Depuis des mois, les étudiants en médecine ont intensifié leurs efforts pour dénoncer le “mépris” dont ils se disent victimes : campagne sur les réseaux sociaux, rendez-vous ministériels, manifestations, appel à la grève en stage… Du premier au troisième cycle, ils sont particulièrement déterminés à protester contre la coercition à l’installation ou l’ajout d’une quatrième année d’internat de médecine générale ; et veulent coûte que coûte protéger le statut des médecins, de manière générale. C’est dans ce contexte tendu pour les carabins que se sont ouvertes les négociations conventionnelles, après plus d’un an de report. Des négociations ardemment attendues par les médecins seniors, eux aussi en grève, qui entendent mieux se faire rémunérer et mieux prendre en charge leurs patients, malgré certains blocages de l’Assurance maladie. "La prochaine convention aura pour enjeu, dans un esprit de responsabilité collective et de solidarité, de réduire les inégalités sociales, financières et territoriales d’accès aux soins tout en conservant un impératif de qualité des soins apportés et un niveau de prise en charge élevé. Elle devra soutenir l’action des médecins libéraux en situant leur intervention dans un cadre renforcé de coopération avec les autres professionnels de santé", écrivait l’Assurance maladie dans un document transmis aux syndicats de médecins libéraux, en amont de l’ouverture. Mais à ces négociations conventionnelles… les syndicats des futurs médecins n’ont pas leur mot à dire. Conviés à assister aux discussions avec la Cnam, l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), l’InterSyndicale nationale des internes (Isni), l’Intersyndicale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG) et le Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR) n’ont, eux, qu’un statut d’observateur. C’est pourtant à l’occasion de cette nouvelle convention que vont être négociés des dossiers cruciaux tels que la rémunération, le gain de temps médical, des soins non programmés, du partage de tâches : autant de décisions qui auront un impact direct sur l’activité des médecins de demain.
Des critères à remplir pour être observateurs “On est un peu comme des scrutateurs”, s’amuse Olivia Fraigneau, présidente de l’Isni. “On a le droit d’avoir un avis, même si on ne prend pas part au vote et à la signature”, résume-t-elle avant de tempérer les choses : “Je m’attendais à un statut d’observateur où on est dans le fond de la pièce et où on n’a pas le droit de parler. Ce n’est pas le cas !” Comme elle, la Dre Elise Fraih, présidente de ReAGJIR, considère que c’est un “soulagement” de pouvoir au moins être observateur. “On a dû faire un gros dossier pour l’enquête de représentativité de l’Assurance maladie qui a été menée suite aux élections URPS. Rien ne promettait qu’on puisse être ‘validés’. C’est comme si on devait être jugés dignes de la Cnam.” Car cette année, “les places étaient chères”, rappelle la Dre Fraih. “On a eu l’impression que c’était serré, tout le monde n'a pas été invité. Pour beaucoup de structures jeunes, c’est la première fois que nous sommes conviés et nous en sommes fiers.” “C’est clairement dommage. Au-delà d’être observateur, c’est la crédibilité qui nous manque”, dénonce de son côté le président de l’Anemf, Yaël Thomas. Moins enclin à se satisfaire d’une simple invitation, l’étudiant en médecine aimerait que leurs structures puissent être "mieux incluses dans les discussions en amont et en aval des rendez-vous officiels”. “Actuellement, on apprend sur Egora que les séances sont suspendues, décalées… Pour moi, c’est là-dessus qu’ils pourraient travailler avant même d’envisager le statut de votant et de partenaire pour les jeunes.” Pourtant, relève le vice-président de l’Isnar-IMG, “la caisse a plutôt l’air ouverte à la discussion, ou en tout cas à nous considérer”. Le mois dernier, au début des négociations conventionnelles, les équipes de Thomas Fatôme ont, en effet, organisé une réunion avec les syndicats jeunes. “Officiellement, c’était pour prendre nos avis. Je ne sais pas s’ils ont tenu compte de ce qu’on leur a dit mais ils nous ont annoncé, à cette occasion, les grands objectifs de la caisse”, rapporte Clément Porcher, qui indique également avoir suggéré au DG de la Cnam d’organiser une bilatérale jeunes. “On voudrait sonder les choses, voir comment ils veulent faire évoluer tels ou tels dossiers.” Des négos dans les négos “On connaît les règles, on compose avec”, assure la Elise Fraih, de ReAGJIR. Car pas question, pour les jeunes, de laisser les choses se faire sans tenter de glisser leurs priorités au menu des discussions. “On négocie énormément en coulisses et personne ne le voit”, s’amuse-t-elle. “On a des contacts réguliers avec les syndicats seniors, qu’on a renforcés en vue des négos mais qui se sont aussi renforcés naturellement avec toutes les mobilisations qu’on a eu dernièrement. C’est à travers ces discussions qu’on voit avec eux ce qu’ils portent pour tel ou tel dossier et qu’on essaie d’influer sur tout ce qui a trait à la jeunesse”, complète Clément Procher. “C’est beaucoup d'échange, on essaie de trouver des propositions communes. On ne se positionne pas auprès d’un syndicat en particulier, mais on essaie d’échanger de manière informelle avec chacun”, poursuit Yaël Thomas. “Notre bureau réfléchit aux propositions, établit un document de travail. On fait comme si on faisait partie des négociations, on a la même rigueur que si on nous demandait demain notre avis”, illustre la présidente de ReAGJIR. “On évoque tous les sujets : qu'est-ce qu’on pense de la consultation ; est-ce qu’il faut la revaloriser ; est-ce qu’il faut une cotation, si oui pourquoi ; qu’est-ce qu’on pense de la Rosp ; est-ce qu’on veut une rémunération plutôt mixte ; qu’est-ce qu’il faut changer ; est-ce que la patientèle médecin traitant et la file active sont les meilleurs indicateurs ; est-ce qu’il en faut d’autres”, poursuit-elle. Leur objectif est de parvenir à organiser des réunions privées avec chacun des syndicats seniors sur un ou plusieurs dossiers afin que ces derniers mènent le combat en leur nom. “Actuellement, le souci, c’est que nos revendications ne sont pas celles qui agitent les foules. Les séances sur ces sujets-là seront plutôt en février”, précise le président de l’Anemf, faisant référence à la demande des syndicats seniors de bousculer le calendrier pour commencer par la négociation tarifaire. “Pour la problématique principale qui nous touche à ReAGJIR, c’est-à-dire le conventionnement des remplaçants, on espère que cela va pouvoir être évoqué et porté. C’est là qu’on peut ressentir un sentiment à la fois de grand dialogue et d’impuissance”, reconnaît la présidente du syndicat. “Nos actions de lobbying sont un peu au calme plat car les syndicats seniors ne sont pas prêts pour l’instant”, confirme Olivia Fraigneau.
Des priorités différentes “Aujourd’hui, on doit négocier pour les jeunes car les médecins déjà en exercice depuis plusieurs années ou proches de la retraite se sentent parfois désintéressés de ce qu’on veut”, estime la présidente de ReAGJIR. “C’est pour ça que c’est dommage de nous laisser sur la touche”, renchérit Yaël Thomas. Prudents sur l’utilisation du terme “clivage” entre deux générations de médecins, les responsables des syndicats reconnaissent toutefois que les priorités des jeunes soignants peuvent parfois différer. “Ce qui peut exister, c’est une image entretenue par les politiques, du jeune qui ne veut pas travailler comme avant, qui souhaite des horaires différents… Mais en réalité, on voit qu’on a tous la même préoccupation : avoir à cœur d’entretenir une bonne continuité des soins. On pense qu’un temps bien investi en collaboration sur le terrain peut permettre d’y arriver.” C’est en ce sens que les syndicats jeunes aimeraient pouvoir faire part de leurs propositions directement à la Cnam. “On est convaincus que tout le monde doit mettre du sien pour trouver des solutions pour l’accès aux soins et faire évoluer la rémunération”, avance le président de l’Anemf. Sur ce terrain, deux stratégies opèrent. Il y a d’abord celle de la “ligne rouge” à ne pas dépasser. “Sur la coercition, sur un statut de médecin traitant qui serait éloigné du soin, par exemple”, appuie Clément Porcher. “On n’a pas de plaidoyer à faire porter à l’occasion de ces négos, mais on est là pour élever la voix si ça allait dans un sens qui serait dangereux pour le statut des médecins”, poursuit-il. Stratégie partagée par l’Isni. “On sera hyper attentifs à ce qu’il n’y ait aucun conventionnement sélectif car les premiers qui en paieront le prix, ce sont littéralement les médecins de demain et les patients, mais pour le reste on n’a pas les compétences touts seuls pour dire qu’il faut que ça se passe concrètement comme ça ou comme ça. On est ouverts à la discussion”, rappelle Olivia Fraigneau. “On défend la place centrale du médecin traitant, qui doit être le coordinateur principal du soin. On est favorable à une rémunération générale du revenu du généraliste, mais pas forcément à 50 euros. On ne porte pas de chiffre défini, on écoute ce que disent les seniors, mais on veut une revalorisation globale de sa rémunération, compte tenu de sa charge de travail”, précise le vice-président de l’Isnar-IMG. “On défend l'amélioration de l’accès aux soins et notamment ce qui peut relever de l'accès direct à certaines professions, on y est favorables”, abonde la présidente de l’Isni. “Mais tout ça sous-entend qu’il faut repenser la tarification des médecins. Il faut avoir une réflexion sur la tarification à l’acte qui n’est peut-être plus appropriée tout le temps, il ne faut pas perdre la qualité de vie des médecins.” Sur ce point, l’Anemf rejoint les internes. “Nous pensons qu’il faut assurer une part forfaitaire pour une meilleure qualité des soins et éviter qu’on soit plongés dans un modèle économique de rémunération qui oblige à faire beaucoup de volume, réfléchit Yaël Thomas. Au final, ça dégrade la qualité de soin car il faut beaucoup de consultations courtes pour avoir une rémunération correcte.” Tout comme les syndicats seniors, l’Anemf est donc pour "avoir des rémunérations différenciées en fonction de la complexité de la consultation”. Pas favorable à un acte à 50 euros, l’association défend cependant sur une revalorisation du C “en faisant confiance aux syndicats seniors”. Yaël Thomas insiste par ailleurs, lui aussi, sur l’interprofessionnalité. “On a vraiment envie qu’on puisse négocier avec d’autres professions. C’est dommage d’avoir des négociations mono-métiers… Pour nous, tant qu'on ne mettra pas toutes les professions autour de la table, ça fonctionnera mal”, tranche-t-il. Il souhaite enfin un “véritable engagement sur le plan pédagogique qui puisse être valorisé dans les structures coordonnées” et "insister sur la transition écologique.” “Avant d’augmenter l’offre de soins, on peut réfléchir à comment baisser la demande. Si on n’agit pas maintenant sur les questions de transitions écologiques, on va continuer cette demande de soins. Pour nous, c’est intimement lié.”
“Ce n’est pas anodin, une négo” ReAGJIR, lui, a opté pour la stratégie de passer outre le statut d’observateur et de porter une revendication forte. “Ce qu’on défend tout seul, c’est le fameux conventionnement des remplaçants. Pour le moment c’est inaudible. Mais nous avons également réfléchi à la rémunération”, explique Elise Fraih. “Doubler le G nous semble excessif, ça ne nous semble pas possible en termes d’accès aux soins. Mais on est pour une revalorisation du tarif de la consultation. On est aussi pour la consultation complexe”, développe-t-elle, précisant qu’ils sont également favorables à la "simplification administrative”. “On voudrait une rémunération mixte à l’acte et au forfait mais on veut réfléchir à une manière de rendre la Rosp plus transparente, plus claire et plus juste. Nous, par exemple, on veut signaler qu’un collaborateur voit une énorme file active mais ne se déclare pas médecin traitant car il est collaborateur des autres. Il est pénalisé pour la Rosp”, dénonce-t-elle. Conscients que toutes ces propositions ne seront pas portées par les syndicats seniors, les organisations se sentent déjà reconnaissantes que certains s’intéressent à leurs problématiques. “On a le temps d’écouter tout le monde en tant qu’observateur. On prend conscience que ce n’est pas anodin les négos”, résume la présidente de ReAGJIR. La prochaine séance multilatérale doit se tenir le 15 décembre.
A la suite de la parution de notre article, le président de Jeunes Médecins a tenu à rappeler qu’après un bras de fer judiciaire, le Conseil d’Etat, saisi par la structure, a finalement tranché en leur faveur en imposant à la caisse de les intégrer aux discussions, sous le statut d’observateur. Ils n’avaient pas été conviés initialement par la caisse suite à l’enquête de représentativité, menée après les élections URPS. “On est sur le même raisonnement que lors du Ségur de la Santé, les négociations post-Ségur, les élections URPS dont nous avions été oubliés…”, s’est agacé le Dr Emmauel Loeb, président de Jeunes Médecins. Selon lui, cet “oubli” s’explique “probablement par des positions qui ont été prises par le syndicat et qui ne sont pas dans les attentes du Gouvernement”. “C'est une éviction politique”, estime encore le syndicaliste.
Pourtant, le syndicat a des propositions à faire valoir, se défend le Dr Loeb. “On pense qu’il faut une revalorisation des tarifs en secteur opposable. C’est l’une des seules armes qui permet le choix du secteur 1 et donc un meilleur accès aux soins pour les patients”, indique-t-il d’abord. Jeunes Médecins est également favorable au transfert de tâches vers d’autres professionnels de santé et défend le déplafonnement de la téléconsultation, “notamment pour la spécialité de psychiatrie”. Pas totalement convaincu par le tout-forfait, qui “ne permet pas de revaloriser le travail du médecin d’aujourd’hui compte tenu de ses contraintes”, le Dr Loeb souhaite que la caisse se penche sur l’attractivité de la spécialité de médecine générale. S’il s’opposera à toute forme de coercition, le syndicaliste souhaite enfin “mettre l’accent sur la formation initiale”.
Quant à savoir où en sont leurs relations avec la caisse aujourd’hui, le Dr Loeb regrette “qu’aucun canal de dialogue” ne soit ouvert entre Jeunes Médecins et Thomas Fatôme.
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