Croydon, UK

Croydon, dans la banlieue sud de Londres

Médecin, il a quitté la France pour Londres : "Ce que je fais ici a beaucoup de sens"

Ancien médecin du travail à Lyon, le Dr Benoît Grall s'est envolé pour l'Irlande en 2016. Il vit désormais au Royaume-Uni où il exerce comme addictologue aux côtes de sans-abri dans une association nationale. Malgré un système de santé britannique en crise, le praticien français trouve du "sens" dans sa pratique. Entre "confiance" des patients et rémunération plus élevée qu'en France, il raconte à Egora son quotidien outre-Manche. Cet été sur Egora, suivez le parcours de ces médecins et carabins qui ont tout plaqué pour exercer à l'étranger. 

19/08/2024 Par Chloé Subileau
Témoignage
Croydon, UK

Croydon, dans la banlieue sud de Londres

L'expatriation n'était, au départ, pas un rêve pour le Dr Benoît Grall. "C'est plus effrayant qu'autre chose de changer de pays en tant que médecin", lâche le praticien de 38 ans : "Le transfert est vraiment terrifiant." Cet ancien médecin militaire, passé par la médecine du travail et désormais addictologue, exerce depuis plus trois ans au Royaume-Uni. Mais avant de s'installer outre-Manche, il a posé ses valises pendant quatre ans à Dublin. Il y a suivi son ex-femme, qui devait rejoindre la capitale irlandaise pour son travail. "Je suis parti [là-bas] en ne sachant pas trop ce que j'allais faire, raconte Benoît Grall à Egora. Par chance, j'ai trouvé un service de médecine du travail et j'ai pu continuer à faire ce que je faisais avant [en France]."

En 2016, lors de son départ, le praticien travaille depuis trois ans à Lyon. Il quitte alors son poste et en trouve un autre, similaire, à Dublin. "J'y [ai fait] de la médecine du travail principalement pour les compagnies aériennes mais aussi [pour d'autres structures], comme l'usine Guinness", glisse le médecin. Ses premiers pas en Irlande sont toutefois difficiles : "Je ne connaissais pas du tout le système de santé [irlandais]. Je n'avais pas eu l'occasion de faire, ne serait-ce, qu'une journée d'immersion." "Mon premier jour de travail a été plein de découvertes, ça a été une grande journée", lance-t-il dans un rire. "Il faut déjà exercer dans une autre langue […] Il faut se faire à un accent, à une façon de parler, à un rythme… La façon de travailler est aussi très différente. Il faut se faire à tout un système, et c'est impossible de se préparer à ça."

La procédure pour pouvoir exercer est, elle aussi, complexe. "On a l'impression que le diplôme de médecine français sera reconnu partout dans le monde, mais ce n'est pas du tout le cas", insiste Benoît Grall : "Les conseils de l'Ordre des médecins demandent énormément de papiers. Ils sont très dubitatifs par rapport à [ceux] que l'on présente." Et même si l'Irlande est membre de l'Union européenne, les reconnaissances de diplômes sont longues et chronophages. "Ça a été un parcours du combattant pour faire reconnaître [les miens]", se souvient le praticien français, qui a dû attendre "plus de six mois" avant que son diplôme de médecine ne soit reconnu par les autorités irlandaises.

"Je suis médecin de la très grande précarité"

A Dublin, l'ancien médecin militaire s'intéresse petit à petit à la psychiatrie, à l'addictologie et à la toxicologie. Des disciplines qui l'intéressaient et qu'il décide donc d'approfondir lors de son déménagement au Royaume-Uni en octobre 2021, pour des raisons personnelles, glisse le Benoît Grall. Il intègre alors "Change Grow Live" (CGL), une association nationale de santé et de protection sociale, où il exerce toujours comme addictologue. "Je suis médecin de la très grande précarité, résume-t-il. J'ai d'abord travaillé pendant deux ans à Brighton [sur la côte sud du pays] pour CGL, avant de venir à Croydon" en février 2024. Ce quartier, au sud de Londres, est l'un des plus pauvres de la capitale britannique.

Benoît Grall y exerce une médecine qu'il considère "à part". Entouré d'un autre médecin, de deux infirmiers prescripteurs et d'environ 50 travailleurs sociaux, le praticien s'occupe en grande majorité de sans-abri addictent aux drogues ou à l'alcool. "Je les reçois. En principe, ils sont tous [prévus] dans le planning. Mais avec les sans-domicile fixe, c'est vraiment très chaotique", explique-t-il. Examens, prescriptions de médicaments, suivi des patients, et parfois violence : ses journées ne sont pas de tout repos. "La semaine dernière encore, on a dû séparer deux patients, dont l'un avait sorti un couteau. Et hier, il y en a un qui a taillé un 'glory hole' dans une paroi des toilettes. Ça va nous coûter une blinde en réparation", lâche-t-il, dans un souffle.

Le quotidien de Benoît Grall est loin de celui qu'il a connu en France. Mais il trouve, assure-t-il, "beaucoup de sens à ce qu['il] fait" à Croydon. "J'adore mes collègues, on travaille bien […] On sort des gens de la rue et de la drogue. Hier encore, j'ai vu deux patients qui s'en sont sortis. C'est quand même bien…", sourit le praticien français. "Travailler dans un système qui est cassé, mais arriver malgré tout à sortir des gens 'du trou', c'est très gratifiant", ajoute-il.

 

Un système de santé "catastrophique"

Car Benoît Grall insiste : le système de santé britannique est mal en point. Son état est même "catastrophique". Ce système, largement financé par les impôts, est basé sur le National Heath Service (NHS). Il permet aux citoyens britanniques de bénéficier de soins gratuits auprès de praticiens affiliés au NHS, de la médecine générale aux passages à l'hôpital. "Les médecins sont [en large majorité] mandatés par le NHS […] Il y a très peu de médecins qui ont une activité privée, ce sont généralement des praticiens seniors. Mais ils représentent moins de 10% de l'ensemble des médecins, c'est vraiment très à part", détaille Benoît Grall, précisant toutefois que la part de médecins se tournant vers le privé "prend de l'ampleur chaque année".

Ce système santé fait face à une crise majeure. "On est sur des listes d'attente extrêmement longues pour avoir des avis, des rendez-vous… On se retrouve dans des situations d'impasse, où l'on ne sait pas quoi faire. On est en permanence en train de gérer l'urgence, déplore l'addictologue, qui est, lui, salarié. Les patients sont frustrés. Et comme on est en première ligne, ils projettent leur frustration où ils peuvent, et souvent c'est sur nous…" Lui estime que la situation au Royaume-Uni est "bien pire qu'en France" et prend notamment pour exemple le cas de l'un de ses patients : "J'ai demandé un rendez-vous en urgence en cardiologie pour ce patient hier [nous sommes alors début juillet, NDLR]. Cet homme peut, à mon avis, nous faire un arrêt cardiaque à tout moment. Mais je n'ai réussi à avoir un rendez-vous qu'en octobre, malgré mes contacts et mon souhait d'arranger les choses."

Une situation qui peine à s'améliorer, d'autant que de nombreux médecins et jeunes diplômés préfèrent quitter le pays. "Il faut regarder la réalité en face, avance Benoît Grall. Si vous êtes diplômé de médecine à Cambridge, Oxford ou dans une autre université à Londres, vous projetez de vous expatrier en Australie, aux Etats-Unis ou au Canada. C'est 50% des promotions qui disparaissent dans les facs les plus cotées."

"On est bien considérés et appréciés"

Face à ce marasme, l'ancien médecin du travail trouve malgré tout son compte. Il relève, entre autres, le fort "taux de confiance" des Britanniques envers le travail des soignants. Ces dernières années, de nombreuses grèves – menées notamment par les infirmières, puis les "junior doctors" – ont ébranlé le pays. "[Mais] les sondages ont prouvé que la population soutenait ces grèves", note Benoît Grall. Malgré les frustrations de certains patients, les médecins sont – selon lui – "bien considérés et appréciés".

S'il reconnait que les praticiens les plus jeunes sont trop peu rémunérés au Royaume-Uni, l'addictologue s'estime chanceux. L'association pour laquelle il travaille ne dépend pas du NHS, mais est notamment financée par des collectivités locales ainsi que par le ministère de la Justice. "Je suis payé 95 000 livres sterling brut par an hors impôt", soit plus de 110 000 euros brut annuels, indique Benoît Grall : "Globalement, je suis bien payé car il [l'association] rémunère mon expérience et mon niveau de responsabilités. Si je devais faire le même métier en France, je toucherais moins. En même temps, je suis quasiment chef de service."

Envisage-t-il un jour de revenir en France ? L'addictologue, devenu père de famille il y a peu, balaye la question. "J'ai fait ma vie à Londres. Je pense rester sur le très long terme et même prendre ma retraite ici", assure celui dont la compagne vit depuis des années dans la capitale anglaise. "Je m'y sens en sécurité. La vie au Royaume-Uni est, en général, très sympathique." En France, peu de choses lui manquent, sauf peut-être "le beau temps", ironise Benoît Grall : "Avec un collègue [français], on s'est rendu compte qu'on ne se qualifiait pas d'expatriés, mais d'immigrés car on ne prévoit pas de revenir. On n'a pas ce besoin de revenir en France en permanence. On croise souvent, à l'ambassade ou dans des réunions, des Français qui ont le mal du pays et qui reviennent autant qu'ils le peuvent", décrit le médecin : "Mais ce n'est clairement pas mon cas."

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M A G

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Mais quelle mentalité de geôlier, que de vouloir imposer toujours plus de contraintes ! Au nom d'une "dette", largement payée, co... Lire plus

7 commentaires
Photo de profil de M A G
3,2 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 3 mois
Comme toujours, ce type de témoignage est intéressant. Même si, pour avoir une image complète, il faudrait savoir les horaires de travail, le cout de la vie à Londres, combien il lui reste dans la poc
Photo de profil de Patrick Péron
8 points
Oto-rhino-laryngologie
il y a 3 mois
Bref, c'est pas mieux qu'en France. Et il y fait plus froid et humide..
Photo de profil de Gilbert Artigue
455 points
Débatteur Passionné
Chirurgie viscérale et digestive
il y a 3 mois
un médecin sur 100.000 !!! pas de quoi en faire un article aussi long …
 
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