45 ans, ils avaient un niveau de vie, un patrimoine immobilier, que je n'ai pas. Ce n'est pas que le fait du prélèvement à la source, c'est un tout. C'est peut-être mon rythme de travail aussi, je devrais peut-être travailler plus. Mais j'estime que c'est déjà pas mal. Je n'ai pas envie de finir en burn out."

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