"Certaines spécialités sont en train de disparaître de la médecine de ville"
Egora.fr : Alors que l'épidémie repart en phase ascendante, plusieurs dispositifs mis en place au printemps n'ont pas été ou ne seront pas reconduits tels la rémunération des consultations par téléphone ou la fourniture de masques aux libéraux par l'Etat. Les médecins doivent-ils s'attendre à revivre les mêmes difficultés ? Dr Jean-Paul Ortiz : Si l'épidémie repart de façon importante, il faudra immédiatement en tirer les conclusions. Si l'épidémie atteint un niveau significatif dans un département, il faudra réarmer les centres Covid. Pour les consultations par téléphone, nous allons en discuter avec l'Assurance maladie : nous pensons qu'il y a une place pour ces consultations, dans un cadre précisé et réglementaire afin d'éviter des dérives. En ce qui concerne les équipements de protection individuels, la direction générale de la Santé a demandé aux professionnels de santé libéraux de se doter de trois semaines de masques en réserve ; ce qui veut dire qu'au-delà de trois semaines, j'imagine que les services de l'Etat feront le nécessaire… Tout cela a un coût. Et ce surcoût dans le fonctionnement de nos cabinets, il faudra bien qu'il soit intégré dans nos mécanismes tarifaires. De cela aussi, nous allons en discuter avec la Cnam pour voir comment indemniser cette nouvelle contrainte.
Quelle est votre position sur le port du masque en extérieur ? C'est une mesure qui a été adoptée dans de nombreux pays européens. Ça fait partie des mesures barrières, mais ce n'est pas l'alpha et l'omega ; ça doit s'accompagner d'autres réflexes et surtout de bon sens. Le port du masque en extérieur est indispensable lorsque la distanciation ne peut être assurée. Ce n'est pas logique de voir des personnes face à face sans masque à la terrasse d'un bar, en semi-extérieur, de façon prolongée. A l'inverse, ce serait ridicule de verbaliser une personne non-masquée dans une rue déserte. Et s'agissant de la stratégie de dépistage ? Qu'on dépiste beaucoup, oui, trois fois oui. Il faut dépister le plus possible. Mais la problématique aujourd'hui, c'est la façon dont on organise les choses. On ne peut pas avoir des délais d'attente dans les laboratoires de plusieurs heures, voire de plusieurs jours sur rendez-vous, pour des personnes symptomatiques et des personnes contacts lorsqu'il y a une prescription médicale. Il faut absolument prioriser les RT-PCR demandés par les médecins, par rapport aux tests de "complaisance", qui sont faits juste parce qu'on veut savoir et qui sont moins urgents. C'est fondamental d'avoir un test dans les plus brefs délais pour les cas suspects. Et actuellement, ce n'est pas forcément priorisé dans les laboratoires.
Des négociations conventionnelles doivent s'ouvrir dans les prochaines semaines, notamment sur la prise en charge des soins non programmés par les médecins libéraux. Dans sa lettre de cadrage, Olivier Véran a d'ores et déjà exclu de faire évoluer la rémunération à l'acte directe, privilégiant "des solutions de financement aux résultats". Quelles sont vos revendications ? Premièrement, la prise en charge des soins non programmés en journée doit s'accompagner de la mise en place d'une régulation par les médecins libéraux qui doit respecter deux conditions : elle doit pouvoir se faire de façon délocalisée et elle doit être rémunérée. Deuxièmement, les médecins généralistes vont prendre en charge ces soins non programmés sur la base de l'équivalent d'un tableau de garde par territoire. Ils doivent avoir la liberté de s'organiser : certains dégageront 2-3 heures dans leur planning, d'autres prendront les soins non programmés au fil de l'eau toute la journée. Il est certain que cela bloque le médecin au cabinet et que ça désorganise son activité habituelle. Ce service-là doit correspondre à un forfait d'astreinte. Troisièmement, si l'on veut que les médecins participent à la prise en charge des soins non programmés, cela ne peut passer que par une valorisation de ces actes. Ça se fait dans certaines régions, dans le Grand Est par exemple. Ça se fait pour les soins non programmés du médecin traitant, quand ils sont régulés avec la cotation MRT 15 euros.
Qui n'est pas appliquée… Que fait le patient qui a son médecin traitant et qui ressent la nécessité d'une prise en charge rapide ? Il contacte son généraliste, pas le 15. Et ce dernier régule cet appel en lui disant de passer tout de suite ou dans trois jours. Le patient n'appelle le 15 que si son médecin n'est pas disponible. Donc c'est peu utilisé. Nous plaidons donc pour que les soins non programmés soient régulés à hauteur de cette cotation et que la condition médecin traitant soit supprimée, c'est-à-dire que tous les soins non programmés régulés fassent l'objet d'une valorisation. Pour les médecins spécialistes, il faut améliorer la prise en charge en proximité pour éviter le recours à l'hôpital. La majoration MCU actuelle doit être accessible de façon plus large, probablement en assouplissant le critère de 48 heures. Etes-vous favorable à un financement "aux résultats"? On verra comment on peut l'organiser… La réponse aux soins non programmées, avec régulation, peut être évaluée. Je fais simplement remarquer que s'il y a une régulation libérale organisée en journée, le mécanisme s'auto-finance, voire génère des économies pour l'ensemble du système de santé en évitant des passages aux urgences.
Le volontariat restera la règle ? De ce point de vue-là, il n'y a pas de débat. Et que va-t-il advenir du numéro 116-117? Le débat n'est pas tranché. Les représentants des médecins libéraux à leur unanimité ont pris position pour le 116-117. Il va y avoir des expérimentations, on va voir comment cela se passe. Je pense que cela va dépendre des endroits : dans certains territoires, on va pouvoir construire des organisations sans qu'il y ait le 116-117, dans d'autres c'est indispensable pour ne pas devenir les effecteurs, pour ne pas dire les larbins, de l'hôpital. Là aussi, il faut un peu de pragmatisme. Les négociations avec les médecins vont également aborder la rémunération des spécialistes, avec une extension de la Rosp et une revalorisation de certains actes de consultations pour des spécialités essentiellement cliniques telles les pédiatres, les psychiatres et les gynécologues médicaux, souhaite Olivier Véran. Est-ce suffisant ? Pour moi, l'extension de la Rosp à toutes les spécialités va permettre de valoriser une démarche de qualité et de pertinence des prises en charge, que certaines spécialités ont déjà engagé sur deux ou trois thématiques avec les CNP. En revanche, il est hors de question de se cantonner à une revalorisation des actes de consultation uniquement pour trois spécialités. L'activité clinique dans son ensemble est très sous-évaluée. Et certaines spécialités essentiellement cliniques (pédiatres, psychiatres mais aussi rhumatologues, endocrinologues…) sont en train de disparaître de la médecine de ville. La situation est difficile et le Covid n'a fait qu'aggraver les choses. Que revendiquez-vous pour tous les spécialistes ? La place des spécialistes dans le système de santé est très en deçà de ce qu'elle devrait être en termes de considération des politiques. On ne parle que de la médecine générale. Il était indispensable et légitime de revaloriser la médecine générale dans la convention de 2016, mais il est tout aussi indispensable de soutenir et revaloriser les autres spécialités car sinon, des spécialités entières vont disparaître en ville.
La consultation à 25 euros ne satisfait pas les généralistes non plus… On a des demandes de valorisation de l'acte de consultation du généraliste, nous verrons quelle réponse fait Thomas Fatome. Si on en discute dès maintenant ou s'il faut reporter cela à une prochaine convention, soit pas avant 2022… L'acte de base du médecin aujourd'hui devrait être à 50 euros. Mais je sais très bien que si je demande à Thomas Fatome de passer de 25 à 50 euros, soit il rigole, soit il s'étrangle… Il va falloir trouver la voie de passage pour revaloriser l'expertise du médecin et lui donner la place qu'il devrait avoir dans notre système de santé, sur le plan financier. La prise en charge des personnes dépendantes en Ehpad et à domicile sera également abordée dans les négociations. Quelles sont vos demandes ? On voit bien que les médecins aujourd'hui font moins de visites qu'auparavant, alors que la population vieillit et devient de plus en plus dépendante avec des pathologies chroniques. Il faut maintenir cette activité de visite à domicile, qui permet d'éviter des hospitalisations -ou en tout cas qui les retarde. Mais cela nécessite forcément une valorisation de ces actes. Il faut revaloriser la visite à domicile et substitut de domicile.
Une négociation interprofessionnelle doit également être menée sur la structuration territoriale des soins, avec les CPTS dans le "rôle pivot". Les rémunérations individuelles de coopérations "qui ne seraient pas structurées à l'échelle d'une patientèle" sont d'ores et déjà exclues. Qu'en pensez-vous ? Nous refuserons de faire de la CPTS un modèle unique et un passage obligatoire. Si c'est ça, ça se fera sans nous. Par contre, s'il s'agit d'une valorisation et d'un soutien à l'exercice coordonné sous toutes ses formes, nous accompagnerons le mouvement. Il va falloir soutenir la coopération entre le médecin traitant et le médecin des autres spécialités, soutenir les équipes de soins primaires et de soins spécialisées qui sont en train d'émerger et enfin, les MSP, les CPTS. Il faut avoir une vision très large des choses. La télésanté doit être étendue à d'autres professions et son cadre assoupli pour les médecins. Qu'attendez-vous sur ce point ? Il faut certainement élargir le champ de l'avenant 7 en permettant de façon limitée et encadrée les consultations par téléphone. Il faut assouplir la condition de connaissance préalable du patient pour la téléconsultation, en particulier en médecine spécialisée. Il va également falloir développer la télé-expertise. Pourquoi elle ne décolle pas ? Parce qu'on n'a pas les outils adéquats et parce que le tarif est scandaleusement bas. Ce n'est pas pour 5 ou 12 euros qu'on va faire de la télé-expertise. On est des médecins quand même ! Il va falloir rebattre complètement les cartes. Enfin, la télésurveillance devrait être mise en place en particulier dans certaines spécialités pour le suivi à distance des patients à domicile. Pour l'instant, on a exclusivement des expérimentations article 51. Il faut rentrer dans le droit commun. La CSMF s'est lancée dans une vaste refondation. Quels sont les objectifs poursuivis ? La crise du Covid fait accélérer les innovations nécessaires de notre système de santé, au niveau de l'organisation du cabinet avec l'arrivée du numérique, des organisations nouvelles (regroupement, travail en équipe), de la coordination entre médecins et professionnels de santé et aussi des mécanismes de financement du cabinet afin de valoriser l'expertise du médecin. Tout cela nécessite forcément une restructuration de la représentation professionnelle, syndicale, des médecins. Nous avons décidé de rénover la CSMF afin d'en faire le point central de la médecine libérale. C'est pourquoi nous allons faire des travaux importants dans notre siège, qui sera la maison de la médecine libérale, avec une vision du cabinet de demain, en 2030. Il nous faut une représentation professionnelle qui corresponde à la médecine de demain. Les fédérations laisseront place à un conseil national représentant "toutes les spécialités et tous les âges" ... Les statuts seront modifiés, entre autres oui. A quoi ressemblera l'exercice professionnel dans 10 ans ? C'est un exercice regroupé de plusieurs médecins, de différentes spécialités, avec d'autres professionnels de santé - certains salariés, d'autres libéraux. Le médecin seul dans son cabinet appartiendra de plus en plus au passé. On va aller vers des établissements de santé ambulatoires. La prise en charge des patients sera coordonnée, notamment grâce aux outils numériques. Le cabinet de demain ne sera pas une structure lourde et bureaucratique, au contraire. Les médecins exerceront probablement sur des temps partagés, et des lieux multiples. Ils seront un peu salariés à l'hôpital, dans un Ehpad, une PMI et le reste du temps en libéral.
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