EXOSAN

Crédit photo : Fabrice Dimier

"Être militaire, c’est se tenir prêt" : immersion au cœur de l'ExoSan, avec les futurs médecins des forces armées

Du 13 au 17 mai dernier, 63 internes en médecine militaire en fin de cursus ont participé à l’exercice opérationnel santé (ExoSan) destiné à les mettre en conditions réelles de sauvetage sur un théâtre d’opérations. Entre ateliers « statiques » et « réflexifs » et d’autres « très dynamiques » et de « haute intensité », bons gestes à acquérir, jeux de plateau... la pratique, même simulée, s’avère « difficile ».

22/07/2024 Par Pauline Machard
Reportage Médecine militaire
EXOSAN

Crédit photo : Fabrice Dimier

« Être militaire, c’est se tenir prêt. C’est ça que demande la nation. À quoi faut-il être prêt aujourd’hui quand on est mé­decin militaire ? Potentiellement, à des pertes massives. C’est ça qu’on enseigne à nos élèves », pose le médecin-général inspec­teur Guillaume Pelée de Saint Maurice, depuis un plateau surplombant le camp militaire de la Valbonne (Ain). C’est là que, du 13 au 17 mai, s’est déroulé l’ExoSan –exercice opérationnel santé » –, organisé par l’École du Val-de-Grâce (dirigée par Guillaume Pelée de Saint Maurice) et son centre de forma­tion opérationnelle santé (CeFos), avec le soutien logistique du régiment médical de l’armée de terre.

L’exercice, qui vise à renforcer les compé­tences des internes des hôpitaux des armées en matière de prise en charge des blessés militaires en zones de combat, est ancien. Il a « commencé, sous une forme similaire, au milieu des années 2000, en pleine période d’Afghanistan, se souvient le directeur de l’Académie de santé des armées (Acasan[1]). S’il y a toujours eu des exercices de terrain pour nos internes au cours de leur scolarité à l’École du Val-de-Grâce, c’est à ce moment-là qu’on a cherché à modifier la doctrine, en s’appuyant sur le sauvetage au combat, en concevant le sauvetage au combat à ses trois niveaux(2). Et qu’on a voulu faire travailler nos élèves dans un mode de simulation plus poussé, plus appro­fondi, donc sur un camp terrain ».

 « Bon compromis de carrière »

Le maximum est fait pour mettre les élèves en conditions réelles de médecine de guerre. Ils doivent appréhender une zone de campement. Des personnels au­xiliaires sanitaires, préalablement grimés, incarnent les blessés. Il y a du bruit : des cris, des « J’ai maaaaaaaaal », des « Aaaaaah », des gémissements de douleur mais aussi des effets sonores d’explosion. Ils n’ont pas d’autre choix que de composer avec la météo du moment, qui « rusticise les condi­tions », observe le médecin en chef Olivier, référent pédagogique de l’ExoSan. En effet, en cette mi-mai, la température est fraîche. Mais surtout il pleut. « On avait commandé la pluie, on a été écoutés », lâche, dans un rictus, le médecin en chef Aurélien, son adjoint. La boue est partout.

L’édition 2024 compte 63 futurs médecins militaires participants. L’effectif, tout en treillis et mixité, est composé en grande majorité d’internes de médecine géné­rale militaire en fin de cursus, principales cibles de l’exercice. Mais aussi de cer­tains internes de spécialités hospitalières (chirurgiens, réanimateurs, urgentistes) et de quelques réservistes. Auxquels il faut ajouter, cette année, 7 élèves-com­missaires d’ancrage santé et 8 cadets de santé. Parmi les internes de médecine générale, le lieutenant Alexandre, 28 ans, affecté à l’hôpital d’instruction des ar­mées (HIA) Robert-Picqué, à Bordeaux. S’il a toujours voulu exercer la médecine, « générale, en particulier », il n’avait pas « particulièrement d’attaches militaires au départ ». C’est son « sens de l’engagement », sa « volonté de [se] dépasser », son « goût de l’effort » et son « rêve d’aventure » qui l’ont poussé dans cette voie. Il y a aussi le lieute­nant Justin, 26 ans, affecté à l’HIA Percy (Clamart), qui a vu dans la médecine générale militaire un « bon compromis de carrière ». « J’ai un frère militaire, une soeur dentiste. J’ai pris le combo des deux, le meil­leur des deux », sourit-il.

Le métier auquel tous deux se destinent exige une grande polyvalence, détaille-t-il. Le médecin militaire généraliste est amené à pratiquer la médecine d’aptitu­de (il contrôle la condition physique du personnel) ; à répondre en consultation à des besoins « très importants » en méde­cine du sport ; en psychiatrie également, « puisqu’on a des jeunes recrues qui quittent parfois le foyer familial pour la première fois, se retrouvent dans un régiment avec des contraintes spécifiques et ont des premières opérations à l’extérieur dès leurs 18-19 ans ». Il fait aussi des consultations classiques, « comme en médecine générale civile ».

Moins d’une minute par blessé

Ce 16 mai, les élèves sont attablés pour le déjeuner. L’ambiance est à la camaraderie. Ils se connaissent pour la plupart depuis la première année de médecine. Au menu : ration de combat… ou sandwich/burger (au pain détrempé), initialement réservé aux formateurs. En opérations extérieures (Opex), le ventre n’aura pas toujours le choix, indique le lieutenant Justin : « En haute intensité, au front, dans les tranchées, ce sera ration. Hors intensité, à distance du front, on mangera plus du frais, même si la ration est très bonne ! » Tous en sont au troisième et dernier jour d’exercices opé­rationnels (dont certains nocturnes), sur les cinq journées que dure l’ExoSan. Il fait frais, il pleut sans arrêt, mais leur moral n’est pas entamé : « Ça fait partie de l’aguer­rissement ! », rit le lieutenant Alexandre. « Ils sont fatigués mais toujours pleins d’al­lant », salue le médecin en chef Olivier.

Le matin, le lieutenant Justin a, avec son groupe (il y en a dix), participé à deux ateliers. Dans le premier, une psychiatre les a aidés à conduire le débrief de soldats atteints psychiquement, après avoir prodi­gué les premiers gestes à des camarades vic­times d’une explosion et susceptibles d’en­traver la prise en charge au poste médical. Objectifs : « savoir comment s’occuper d’eux » ; « ne pas les oublier quand on se concentre sur les blessés physiques » ; appréhender « les mots à avoir » ; mais aussi, les jours suivants, dé­terminer « lesquels vont pouvoir passer le cap, lesquels vont avoir besoin de rentrer en métro­pole pour une prise en charge psychologique ou psychiatrique plus adaptée ». Ils n’y avaient jusque-là pas été initiés : « On s’en est assez bien sortis ! », se réjouit-il.

Il a enchaîné avec un atelier de « transfusion à l’avant », le Service de santé des armées (SSA) ayant « les capacités de faire des pré­lèvements de sang à l’extrême avant(3), donc de faire des transfusions à l’avant » pour se­courir les blessés hémorragiques, rappelle le médecin en chef Olivier. Au programme : révision des conditions de conserva­tion des produits sanguins, rappels sur la collecte de sang, le don, les contrôles prétransfusionnels... Le tout ponctué de « Nous sommes d’accord ! », « On est bons ! » de la formatrice. Il s’agit ici de remobiliser les connaissances, explique l’interne. Car ils ont déjà reçu, en février, une formation d’une journée au centre de transfusion sanguine des armées à Percy.

Une attention portée à l’Ukraine

Puis l’après-midi a été mobilisé sur une simulation d’attaque de convoi, « très réa­liste », du fait de l’utilisation de « grenades d’exercice, de balles à blanc », « d’effets sonores d’explosions ». En équipe sanitaire (1 mé­decin, 1 infirmier, 2 auxiliaires sanitaires), ils ont dû procéder par étapes : attendre que la situation soit sous contrôle, prendre connaissance d’un lieu sécuritaire pour dérouler la prise en charge, faire un pre­mier tour des huit blessés – idéalement, le triage doit se faire en « moins d’une minute par blessé » –, tenir au courant la chaîne de commandement du nombre et de la gra­vité, demander des renforts, des moyens d’évacuation… dans le cadre d’une situa­tion « évolutive ».

En tout, le lieutenant Justin aura suivi dix ateliers de deux heures (brief, jeu, débrief). Outre ceux du jour, il s’est re­trouvé dans une situation d’afflux massif de blessés sur un poste médical avancé ; dans l’attaque d’un convoi, avec gestion, retour vers un hélico, le tout accompagné de bruitages générant des conditions diffi­ciles de transmission ; dans une antenne de réanimation et de sauvetage ; il a travaillé la logistique au moyen d’un jeu de plateau à haute intensité (wargame), pour réflé­chir à « qui j’évacue en premier, à comment je catégorise mes blessés, qui je peux garder en poste médical, qui je dois très vite envoyer vers un chirurgien, un réanimateur », détaille le médecin en chef Olivier.

 Guerre hybride 

Il a aussi participé à l’atelier Patrouille, qui simule une situation où une équipe médi­cale pédestre est prise à partie et compte des blessés sur le terrain. Il s’est attelé à la gestion des risques NRBC (nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques) au sein de l’Unité médicale de décontami­nation des armées (UMDA) et a découvert le matériel avec lequel il partira en mission. Il a également eu un aperçu d’une attaque de drone dans une tranchée, occasion­nant des blessés. « C’est typiquement de la guerre hybride, commente le médecin en chef Olivier. De la tranchée 14-18 et du drone du XXIe siècle. Donc une gestion de blessés sur le temps long. » Le camp faisant partie du réseau Natura 2000, il était impossible de creuser. Alors ils ont profité d’un mouve­ment de terrain, plus loin.

Pour concocter cet ExoSan, les deux ré­férents ont tablé sur un enchaînement entre ateliers procéduraux, « statiques », « réflexifs ». Et des ateliers de « haute inten­sité », « très dynamiques », avec chacun un objectif pédagogique défini (pas toujours le soin, aussi le leadership, par exemple). Le but étant « d’avoir des temps plus posés, des temps dans le feu de l’action ». Ils ont aussi introduit des nouveautés (wargame, transfusion à l’avant, tranchée), pour deux raisons, met en avant le médecin-général inspecteur Pelée de Saint Maurice : « Capitaliser sur l’expérience du Service de santé des armées » et « tenir compte du contexte ».

Il s’agit de mettre les internes en « situa­tion de multivictimes », déroule le méde­cin en chef Aurélien. Et ce dans le cadre, « grosso modo », de « deux types de conflits » : « Les habituels, qu’on gère depuis vingt ans, ambiance corps expéditionnaire : des petits groupes, un petit nombre de victimes. C’est ce qu’on faisait au Sahel, en Afghanistan. Et puis on a tendance à se préoccuper de ce qui peut se passer en Europe de l’Est, ce qu’on appelle “à haute intensité”, avec un grand nombre de victimes et moins de soignants pour y faire face ». Les futurs médecins militaires pour­raient-ils partir en Ukraine ? « On espère ne pas en avoir besoin, répond le lieutenant Justin. Mais c’est quelque chose qu’on regarde attentivement, car on sait qu’il y a un risque que le futur conflit ressemble à ça. » Quand le président de la République évoque l’en­voi de troupes, « ça reste, pour l’instant, de la dissuasion. Mais s’il le faut, on sait qu’il faudra y aller ».

On voit une énorme progression

La simulation a ses limites. Quelquefois, ils se sont jetés « un peu vite sur les vic­times », constate le lieutenant Justin, car « on sait qu’on ne va pas se prendre une balle ». Et puis les victimes dans la vraie vie crient, « alors que là, au bout d’un moment, elles sont fatiguées, plaisante-t-il, mais on y croit assez, quand même ! ». Il est convaincu de l’intérêt de l’exercice : « Il me permet d’appréhender un peu les situations auxquelles on pourrait être confrontés dans un futur proche. » Pour lui, entre la théorie et la pratique, « il y a un monde ». Et cette pratique s’avère « dif­ficile », même simulée.

L’ExoSan apporte sa propre touche de stress : les internes sont scrutés par de nombreuses paires d’yeux, car il y a autant de formateurs que d’élèves – « des gens très bons ! », commente le lieutenant Justin. « Quand quelqu’un nous regarde, on a plus de mal ! On se dit tout le temps “Qu’est-ce que je loupe ?” Du coup, on est plus lent, moins assuré dans nos gestes. » Ils sont confrontés aussi à des approches différentes selon le milieu d’origine des formateurs (médecins et infirmiers hospitaliers et des forces spé­ciales, Brigade des sapeurs-pompiers de Paris et du Bataillon de marins-pompiers de Marseille). Mais ce que les internes mettent en avant, c’est la chance d’avoir ces retours, « la richesse dans les échanges après les mises en condition », rapporte le médecin en chef Olivier. « On est un peu nourris de leur expérience opérationnelle », s’enthousiasme le lieutenant Alexandre.

Les internes ont été observés, mais pas évalués. Si, l’an dernier, les référents avaient « identifié un principe de maillon fort/maillon faible », raconte le médecin en chef adjoint Aurélien, ils ont laissé tomber, partant du principe que cette première mise en situation « les bouscule déjà pas mal » et qu’ajouter une « notion de compé­tition ne serait pas une bonne chose ». « On est sur un camp-école », souligne lui aussi le médecin-général inspecteur, rappelant que « l’Exosan s’intègre dans leur formation spécifique transversale (FST). Les élèves sont là pour restituer leurs connaissances et s’ap­proprier la chaîne santé. »

« C’est vraiment un exercice qui nous est utile, conclut le lieutenant Justin. On sent qu’on progresse. » L’ExoSan 2024 s’est clôturé le vendredi par un débrief (encore) et un questionnaire de satisfaction. Le lieute­nant Justin va retrouver son stage dans un hôpital militaire allemand. Dans un an, lui comme ses 62 camarades, auront fini leur internat et seront affectés à un régiment, une unité de marine/armée de l’air. Dans un an, aussi, ils pourront être projetés sur un théâtre d’opérations. Sont-ils prêts ? « Je pense qu’on ne se sent jamais assez prêt, répond le lieutenant Alexandre, mais on y travaille ! On est là pour ça, en tout cas. »

 

1. L’Acasan a été inaugurée le 9 avril

2. SC1 : niveau de formation de tous les soldats français ; SC2 : auxiliaire sanitaire ; et SC3 : infirmier et médecin

3. L’extrême avant va définir une situation de combat avec blessés, où le médecin a très peu de matériel pour s’occuper des blessés au niveau du « nid de blessés » (parfois seulement une dizaine de mètres en retrait)

 

 

Photos : Fabrice Dimier

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