Dans son cabinet de Quimper, dans le Finistère, le Dr Nikan Mohtadi se voit contraint de “jouer au pompier”, tentant d’éteindre le feu déclaré par certains de ses patients, exaspérés par la crise sanitaire qui s’éternise dans le pays. Un an après le premier confinement, décrété le 16 mars 2020, nombre d’entre eux sont aujourd’hui lassés des mesures de restriction des libertés et ont vu dans la campagne de vaccination, un espoir de retrouver leur vie d’avant. Mais les changements de stratégie gouvernementale intempestifs et les retards de livraisons de doses n’ont fait que nourrir un peu plus leur agacement. “On peut comprendre leur exaspération et qu’ils soient un peu perdus face à cette campagne. On est là pour leur répondre, mais il y a des choses qui sont inadmissibles”, déplore le Dr Mohtadi, président de l’Union régionale des médecins libéraux de Bretagne (URPS MLB) qui a publié une lettre ouverte appelant les patients au civisme face à l’explosion inquiétante du nombre d’agressions verbales, voire de menaces physiques, subies par les praticiens et leurs secrétaires. Ces dernières se retrouvent aujourd’hui débordées face aux demandes des patients qui ne parviennent pas toujours à joindre le numéro d’appel ou le site internet dédié.
“Nos deux secrétaires sont devenues les punching-ball des patients, très clairement. Il y en a une qui a failli partir en arrêt maladie parce qu’elle n’en pouvait plus d’être agressée verbalement tous les jours”, dénonce le Dr Mohtadi qui explique qu’il a dû intervenir à plusieurs reprises lorsque le ton montait. “La tension est palpable. De temps en temps, ça dérape un peu. Les gens déploient leur agressivité sur ceux sur qui ils tombent.” Quelques cas d’agressivité physique ont aussi été rapportés par des médecins libéraux bretons, fort heureusement “sans gravité”, assure leur représentant. “Recoller les morceaux” “Ce qui est très étonnant, c’est que ces actes d’agressivité proviennent d’une frange de la population que l’on connaît bien. Ce ne sont pas du tout des gens violents, ils ne posent aucun soucis de façon générale, mais on les voit aujourd’hui monter dans les tours”, explique le généraliste pour qui cette situation est devenue “pénible pour tout le monde”, aussi bien pour les patients, perdus et inquiets pour leur état de santé, que pour les secrétaires “mal armées contre ça”, et, bien sûr, pour les médecins qui perdent un temps précieux à gérer ces manifestations de colère, au détriment d’autres patients qui sont, de fait, pris en charge avec du retard. “On est sur un fil, et c’est très délicat.” Pour l’URPS MLB, cette situation de tension s’explique notamment par “la pénurie de vaccins et les ratés de la communication gouvernementale” qui n’ont fait qu'alimenter “un climat anxiogène et, plus généralement, l’inquiétude” de la population. “On essaie d’apporter une cohérence à notre niveau, de recoller les morceaux” face à des décisions nationales en complet “décalage avec ce qu’on vit sur le terrain”, assure le Dr Mohtadi. “Ce n’est pas simple. Même quand on veut bien faire, on a des gags comme le DGS-Urgent [diffusé dimanche soir, NDLR].” Ce message de la Direction générale de la Santé indique que les médecins libéraux ne seront pas approvisionnés en doses de vaccins la semaine prochaine, les commandes n’étant ouvertes que “pour les besoins propres des officines”, ce qui a suscité instantanément l’indignation des praticiens mobilisés depuis le 25 février. “Je suis franchement dans la merde”, lâche le Dr Mohtadi, qui avait prévu des rendez-vous la semaine prochaine et la semaine d’après, qu’il va falloir reporter. “Ce sont des patients à qui on a promis un vaccin. Je n’ai plus envie de faire cette démarche-là, à tel point que j’ai écrit à mon DG ARS en lui demandant de faire le service après vente. Ce n’est pas à moi de le faire.”
“On est dans le même bateau” Si le ministre de la Santé, Olivier Véran, a indiqué ce mardi matin, lors d’un déplacement dans la Nièvre, que... les réservations de doses pour la semaine du 22 mars allaient être rouvertes “dès la fin de la semaine”, cet énième épisode va desservir la campagne en ville, qui a déjà souffert au départ d’un manque d’adhésion de la population, certains patients s’interrogeant notamment sur l’efficacité du vaccin AstraZeneca. Selon le Dr Nikan Mohtadi, “avec autant d’incohérences, à un moment donné, les patients vont dire ‘ça suffit’.” Il ne faudra pas s’étonner qu’il y ait toujours des réticences si “même ceux qui veulent se faire vacciner ne peuvent pas accéder à la vaccination”. “Il faut que les patients comprennent qu’on est dans le même bateau, que ni eux ni nous n’avons la main, exprime le représentant de l’URPS de Bretagne. On est pendus à des décisions qui nous dépassent largement et pour lesquelles on n’a pas forcément d’explications adéquates à leur donner.” Ce dernier dénonce par ailleurs la contradiction entre la communication gouvernementale sur la vaccination massive et le manque de doses. “Soit on a une politique de vaccination massive et on y va, soit on chipote. Mais à force de chipoter, on va se tirer une balle dans le pied. On n’aura pas atteint l’objectif” de vacciner toutes les personnes éligibles. Dans l’immédiat, afin d’apaiser la situation avec les patients, l’Union régionale a appelé les professionnels de santé à accrocher cette lettre ouverte dans tous les cabinets médicaux de Bretagne pour que les patients puissent en prendre connaissance. D’ores et déjà, l’atmosphère semble s’être détendue dans certains cabinets et les patients commencent à comprendre le rôle des médecins, assure le Dr Mohtadi. Mais, prévient-il, “ça ne va pas durer ad vitam æternam, surtout si on continue à avoir des bugs sur la mise à disposition des vaccins. À mon avis, il y aura toujours une source de tension qui va arriver.”
Depuis plusieurs mois, de nombreux professionnels de santé du Morbihan, mais aussi d’autres territoires français, se disent victimes des menaces d’une entité illégitime, “le Conseil national de Transition (CNT)”, représentée par Eric Fiorile, figure du complotisme. Cette organisation placarde dans la rue, mais envoie également directement à certains acteurs, comme les soignants, des lettres de sommation dans lesquelles elle indique que ceux qui appliquent “les ordres d’un Gouvernement illégitime” se rendent complices d’un “génocide en cours”, “au risque d’être traduit devant un tribunal militaro-populaire”, peut-on lire dans la lettre intitulée “Sommation et rappel à la loi”, dont le modèle a été publié sur leur site. Dès le 16 décembre dernier, l’Agence régionale de santé du Morbihan a alerté les professionnels de santé sur les agissements de ce conseil, qui “ne dispose d’aucun pouvoir envers les personnes qu’il tente d’intimider”, précise-t-elle dans son communiqué. “Le CNT semble être issu d’un mouvement de nature complotiste appelant à ‘une prise de pouvoir du peuple’.” L’Agence conseille aux soignants de ne pas “tenir compte de ce courrier”.
[avec actu.fr]
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