"C’est une décharge d’adrénaline": immersion dans un centre de formation à la médecine de catastrophe
Pour se former à la médecine de catastrophe, une quinzaine de soignants ont pu s’entraîner dans un centre unique au monde. Ouvert le 25 avril dernier à Toulouse (Haute-Garonne), le Centre de simulation environnementale et neurosensorielle (Sens) propose de les entraîner, dans des conditions "réelles", à prendre en charge des patients lors d’un incident de catastrophe.
CHU Purpan à Toulouse, 13h30 : une sirène retentit. Un camion Samu 31 s’arrête devant un portail donnant accès à un bâtiment marron qui porte une inscription blanche « Centre de simulation environnementale et sensorielle » (Sens). Un homme en sort et ouvre le portail. En face de lui, adossées près d’un mur, une quinzaine de personnes s’empressent de le suivre pour entrer dans les locaux. Parmi eux, la Dre Anne Raynaud Lambinet, médecin urgentiste et référente situation sanitaire exceptionnelle (SSE). C’est elle qui forme la quinzaine de soignants (médecins, infirmières, ambulanciers et assistants de régulation) qui participent au DU de médecine de catastrophe. Installée dans une petite salle, elle détaille le programme : « L’objectif pédagogique de cet après-midi, c’est de vous apprendre la décontamination d’urgence du patient valide et invalide. » Lorsque l’atelier sera terminé, « vous devrez reproduire ces mêmes gestes avec l’ambiance de Sens », précise-t-elle.
Si l’exercice est habituel dans ce cursus, le local où se trouvent les étudiants l’est beaucoup moins. À seulement quelques mètres, de l’autre côté du mur, se trouve Sens, une salle unique au monde. Grâce à un système informatisé, il est possible de reproduire des catastrophes climatiques ou humaines. En quelques minutes, la salle peut passer d’une température de -5° C à +35° C, elle peut simuler les cisaillements du vent, de la neige, de la pluie, des odeurs, des fumées...
Répartis en trois groupes de cinq, les étudiants entrent dans Sens. Pour l’heure, la salle de 140 m² ressemble à celle d’une usine ; le sol est gris et démontable, le plafond est noir, quatre énormes projecteurs, pour l’instant éteints, sont accrochés au plafond. Trois des murs sont habillés de toiles blanches, le dernier possède une grande porte qui permet de faire entrer de grands véhicules. Deux mannequins installés sur des brancards attendent au fond de la salle avec plusieurs malles. « Ici, on va s’attaquer à la déconta[mination] d’urgence, introduit Éric Marcou, coordinateur SSE. Ça veut dire qu’on va enlever 80 % de la contamination. »
À la fin de son brief, il indique la présence de kits spécialement construits pour les incidents de médecine d’urgence. « Ils sont déjà dans les poches du plan blanc à l’hôpital. Et dans ce kit-là, il y a une notice explicative avec tout ce qu’il faut faire », poursuit-il. Ces kits ont été traduits en anglais, espagnol et arabe en cas d’éventuelle catastrophe impliquant des étrangers. Main tenant, c’est au tour des étudiants de s’essayer à la « déconta d’urgence ».
"S’occuper des fuyards"
Le premier groupe est dirigé par Éric Marcou. L’exercice portera sur un patient valide, joué par Jacques-Antoine Oilleau, médecin urgentiste, qui participe au DU. Pour se mettre dans les conditions réelles, le formateur présente un scénario. Plusieurs victimes valides arrivent à l’hôpital après avoir subi un accident de camion avec présence de produits chimiques. « Le but, c’est de s’occuper de ces fuyards [les patients qui viennent d’eux-mêmes à l’hôpital sans être passés par les soignants sur les lieux de l’incident, NDLR]. Il ne faut pas les laisser entrer dans l’hôpital. Mais on ne les laisse pas dehors sans s’occuper d’eux non plus, parce que sinon ils vont chercher à entrer tout seuls et contaminer l’hôpital, rappelle Éric Marcou, avec son accent toulousain. Il faut les guider à la voix : “Bonjour, prenez votre kit, lisez la feuille et suivez les consignes”. »
Vêtu d’une blouse de soignant, Jacques Antoine arrive devant le groupe. À ce stade, l’objectif est de rassembler les victimes, de récupérer les kits et de les leur distribuer. Le formateur interroge le reste des étudiants sur ce qu’il faut dire aux patients. « Surtout, ne bougez pas et ne vous touchez pas », répond Yohann Roy, infirmier. Le coordinateur demande à être encore plus précis. « Ne touchez pas les autres per sonnes également », poursuit Yohann.
Une fois le kit remis aux patients, les soignants doivent impérativement protéger les voies aériennes des victimes. Pour ce faire, le kit comprend un masque FFP2 et une charlotte. Attention, rappelle Éric Marcou, il faut toujours mettre le masque avant la charlotte. Les étudiants sortent ensuite un grand sac-poubelle transparent du kit et le pose, ouvert, devant les pieds de la victime. « Prenez la lingette et essuyez-vous le visage, le cou, les oreilles et les avant-bras », indique Yohann en lisant les consignes du kit. Cette lingette est imprégnée de Decpol, un produit capable de décontaminer en urgence les parties nues du corps. En raison de leur coût élevé, elles ont été remplacées, pour l’exercice, par des petits tissus blancs.
"On le déshabille directement?"
Lorsque les parties visibles du corps de la victime ont été lavées, celle-ci doit en lever ses effets personnels – bijoux, clés, téléphone… – et les déposer dans un sac qui sera envoyé au point de rassemblement des effets personnels (Prep). Place maintenant au déshabillage, l’étape la plus attendue par les étudiants. « Enlevez les vêtements de haut en bas sans les passer par la tête », lit Yohann. « Tout ce qui est chemise, blouson, le patient peut l’enlever tout seul. Mais un pull, pas possible, donc il faut le découper », avertit le formateur. « On ne peut pas tout découper d’un coup ? », demande Yohann. « Tu peux, mais le pantalon, il peut l’enlever tout seul. Toi, il ne faut pas que tu perdes de temps parce que tu dois vérifier tout le monde », conseille Eric Marcou.
Les étudiants s’attaquent au découpage. Ils ont à leur disposition une paire de ci seaux adaptée pour les soins médicaux et un drôle d’outil qui ressemble à une roulette à pizza… dont Thomas Mesnard, médecin urgentiste, s’empare pour découper le côté gauche de la blouse. Problème : juste en dessous se trouve la poche de la blouse. Le médecin s’en rend très vite compte et reprend son geste sur le côté droit de la blouse, sans poche. « Essayez de passer là où il n’y a qu’une seule partie de tissu », précise Éric Marcou, en félicitant l’apprenant qui a repris son geste tout seul. Une fois coupée, la blouse est déposée dans le sac-poubelle transparent et sera par la suite détruite. En temps normal, le patient doit se retrouver en sous-vêtements, puis il doit être rhabillé. Jacques-Antoine enfile la combinaison bleue et les surchaussures présentes dans le kit. L’exercice touche à sa fin, les victimes sont rassemblées et vues ensuite par les médecins.
"Mains propres", "mains sales"
Il est maintenant l’heure de passer à l’exercice avec un patient invalide. « On va voir qu’il y a peut-être quelque chose à faire à deux pour l’invalide. Et on ne fera pas le rhabillage puisqu’on va se servir de la couverture de survie comme de drap. Mais il faudra réfléchir à comment la mettre… », explique Éric Marcou. Pour l’exercice, les étudiants sont en face d’un mannequin. « On l’a déposé devant l’hôpital, il est conscient et a une jambe cassée, que faites-vous ? », demande le formateur. « On le déshabille directe ment ? », tente Larry Thomas, ambulancier. Le coordinateur fait non de la tête. « Il faut le masque », suggère Thomas. Le formateur acquiesce: « C’est exactement la même procédure que pour le valide. »
Pour prendre en charge le patient invalide, les soignants sont en binôme. Larry et Yohann se portent volontaires et se répartissent les tâches. « Tu laves ta partie, et moi, je fais ce côté-là », propose Larry. « Pourquoi vous êtes en binôme ? », demande le formateur. « Ah, pour le retourner après ! », lance Larry. « Oui, donc à deux, il y a celui qu’on va appeler les “mains propres” et l’autre les “mains sales”. Celui qui fait le nettoyage, il a les mains sales », précise Éric Marcou. Ici, Larry a donc les mains propres et Yohann les mains sales.
Une fois les tâches réparties, Larry demande : «Je peux enlever les bijoux mainte nant?» Éric Marcou l’arrête tout de suite : «Tu es propre et les bijoux sont sales. Donc tu vas ouvrir les sacs et donner les affaires à Yohann pour aller plus vite.» Arrive ensuite l’étape du déshabillage. Là encore, il faut se répartir les rôles. «Yohann coupe les vêtements, et moi, je les roule», suggère Larry. Mauvaise réponse. «Celui qui roule les vêtements pour les jeter va être en contact avec la partie sale. Donc celui qui coupe, c’est celui qui est propre», rectifie-t-il. Larry coupe dans la longueur les deux manches, la par tie centrale de la blouse et le pantalon du mannequin. Pour les enlever, les étudiants comprennent qu’il faut lever le patient. «Comme je suis propre, je tourne le mannequin et Yohann va enlever tout ce qui est sale en dessous», tente l’ambulancier. Le formateur acquiesce, les deux étudiants s’activent.
Il reste, enfin, la couverture de survie. Comment la positionner alors que Larry tient le mannequin sur le côté et que Yohann a les mains sales ? «Ce qu’il peut faire, c’est utiliser les gants du patient [qui se trouvent dans le kit, mais qui n’ont pas été utilisés], les enfiler sur ses gants pour ensuite mettre la couverture de survie », conseille Éric Marcou. Yohann enfile les gants et déploie la couverture de survie. Larry n’a plus qu’à rallonger le patient, le couvrir et le déplacer sur un brancard. Direction : les urgences.
"Rapides et efficaces"
Les exercices sont terminés, il est temps de se tester dans Sens. Éric Marcou se tourne vers les étudiants : « Il faut vraiment essayer d’être rapides et efficaces. Plus vous allez être sur de l’automatisme, plus ça va aller vite. » Les étudiants sortent de la salle pour laisser les formateurs installer le matériel et préparer les mannequins. Huit étudiants enfilent leurs équipements de protection individuelle (EPI). Pour que l’immersion soit parfaite, une régie est installée dans une salle à l’étage avec vue sur Sens. Quatre ordinateurs sont installés avec une colonne de fils électriques. David Soulès est ambulancier au Samu 31 mais aussi régisseur dans cette tour de contrôle. « Ce qu’on travaille ici, c’est surtout la partie sensorielle », explique le chef d’orchestre de Sens.
À son signal, la lumière s’éteint. Sur les trois toiles blanches accrochées aux murs est projeté le film d’une usine en train de brûler, avec des véhicules de policiers déjà sur place. La sirène incendie retentit. Tout à coup, une détonation surgit, une cuve de l’usine vient d’exploser. Un nuage de fumée jaillit dans la salle. Deux ouvriers sont au sol et semblent inconscients. Dans une lueur orangée, l’équipe d’apprentis accourt. Deux d’entre eux possèdent une malle avec le matériel nécessaire. Ils se répartissent en deux groupes de quatre. Deux vont chercher les kits présents dans la malle.
Les étudiants comprennent que leur première difficulté sera de composer avec le bruit environnant. Le son des sirènes est si fort que la communication est presque impossible, sans compter leurs masques ! Après avoir posé masque et charlotte sur un patient, un étudiant prend une lingette et nettoie les parties visibles. L’un des deux groupes est plus en retard. Éric Marcou intervient : «Faut accélérer, c’est la déconta d’urgence!» L’autre groupe a déjà découpé la blouse du mannequin. Pour aller plus vite, un étudiant prend la paire de ciseaux et l’autre la roulette. Les côtés du pantalon sont découpés en même temps.
Un étudiant s’empare de la couverture de survie, la déplie, pendant qu’un autre récupère les vêtements sales. Le mannequin est emmailloté. À quatre, les étudiants le soulèvent et le positionnent sur un brancard pour l’éloigner de la zone de danger. En huit minutes, les étudiants ont réussi à décontaminer en urgence ces deux patients et à les extraire de la zone de danger. Mission réussie.
"Une décharge d’adrénaline"
« L’objectif de cet exercice est de savoir si les gestes qui ont été appris au calme sont les mêmes dans Sens où on est perturbé par l’environnement », reconnaît Anne Raynaud-Lambinet. Pour les étudiants, cela permet aussi de se tester en condition de stress. «Même si ça reste de la simulation, c’est une décharge d’adrénaline », estime Audrey Micaud, médecin. Même constat pour Lilian Gelbart-Carrasco, assistant de régulation au Samu 31, qui retient principalement les problèmes de communication. « Ça nous déstabilise, c’est complètement différent avec le son, la chaleur… On est au plus près de la réalité, ça nous force à nous adapter. » Ce centre de simulation high-tech, porté par le CHU de Toulouse, a nécessité un budget de 3,5 millions d’euros, dont 80% ont été récoltés grâce à des fonds européens.
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