upper east side, new york

Un cabinet sur la Cinquième avenue, un salaire à six chiffres : mon quotidien de médecin français à New York

Après son internat de médecine générale à Paris, le Dr Barthélémy Liabaud est parti s'installer à New York, aux Etats-Unis, guidé par son envie d'expatriation. Le Dijonnais d'origine exerce depuis deux ans en tant que médecin de la douleur dans un cabinet de groupe à l'orée de Central Park. Une place confortable qu'il a obtenu au prix de dix années de recherche et d'internat sur le sol américain. "Maintenant que j'ai enfin un métier stable où je gagne bien ma vie", confie le quadragénaire. Cet été sur Egora, suivez le parcours de ces médecins et carabins qui ont tout plaqué pour exercer à l'étranger. 

05/08/2024 Par Louise Claereboudt
Témoignage
upper east side, new york

Partir à l'étranger. Barthélémy Liabaud en rêvait depuis toujours. Dijonnais d'origine, il avait d'abord envisagé de s'installer en Angleterre. Mais la rencontre avec sa future épouse, Américaine, alors qu'il était interne en médecine générale à Paris 12 le convainc de viser plus loin, outre-Atlantique. Il jettera son dévolu sur la Grande Pomme. "Quitter Paris, ce n'était pas pour aller à Oklahoma City, plaisante le désormais quadragénaire. Il me fallait une ville comparable au niveau culturel. New York s'imposait." En parallèle de son cursus français, l'étudiant décide de passer ses équivalences américaines. Mais venir aux Etats-Unis n'est pas une mince affaire. "Les études de médecine sont très compétitives, comme en France, explique-t-il. Si on est étranger, il faut qu'on apporte quelque chose qu'un Américain ne pourrait pas apporter."

Il décide alors de se tourner vers la recherche. En 2008, en deuxième année d'internat, il commence à faire des allers-retours Paris-New York. "Je prenais des vacances pour aller faire de la recherche à Columbia pro bono, je n'étais pas payé." Pour financer ses voyages, il effectue des remplacements dans plusieurs cabinets de médecine générale de la capitale française. Passionné par la colonne vertébrale et les affections ostéo-articulaires et musculaires, il en fait son sujet d'étude. Ses efforts finissent par payer : en 2011, on lui offre un poste de chercheur rémunéré outre-Atlantique. Cela tombe bien, il vient de terminer son internat et de passer sa thèse en France. Le jeune homme fait alors ses bagages et s'envole en août pour les Etats-Unis. Pour s'y installer pour de bon cette fois. 

Il reste deux ans à Columbia dans le centre de recherche pour la hanche et le genou (de 2011 à 2013), puis à NYU (université de New York) au centre de recherche de la colonne vertébrale, "de réputation internationale pour tout ce qui concerne la scoliose de l'adulte", souligne Barthélémy Liabaud. Ces cinq années de recherche au total lui ouvrent les portes de l'internat américain, d'abord de chirurgie, pendant deux ans, puis de médecine physique et rééducation, qu'il termine en juin 2021. Il fait ensuite un "fellowship" (stage) spécialisé en traitement interventionnel de la douleur durant un an. "C'est une spécialité à part entière ici." Depuis lors, il exerce dans un cabinet de groupe avec 4 autres confrères dans l'Upper East side, à l'angle de la très chic cinquième avenue et de la 68e rue. Vue sur Central Park. 

"Un patient ne critiquera jamais un médecin parce qu'il gagne de l'argent"

Et le moins que l'on puisse dire, c'est que son quotidien de médecin aux Etats-Unis n'a rien à voir avec celui d'un praticien français. "C'est vraiment loin de ce que l'on peut imaginer", assure-t-il. "Je fais environ 40 heures par semaine, je travaille du lundi au vendredi, de 9h à 17h, je n'ai pas de gardes, je ne travaille pas les week-ends." Rien à voir avec les plus de 80 heures hebdomadaires de travail lors de son internat américain, avec des gardes "tous les trois jours". "L'internat aux Etats-Unis est vraiment plus difficile qu'en France, c'est impitoyable. Mais une fois qu'on a passé ça, c'est vraiment parfait." L'expatrié nuance toutefois ses propos : "Je fais du traitement de la douleur, si je faisais de la chirurgie ou de la traumatologie, je travaillerais probablement plus."

Seul prix à payer : aux Etats-Unis, les patients peuvent vous joindre un peu quand ils le veulent. "La plupart ont mon numéro de téléphone portable", indique Barthélémy Liabaud. Le Dijonnais d'origine ne s'en plaint pas particulièrement. "Je reçois peut-être trois messages par week-end, ça ne me dérange pas plus que ça, on s'habitue in fine", affirme-t-il. Et d'ajouter : "S'il y a un trop gros problème, ce qui arrive rarement, on a envie d'être au courant. Si je place un stimulateur de la colonne et qu'il y a une infection sur la plaie, je veux le savoir, je ne veux pas que mes patients aillent aux urgences et être tenu au courant trois jours après. Quelque part, c'est plus rassurant de savoir qu'ils peuvent nous joindre… Enfin, s'ils n'abusent pas", sourit le médecin.

Si, en France, les médecins se plaignent de plus en plus de l'attitude consumériste des patients, aux Etats-Unis, "c'est un peu pareil", poursuit le New Yorkais. "Les Américains veulent des résultats immédiats, ils ne sont pas très patients. Cela dit, ils sont davantage prêts à payer pour quelque chose qui fonctionne. Bien sûr s'ils peuvent payer le moins possible, ils le feront, mais il n'y a pas ce rapport à l'argent qu'il y avait en France. Le nombre de fois où j'ai entendu que la consultation du généraliste était trop chère, alors qu'à l'époque quand je remplaçais on était à 23 euros… Ici, un patient ne critiquera jamais un médecin parce qu'il gagne de l'argent, la plupart trouvent ça mérité", avance le Dr Liabaud, dont la première consultation est au tarif de 450 dollars, et les suivantes, à 400 dollars.

Dans son cabinet de la 5e avenue, ce dernier reçoit bien sûr une patientèle aisée, venue des beaux quartiers, mais pas seulement. "Aux Etats Unis, la majorité des cabinets libéraux doivent être affiliés à un centre hospitalier, surtout quand on fait de grosses procédures, au cas où il y a une urgence. Moi, je suis affilié à NYU et Northway, explique le praticien. Beaucoup de patients qui sont dans ces hôpitaux me sont envoyés." Y compris des patients Medicaid, "l'équivalent de la CMU", qui "viennent plutôt du Bronx". Pour ces derniers, les consultations et interventions sont "intégralement prises en charge". Et à partir de 65 ans, aux Etats-Unis, "tout le monde bénéficie de Medicare, qu'on soit milliardaire ou SDF", explique le médecin, balayant l'idée "préconçue" selon laquelle les Américains n'ont pas les moyens de se soigner.  

"Chaque hôpital américain a des hôpitaux affiliés, qu'on appelle les hôpitaux filets, moins réputés, mais qui prennent en charge tout le monde", ajoute le Français, qui a fait son internat à Suny Downstate, à Brooklyn, qui avait pour hôpital filet le centre Kings County. "C'est l'impôt des New Yorkais qui paie pour cela. Maintenant effectivement tout le monde ne peut pas avoir une chambre au 30e étage de NYU Tisch Hospital. Mais vous serez traité de la même façon que les autres dans les hôpitaux filets", assure Barthélémy Liabaud. "Les personnes qui sont endettées pour des raisons médicales, c'est aussi extrêmement rare et ce sont des cas où il y a des problèmes d'assurance. En général ça se règle à l'amiable", ajoute-t-il, évoquant une "sorte de légende". Il reconnaît toutefois que lorsque l'on n'est pas assuré* aux Etats-Unis, "c'est plus compliqué".

De son côté, le médecin indique faire un geste pour les patients qui sont plus en difficulté. "Certaines assurances négocient les remboursements. Par exemple, certaines ne remboursent que 200 dollars. Certains cabinets demanderaient que les patients paient le reste. En ce qui concerne notre cabinet, nous ne prenons que ce que l'assurance rembourse."  

"Je ne fais que voir des patients"

Si en France, le système conventionnel impose une dose de paperasse quotidienne aux médecins libéraux, les Américains ne sont pas en reste avec les assurances. "Aux Etats-Unis, quand on veut subir une intervention, faire une injection, certaines assurances privées demandent une autorisation d'abord. On doit envoyer une pré-autorisation à l'assurance qui accepte ou pas de prendre en charge. Souvent, les patients doivent revenir une fois que l'assurance est d'accord. C'est à nous, médecins, de prouver que ce patient a besoin de cette injection, de cette procédure… L'assurance peut refuser de payer : dans ce cas, soit on attend, soit le patient paie cash s'il le peut", explique le Dr Liabaud.

"Il y a un gros poids administratif ici aussi, mais le fait que les médecins gagnent beaucoup mieux leur vie leur permet d'employer du personnel pour faire ça", poursuit le médecin qui touche un salaire fixe de 350 000 dollars par an (près de 325 000 euros), auquel s'ajoute un "bonus" qui peut s'étaler "entre 100 000 et 500 000-600 000 dollars" en fonction de ce qu'il rapporte au cabinet. Le Dr Liabaud a systématiquement cinq employés à ses côtés, dont une secrétaire, un assistant médical ou encore une personne dont le travail est d'envoyer les papiers aux assurances des patients. "Je ne fais que voir des patients, faire mes prescriptions, mes injections et après je rentre à la maison. Si je devais tout faire ce serait effectivement invivable", admet le praticien, qui a vu son père, généraliste de campagne en Bourgogne, se casser la tête avec "la masse de papiers à remplir". "Ça lui donnait de l'anxiété. Ici, c'est beaucoup moins compliqué et obnubilant qu'en France."

Les délégations d'actes et transferts de compétences sont aussi plus répandus. Ce qui allège considérablement le quotidien des médecins, loue le Dr Liabaud. "Ici, beaucoup d'infirmières font presque un travail de généralistes. C'est moins le cas en ville, mais plus dans les campagnes." En ville, les médecins sont aussi souvent accompagnés de physician assistants. Un statut qui n'existe pas en France. "Ce sont en quelque sorte des internes à vie", indique notre expatrié. "Il s'agit souvent de personnes qui ne veulent pas faire de longues études de médecine – pour être physician assistant, c'est quatre ans après le lycée – ou de reconversions." Ils ont tout de même des salaires "décents" : "entre 100 et 150 000 dollars par an" pour zéro responsabilité.

Et le médecin généraliste dans tout ça ? En campagne, il a encore cette image de médecin de famille, comme en France, mais en ville, "les patients veulent surtout voir des spécialistes". Néanmoins, "leur rémunération et leur reconnaissance sociale sont meilleures, ça aide", estime le Dr Liabaud, qui juge la rémunération des généralistes français trop faible. "Avant de voir un spécialiste, certaines assurances obligent le patient à avoir une référence de leur médecin généraliste. C'est vraiment un truc économique, cela évite que les patients aillent voir des spécialistes qui coûtent cher. C'est aussi le cas en France, la Sécu veut que les généralistes fassent un peu barrage pour éviter que les gens aillent voir des spécialistes en veux-tu en voilà."  

"En France j'avais l'impression d'avoir atteint un plafond"

Deux ans après avoir réellement entamé sa carrière, le Dr Liabaud dit n'avoir "aucun regret" d'avoir quitté l'Hexagone et sa famille, qu'il essaie de voir quand même régulièrement. "New York, c'est fabuleux, je m'y plais vraiment. C'est une ville pleine d'énergie. On a l'impression que tout est possible", le praticien. "Quand j'étais en France et que je faisais des remplacements, j'avais l'impression d'avoir atteint un plafond, il n'y avait plus de place pour évoluer. Je voyais ma vie dans 40 ans exactement pareille. Ici, il n'y a plus cet effet de plafond, on a l'impression que tout est possible. Tout est encouragé. C'est un pays où l'échec est conçu comme un succès. En France quand on échoue, ce n'est pas évident…", vante-t-il, complètement emballé par cet état d'esprit à l'Américaine.

Seul point noir au tableau : le coût de la vie, exorbitant. Sur son salaire fixe de 350 000, il ne garde qu'environ la moitié, une fois les impôts fédéraux (au niveau national), l'impôt d'Etat de New York et l'impôt de la ville de New York prélevés. Se soustrait également le loyer de son appartement, qui s'élève à plus de 4500 euros par mois pour de 70 m². "A New York, quand on est médecin, on gagne moins d'argent que dans d'autres villes du pays. La ville est tellement attractive que les employeurs ne sont pas obligés de gonfler les salaires. Ils savent qu'ils trouveront des volontaires", ajoute le Dijonnais. Les médecins font tout de même partie des plus aisés dans la Grande Pomme, après les traders, sans doute.  

Quoi qu'il en soit, pour l'expatrié, pas question de revenir : "J'ai à nouveau donné 10 ans de ma vie quand je suis arrivé ici. Maintenant que j'ai enfin un métier stable où je gagne bien ma vie, je n'ai pas envie de retourner en France c'est sûr, même si j'adore ce pays." Le praticien qui a baigné dans le système de santé français depuis son enfance au travers de son père, généraliste, ne peut que se montrer critique vis-à-vis des tentatives de coercition à l'installation, monnaie courante au Parlement. "C'est voué à l'échec et c'est une absurdité : on n'attire pas des mouches avec du vinaigre. Si on force les médecins, ils vont partir. Il faudrait des honoraires plus élevés. Si un métier donne envie, il y a plus de compétition et on attire les meilleurs", défend le néo- New Yorkais, convaincu. 

 

 

* Selon la Fondation Jean Jaurès, "en 2018, 68% des Américains [étaient] couverts par une assurance privée (via l’emploi ou par achat direct), 34,1% [l'étaient] par une assurance publique (Medicare, Medicaid, anciens combattants). Les non-assurés [représentaient] encore 8% de la population, soit 30,4 millions de personnes".  

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Michel Rivoal

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Proximité, accessibilité, réseau, coordination… Hyperspécilisation, technicité, fréquence de recours faible… Bien sûr des gériatre... Lire plus

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