Les pays du Golfe, nouvel oasis ou mirage pour les médecins français ?
Quelques offres de recrutement médical dans les monarchies du Golfe persique ont beaucoup fait réagir sur les réseaux sociaux ces derniers mois. Mais à quoi ressemble réellement l’exercice médical dans les pays de l’or noir ? Témoignages.
"Je viens de recevoir mon premier contrat à Abu Dhabi comme urgentiste : 40 heures en 5 jours, 2 jours off (vendredi et samedi), logé à l’année, frais voiture/transport pris en charge. Les salaires sont pas mal du tout : 14k€ mensuel sans garde. " Voici ce que postait en février dernier sur X @Habib_Potter, l’un des praticiens les plus actifs sur le réseau d’Elon Musk. Et le moins que l’on puisse dire est que son message a fait réagir la petite twittosphère médicale : 1000 retweets, 13 000 "likes", près de 300 commentaires… On peut choisir d’interpréter cet intérêt des médecins français pour l’exercice dans les pétromonarchies comme le signe d’une certaine fébrilité au sein d’une profession en quête de sens. Mais on peut aussi s’intéresser à la réalité du travail dans cette région du monde pas tout à fait comme les autres.
Or, à en croire les médecins français ou de formation française qui ont choisi de s’expatrier dans les pays du Golfe, cette réalité est loin d’être univoque : il semble que pour les praticiens étrangers, il y ait chez les cheikhs autant de formes d’exercice médical que de médecins. Et cela commence par les motivations. Car si certains sont avant tout appâtés par les perspectives financières alléchantes que permettent d’offrir les revenus du pétrole ("je veux surtout sortir ma famille de la galère ", répondait @Habib_Potter à un twittos qui questionnait le côté moral d’une installation aux Émirats arabes unis), c’est loin d’être le cas de tous.
Exil choisi ou forcé
"Je n’ai pas fait ce choix de manière personnelle, je l’ai fait parce que j’y étais obligée : il fallait que je suive mon mari, qui travaille dans la banque ", indique par exemple le Dr A*, généraliste installée dans une polyclinique à Dubaï. La plupart de ses confrères ou consœurs français installés dans le centre économique des Émirats seraient dans le même cas. "Ce sont des époux ou des épouses de… ", sourit-elle.
Autre motivation affichée par les médecins français expatriés dans le Golfe : le besoin de fuir un système de santé français jugé trop étouffant. "Je suis parti de France au moment de la création des ARS, je sentais que cela tournait mal, avec ce désir d’étatisation de la santé ", raconte ainsi le Dr Romain Martinez. Celui-ci s’est d’abord installé en Suisse, et travaille actuellement à la création d’un "centre de compétences" à Ras el Khaïmah, là encore aux Émirats arabes unis. "En France, il y a une véritable maltraitance des médecins, alors qu’aux Émirats, il y a une vraie médecine très spécialisée, avec beaucoup d’argent pour les structures mais pas encore assez de main d’œuvre, soutient ce généraliste formé à Toulouse. Il y a donc une vraie place pour les médecins étrangers dans les années à venir. "
Cette maltraitance ressentie par certains médecins est également l’un des éléments qui conduisent le Dr B. à envisager de suivre Romain Martinez dans son aventure émiratie. "Il y a de plus en plus de médecins agressés par leurs patients, on est obligés de négocier pour que le prix de la consultation soit indexé sur l’inflation alors qu’on ne devrait même pas avoir à le demander, s’indigne ce rhumatologue du sud de la France. Ce n’est pas qu’une question d’argent, mais c’est vrai que quand on voit que les négociations conventionnelles qui n’ont lieu que tous les cinq ans ne nous amènent qu’1,5 euro d’augmentation, on se pose des questions… "
S’il y a parfois une volonté de fuir les conditions d’exercice françaises, on retrouve aussi souvent un attrait intrinsèque pour les possibilités offertes sur place. "Il y a eu une tradition de professeurs de médecine français qui allaient finir leur carrière au Moyen-Orient pour préparer leur retraite, mais ce modèle a changé, affirme le Dr Olivier Ghez, chirurgien-cardiaque pédiatrique et chef de la division de chirurgie cardiaque chez Sidra Medicine, un centre à vocation internationale situé à Doha, au Qatar. Les pays de la région ont commencé à construire de grands hôpitaux très ambitieux qui visent à devenir des centres de référence et à concurrencer les établissements américains." Quand un chasseur de tête est venu le voir à Londres, où Olivier Ghez s’était déjà expatrié "pour avoir les moyens de faire un travail de qualité", et lui a proposé un poste de chef de service dans un tel établissement, le praticien formé à Marseille s’est donc lancé dans l’aventure.
Toute une gamme de modes d’exercice
Mais la diversité de l’exercice des praticiens français dans le Golfe ne s’arrête aux voies par lesquelles ils y parviennent. Une fois sur place, il existe toute une gamme de façons de travailler, et de percevoir son travail. "Dans la pratique quotidienne, je ne trouve aucune différence entre travailler en France ou en Arabie Saoudite, affirme par exemple le Dr Khaldoun Mounla, chirurgien ORL et esthétique à Djeddah, président du Cercle des médecins francophones dans le royaume des Saoud et ancien assistant à l’hôpital de Libourne. Je tiens à souligner qu'il existe une similitude en matière d'horaires de travail dans les hôpitaux publics." Mais d’autres médecins préfèrent insister sur les différences qui séparent les systèmes du Golfe du nôtre. "Le modèle artisanal de la médecine libérale que nous connaissons n’existe pas là-bas, on y trouve plutôt de grands groupes financiers", note par exemple Romain Martinez.
"On voit rarement des cabinets de médecine générale tels que nous les connaissons, confirme le Dr A., à Dubaï. Il y a ce qu’ils appellent des polycliniques, même s’il n’y a pas d’hospitalisation. Globalement, soit vous travaillez dans l’une de ces polycliniques, soit vous travaillez pour un grand hôpital qui appartient à l’État ou à un grand groupe privé." La généraliste française, qui se trouve dans le premier cas, note par ailleurs que dans la pratique quotidienne, l’une des principales différences a trait à l’accès aux examens complémentaires. "On a accès à tout de manière très facile, ce qui est d’ailleurs à double tranchant, car certains ont tendance à prescrire beaucoup d’examens qui s’avèrent finalement inutiles ", regrette-t-elle. Du côté des grands centres à vocation internationale, Olivier Guez note surtout depuis son hôpital qatari "une exigence, voire une pression relative à la qualité qui est énorme, égale voire supérieure à celle qu’on connaît dans les plus grands centres européens : il y a des audits externes, vos résultats sont regardés à la loupe en termes de complications, de reprises, de mortalité… ".
Et l’argent dans tout ça ?
Bien sûr, l’une des différences les plus notables concerne la rémunération des médecins, même si ceux qui exercent déjà dans les pays du Golfe tiennent à relativiser cet aspect. "C’est vrai qu’on parle en multiples d’un salaire français dans le public, reconnaît Olivier Ghez. Les revenus s’approchent plutôt de ceux de quelqu’un qui aurait en France à la fois une carrière universitaire et une carrière privée qui aurait un gros succès, ou encore à d’un salaire américain." Un ordre de grandeur que confirme Romain Martinez. "On a monté notre business plan, et ce qu’on prévoit comme revenu correspond plus ou moins à ce qu’on pourrait connaître en Suisse, révèle le médecin-entrepreneur. C’est donc élevé par rapport à la France, mais justifié par rapport à ce qui nous paraît nécessaire pour s’épanouir. De toute façon, on ne fait pas de la médecine si on veut devenir multimillionnaire." Par ailleurs, le coût de la vie et le système social ne sont pas comparables. "Il n’y a pas de cotisation retraite et pas de certitude de l’emploi non plus ", pointe Olivier Ghez.
Il faut, de plus, ajouter que les revenus peuvent être très variables. "La consultation coûte entre 100 et 150 euros", indique le Dr A., qui précise que les médecins reversent 50 % de ce montant à la clinique qui les emploie. "Dubaï n’est plus l’eldorado d’il y a vingt ans, et même si le prix d’une consultation semble élevé, il faut des années pour se faire une patientèle", estime-t-elle. Et le chiffre d’affaires dépend bien sûr du temps de travail. "Le nombre de mes patients varie beaucoup", constate la généraliste. Ce qui est certain, c’est qu’il est possible de travailler beaucoup, voire énormément. "Personnellement je travaille entre 60 et 100 heures par semaine", indique par exemple Olivier Ghez, qui souligne toutefois que sa spécialité est " particulière" et qu’un médecin exerçant une spécialité "plus conventionnelle" travaillerait plutôt entre 40 et 80 heures par semaine.
L’aspect entrepreneurial de la médecine est d’ailleurs à prendre en compte. "Il convient de noter que la concurrence entre les médecins, leurs compétences, leurs diplômes universitaires, leurs expériences scientifiques ou pratiques ainsi que leurs différentes spécialités entrent tous dans la détermination du montant des salaires ou des types de contrats de travail ", souligne Khaldoun Mounla depuis Djeddah. "Il ne faut pas s’imaginer qu’on va gagner tout de suite beaucoup d’argent, prévient pour sa part le Dr A. Il faut se faire connaître, ce qui prend du temps, acheter une licence, ce qui peut coûter cher… Il faut donc bien faire ses comptes avoir un petit pactole pour démarrer." Et si on choisit plutôt de travailler pour une grosse structure, la généraliste installée à Dubaï conseille de "bien faire attention aux contrats, car les choses peuvent beaucoup fluctuer d’une personne à l’autre". En d’autres termes, toute expatriation médicale dans le Golfe est un pari. "Il faut accepter de renoncer à une carrière certaine pour une aventure, ce qui comporte nécessairement une part d’incertitude", avertit Olivier Ghez.
Est-ce le caractère hasardeux d’une telle entreprise qui fait que pour l’instant, les expatriations de médecins français dans la région restent rares ? Les velléités de départ semblent en tout cas pour l’instant peu nombreuses, au-delà des quelques cas discutés sur les réseaux sociaux, et les praticiens tricolores qui sont déjà installés ne voient par leurs compatriotes affluer. "Il n’y a pas beaucoup de Français qui parlent un anglais suffisant pour exercer ici, et ceux qui sont là sont déjà connus dans le monde entier", note Olivier Ghez. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas une certaine appétence. "Je reçois de plus en plus de coups de fils en ce sens, témoigne le Dr A. Avant, il s’agissait surtout de gens qui devaient suivre leur conjoint et qui voulaient savoir comment ils pourraient travailler, mais maintenant, il y a aussi des gens qui veulent venir avec les enfants et s’installer sans que ce soit un deuxième salaire."
Quelques conseils
Reste que bien que ceux que l’aventure tenterait soient plus rares qu’on ne pourrait le croire sur X, les praticiens français déjà installés ne sont pas avares de conseils à leur égard. Et ils dissipent déjà une inquiétude : il n’est pas nécessaire de maîtriser l’arabe pour exercer dans la région. "Ce n’est pas du tout un prérequis", indique le Dr B., qui envisage d’exercer à Ras el Khaïmah. "Tout le monde parle anglais, et quand ce n’est pas le cas, les patients viennent avec un membre de leur famille qui le parle, confirme le Dr A. En revanche, la maîtrise du français est un plus, j’ai à titre personnel 70 % de patients francophones." Autre souci à écarter : le mode de vie. "Le Qatar est un pays relativement conservateur, mais on peut y mener une vie d’expatrié avec des libertés normales, assure Olivier Ghez. Nous ne savions pas trop à quoi nous attendre pour ce qui est de la vie familiale, et il se trouve que c’est mieux que ce que nous imaginions."
Mais une fois ces craintes dissipées, il faut bien s’intéresser aux aspects concrets de l’installation, et le message est alors clair : une expatriation dans le Golfe, cela se prépare minutieusement. Car si tout le monde n’est pas dans le cas de Romain Martinez, qui peaufine son aventure entrepreneuriale à Ras el Khaïmah depuis plusieurs années, de nombreux aspects sont à prendre en considération. "Il est conseillé de visiter le pays pour se renseigner sur le lieu de travail", estime ainsi Khaldoun Mounla. Celui-ci enjoint donc les candidats à l’expatriation de prendre leur temps, et notamment de demander une période d'essai de trois mois afin de se ménager une porte de sortie.
Tracasseries administratives
Les formalités administratives ont par ailleurs tendance à devenir de plus en plus compliquées. Celles-ci sont loin d’être une spécialité française et le Dr A., qui en est à sa deuxième expatriation à Dubaï, peut en témoigner. "Lors de mon premier séjour, j’étais arrivée avec mon dossier, j’avais deux lettres de recommandation, j’avais fait traduire mon diplôme, et c’était fait, se souvient la praticienne. La deuxième fois c’était tout informatisé, ils ont vérifié tous les diplômes, et j’ai même dû repasser un examen alors que j’avais déjà exercé dans le pays !" Le mieux est donc parfois de se faire accompagner dans les démarches, et en tout cas de se méfier des mauvaises surprises. "Il est préférable de conclure un contrat de travail avec des bureaux ou agences officiels", rappelle Khaldoun Mounla.
Olivier Ghez conseille également de s’assurer du sérieux des personnes avec lesquelles on s’apprête à travailler. "Il faut vérifier qu’il y a une vraie volonté de faire du travail de qualité", rappelle-t-il. Et surtout, il ne faut pas s’attendre à pouvoir profiter des pétrodollars sans avoir à les mériter à la sueur de son front. "Il faut y aller avec les manches retroussées, prévient le chirurgien. On est bien payés, mais le niveau d’exigence est très élevé !"
* Les témoins désignés par une lettre ont requis l’anonymat.
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