"Je facture mes consultations au temps passé et j'ai deux secrétaires" : vis ma vie de médecin français en Suisse
Le Dr Franck Chaumeil, médecin généraliste, a décidé de s'expatrier en Suisse après un burn out. Installé dans le canton du Valais depuis cinq ans, le praticien, au-delà de mieux gagner sa vie, a enfin du temps pour "voir grandir ses enfants", "partir en vacances" ou avoir des loisirs. Cet été sur Egora, suivez le parcours de ces médecins et carabins qui ont tout plaqué pour exercer à l'étranger.
"J'ai fait mes études à Bordeaux et j'ai eu ma thèse en 2007. J'ai travaillé une dizaine d'années en France en médecine de ville. J'étais dans une association où nous étions huit médecins (quatre généralistes et quatre spécialistes). Les premières années se sont bien passées. On travaillait beaucoup. Puis au fur et à mesure des années j'ai vécu ce que vivent les confrères actuellement. Avec les honoraires bloqués et les augmentations de charges, il fallait en faire toujours plus et on passait de moins en moins de temps avec les patients. Au bout d'un moment, je me suis épuisé et j'ai fini en burn out. Avant de craquer, il a fallu trouver des solutions. C'était en 2015, à l'époque de la loi santé de Marisol Touraine, qui voulait tout passer en tiers payant. Je me suis investi dans l'UFML à ce moment-là et je suis devenu vice-président.
A cette époque j'ai également fait la connaissance de médecins qui avaient monté un projet de clinique à Londres. On y allait quelques jours par mois dans un système privé. Cela permettait de lever le pied en France et d'arrondir les fins de mois. Mais faute de médecins investis, la structure a périclité.
De mon côté, j'avais la Suisse en ligne de mire. J'y ai donc repris un cabinet en 2019 avec un médecin que j'avais connu à Londres, dans le canton du Valais, qui est francophone. C'est une zone un peu montagnarde et rurale. J'exerce là depuis cinq ans et ça se passe très bien.
Le fait d'avoir goûté à la médecine libre à Londres a fait qu'il était devenu impossible pour moi de revenir travailler en France. J'étais en burn out et j'avais besoin de partir. Je ne voulais pas m'épuiser. Je voulais voir mes enfants grandir. La Suisse m'offrait des conditions de travail beaucoup plus intéressantes.
"En France, quand je rentrais tard chez moi et que j'avais la chance de voir mes enfants, ils me disaient qu'ils ne feraient jamais médecin"
J'ai désormais des honoraires qui me permettent d'avoir des assistantes. J'ai deux salariées, mon propre laboratoire d'analyse au cabinet. Il est également possible de faire des radios. L'exercice est plus intéressant et varié qu'en France.
Je suis marié et j'ai deux enfants. Quand on est partis, mon aînée avait 15 ans. Ça a été difficile pour elle de perdre les copains et les copines. Elle a dû se mettre à l'allemand, qui est une langue obligatoire ici alors qu'elle n'en parlait pas un mot. Mon fils avait 6 ans, ça a été beaucoup plus simple pour lui. Aujourd'hui, cinq ans plus tard, ils sont parfaitement bien intégrés. Ça se passe très bien. Ils ont un système scolaire très performant, de bon niveau, dans lequel ils s'épanouissent. Ils ne se verraient pas revenir en France maintenant.
En France, quand je rentrais tard chez moi et que j'avais la chance de voir mes enfants, ils me disaient qu'ils ne feraient jamais médecin. Depuis qu'on est en Suisse, ma fille veut devenir ophtalmo. Ça a complétement changé en quelques années. Quand on a de bonnes conditions d'exercice, on est plus épanouis.
Système conventionnel
Ici, les consultations englobent l'examen clinique et l'aspect technique (analyses, électrocardiogramme, radios éventuelles). En moyenne une consultation coûte 100 euros. En France, les médecins font en moyenne une quarantaine d'actes par jour. En Suisse, un médecin qui travaille beaucoup fait 20 à 25 actes quotidiens… On facture au temps, donc on n'est pas limité à 15 minutes. Si j'ai un patient qui fait un malaise et que je le garde en surveillance, je peux facturer le temps que je passe à le surveiller.
Ici, comme en France, c'est un système conventionnel négocié entre les fédérations de médecins, les assureurs et les représentants de l'Etat. Ça n'est pas un système comme à l'américaine où c'est la jungle ou comme au Royaume Unis où c'est tout Etat. Il y a une culture du consensus en Suisse qui fait qu'il y a un vrai paritarisme.
En Suisse, les médecins sont beaucoup plus respectés. Les patients écoutent les instructions de leur praticien s'il faut faire une prise de sang ou un examen complémentaire. Les patients sont contents que des médecins viennent s'installer parce que ça commence à se désertifier un peu dans le canton où j'exerce.
En France je travaillais de 9h à 20h, ici je fais 8h-18h et je ne travaille plus les samedis matins. J'ai une après-midi par semaine pour me former ou faire autre chose. J'ai un rythme de vie normal. Quand je pars en vacances, les patients me souhaitent de bonnes vacances. En France, ils me disaient "mais comment on va faire?"… Ils comprennent que le médecin a une famille et une vie à côté. Je pars cinq à six semaines par an.
"Je pourrais gagner plus si je le voulais"
Je gagne 12 000 euros brut en moyenne par mois (avant impôts). Quand je me suis installé, j'ai créé ma société et j'ai demandé à mon comptable de me calculer un salaire en fonction de mon âge et de mon diplôme. Ils ont des statistiques en fonction de l'âge, de l'expérience et du métier qui correspondent à une moyenne suisse. 12 000 euros, c'est deux fois et demi le salaire en France mais en sachant que le niveau de vie est plus cher ici, notamment l'alimentaire. Je pourrais gagner plus si je le voulais mais 12 000 euros, cela suffit à mes besoins. Comme je suis salarié de ma société, je me verse un salaire. La partie de mes honoraires que je ne me verse pas va dans le capital de la société.
Tout n'est pas non plus parfait et des choses peuvent toujours être améliorées. Je pense par exemple aux assureurs, qui poussent de plus en plus pour limiter le temps des consultations. Ils sont de plus en plus tatillons. Il y a pas mal de paperasse à faire pour justifier certains actes que l'on peut prescrire. Il y a eu pas mal de contrôle des assurances après le Covid. Je pense qu'ils cherchent de l'argent parce les dépenses de santé ont dû augmenter. J'ai pas mal de confrères qui ont été contrôlés.
"La France a pris trop de retard"
En Suisse, il y a aussi une part importante de médecine de charlatanerie qui est assez développée, avec des rebouteux, des magnétiseurs ou des étiopathes par exemple.
Je n'envisage pas un retour en France, le pays a pris trop de retard. Il y a vraiment une réforme du système à faire de fond en comble. Il faut arrêter le rafistolage, de confier des actes de médecins à d'autres professions moins qualifiées… Si les médecins pouvaient avoir un secteur à honoraires libres ils arriveraient à s'organiser, à salarier des gens et à faire un travail de qualité plus efficace.
Le canton du Valais cherche des médecins ! Il faut faire reconnaître le diplôme à Berne et trouver un cabinet à reprendre, mais c'est simple. Il n'y a pas de totale liberté d'installation pour les médecins étrangers. Ce sont les cantons qui décident en fonction de leurs besoins. Là, ils ont un peu ouvert les vannes parce que ça commence à se désertifier."
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