"Moi, médecin généraliste, je n'ai pas envie de mourir : je me déconventionne"
"J'exerce seule dans un immense désert médical. C'est le désert de Gobi. Je travaillais en groupe mais mon associée m'a quittée fin juillet. Elle a eu une proposition intéressante dans laquelle elle arrêtait la médecine générale pour ne faire que de la gynéco pure. Ma précédente associée avec laquelle j'ai travaillé pendant 15 ans s'est installée à Paris pour faire de l'esthétique, et elle est hyper heureuse. Mes deux associées m'ont quittées assez brutalement donc je n'ai pas envie de chercher quelqu'un d'autre. Je suis échaudée. Je prends donc en charge environ 40 patients par jour. Je suis maître de stage et mon interne voit entre 15 et 20 patients par jour, pour lesquels je repasse derrière. Je fais du présentiel, des consultations d'urgences en visio et mes prochains rendez-vous disponibles pour le présentiel sont en février. Et je ne parle pas des rajouts… Depuis la rentrée de septembre je travaille de 8h à 20h minimum, quand ça n'est pas plus tard. Je mange des soupes ou des repas d'urgence au cabinet. Je n'ai plus de vie, je suis à la limite du burn out. "On n'est plus des êtres humains" L'année dernière, mon frère a découvert un cancer. Il est mort au mois de juillet. Je n'ai pas été présente. Mon père a été malade, il a fait une première hospitalisation en avril en réa. En octobre il a refait une hospitalisation d'urgence en réa, j'ai cru le perdre plusieurs fois. Je jongle entre mes consultations, amener ma mère voir mon papa... En octobre je me suis blessée, j'ai dû annuler une après-midi de consultation. En reportant mes rendez-vous, j'ai eu des remarques de patients qui trouvaient ça inadmissible que j'annule au dernier moment. Je travaillais le lendemain, ça n'aurait sûrement pas été le cas de ces patients s'ils avaient été blessés. On n'est plus des êtres humains. Je viens de perdre un autre proche, ce qui m'a empêchée d'aller à la manifestation des médecins du 1er décembre dernier. Mais j'ai vu notre confrère, le Dr Braun, nous trahir en nous parlant de droits et de devoirs et des 600.000 patients en ALD sans médecins traitants alors que les médecins n'en peuvent déjà plus. Et ce serait à nous de trouver une solution ! "Combien d'entre nous vont mourir ?" Cette situation est décidée depuis 30 ans par les gouvernements. Après mon passage en 2ème année de médecine, en 1991, on a réduit le numerus clausus alors que l'on savait déjà qu'on allait manquer de médecins. Ce déficit de médecins est une situation qui a été calculée et voulue. Et maintenant, ça serait encore à nous de nous sacrifier. Combien d'entre nous vont mourir ? J'ai déjà pété un câble en 2015 avec la loi Marisol Touraine. J'aurais dû arrêter à ce moment-là. C'est toujours nous les méchants. Je ne peux plus adhérer à ce système.
Une de mes consœurs, qui est également en burn out, doit rembourser l'Assurance maladie parce qu'elle a fait trop de téléconsultations alors qu'elle avait contracté le Covid pour la troisième fois et qu'elle continuait de travailler. Elle a bossé à distance parce qu'elle n'était pas en capacité de le faire physiquement, et elle doit rembourser. Quel autre métier accepte de travailler malade pour prendre en charge des gens, qui des fois le sont beaucoup moins que nous, et à qui on demande de rembourser ? C'est du vol et du harcèlement. Elle va demander à la banque 10.000 euros parce qu'elle n'a pas de quoi payer ses charges. Quel travail, a niveau de responsabilités égales, en est là? C'est à pleurer. "Je ne peux plus être dans la maltraitance et le mépris" Je pensais à me déconventionner depuis quelque temps. Je doutais. J'ai pris la décision ce week-end [3/4 décembre] donc j'en ai pleuré plusieurs fois. Je l'ai dit aux patients et ce matin je l'ai officiellement dit à mes pairs, comme ça je ne pourrais pas revenir en arrière. J'ai encore pleuré 1h30 ce matin. Ma décision, c'est de...
me déconventionner en janvier 2024 pour laisser un an aux patients pour se retourner. Je ne vais pas les abandonner d'un coup. Je suis formée à l'hypnose, à la méditation, à des thérapies brèves. Je me forme au laser à visée esthétique, et au coaching. Je me fais des portes de sortie. Je ne peux plus être dans la maltraitance et le mépris. Je ne peux plus me sentir écrasée dans ce système qui nous culpabilise et qui nous oblige à être des esclaves. Je n'ai pas envie de mourir. J'ai des enfants et un mari. Je n'ai pas été assez présente pour eux. Je n'ai pas été présente pour mon frère ni pour mes parents qui sont malades et qui vont avoir besoin de moi. Je ne peux pas accepter cette société qui me demande encore de remplir la case des devoirs avant de voir les droits. Mais c'est quoi mon humanité à moi ? J'ai le droit au respect et à la bienveillance. La case des devoirs, je l'ai déjà remplie pendant 20 ans ou pendant la période du Covid où je me suis défoncée. Je faisais des consultations et des téléconsultations. Nous avons monté un centre de dépistage. J'ai dû demander à l'entreprise de mon mari du gel hydroalcoolique ou des masques parce qu'on n'avait rien. J'ai fait des vaccinations, je suis allée aider en maison de retraite, j'ai fait de la régulation médicale. Je bossais 7 jours sur 7. Au niveau des devoirs, on est bon. J'ai bien coché toutes les cases. Par contre mes droits ont été bafoués depuis des années. "Qui prend soin des soignants ?" On demande plus de personnel soignant pour prendre en charge les patients, mais qui prend soin des soignants ? Mes collègues de CPTS ont vu ma souffrance, pas un seul ne m'a demandé comment j'allais. J'aurai pu me tirer une balle dans la tête, ils auraient dit "c'est vrai qu'elle n'était pas bien". Si on ne prend pas soin des soignants, il n'y aura plus personne pour soigner les gens. Ce qui est le plus terrible dans tout cela, c'est que j'aime mon métier. J'ai des patients que je suis depuis 20 ans. C'est un déchirement de penser qu'ils vont me quitter le cœur serré. Et cela sera mon cas aussi. Je ne vais plus suivre mes petits bébés, mes personnes âgées. Tout cela c'est de l'humain. Mais comment faire des relations humaines avec 5 minutes de consultation ? En 2024, j'aurai des consultations à un tarif que j'estimerai juste. Je vais avoir un an pour le déterminer. Je pense que cela sera aux alentours de 60 euros minimum. Je vais développer une partie esthétique. La peau est un organe d'expression qui nous permet d'être en lien avec l'autre. Mon approche sera vraiment globale. D'autant que pour l'esthétique, les gens sont prêts à débourser de l'argent. Et quand on prend bien soin d'eux, ils sont contents. En médecine générale, on se défonce pour les patients, ça ne coûte quasiment rien et ce que l'on fait ce n'est jamais bien. Les patients nous engueulent. Certains sont abjects. Je sais que c'est compliqué d'avoir un médecin dans le Val d'Oise. Je suis un des rares médecins qui accepte de voir des patients qui ne faisaient pas partie de ma patientèle. Mais ces patients-là se permettaient de me cracher à la gueule. Je ne prends plus aucun patient en médecin traitant. Je dois déjà en avoir aux alentours de 1.900. Il y a en moyenne 5 à 6 patients par jour qui me demandent d'être leur médecin traitant. C'est dramatique. Et je pense que le pire est à venir. Je ne peux plus me projeter dans des années de souffrance."
Je me déclare "inapte au poste de médecin généraliste conventionné secteur 1"
Voici le texte de la Dre Cabrita envoyé à ses confrères du groupe Médecins pour demain
"Avec sa déclaration lors de la grève, notre confrère le Dr Braun, aujourd'hui ministre, a trahi cette confraternité en nous lançant à la figure sa phrase sur nos droits/devoirs, et a ainsi soufflé la dernière petite lumière d'espoir dans ma capacité d'exercice en étant conventionnée... ça m'a tuée !!!
C'est donc le cœur brisé, que j'écris ces lignes.
Comme je ne peux pas faire plus, épuisée, maltraitée, et méprisée par ce confrère, j'ai décidé ce week-end : je serai déconventionnée en janvier 2024.
Cela me laisse le temps de prévenir mes patients pour qu'ils trouvent un nouveau médecin traitant.
Je continue le combat, mais je ne suis plus en état d'être en première ligne. Trop blessée et à bout de souffle.
Je me déclare "inapte au poste de médecin généraliste conventionné secteur 1" comme le ferait un médecin du travail pour un pilote d'avion.
Je suis en train de devenir dangereuse et maltraitante pour mes patients, ma famille et moi-même.
J'ai un an pour préparer ma reconversion.
Merci pour ceux qui auront pris le temps de lire ces lignes sans me juger."
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