Tabassé, débordé, isolé : le cri de désespoir d'un généraliste du 93

12/12/2018 Par Aveline Marques

Le 29 novembre dernier, le Dr Olivier Benais a "vu la mort de près". Passé à tabac par un patient éconduit, ce généraliste de Romainville (Seine-Saint-Denis) en veut surtout à la CPAM et à l'Ordre, qui lui ont reproché de trop travailler par le passé... Et sont restés sourds à ses appels à l'aide. "En première ligne" face à des patients de plus en plus nombreux, ce médecin crie son impuissance.

  "J'exerce dans un secteur défavorisé du 93 depuis près de vingt ans. Depuis mon installation, 7 ou 8 médecins sont partis à la retraite dans mon secteur et seulement 2 sont arrivés : j'ai donc récupéré leur patientèle. Je suis quelqu'un qui travaille beaucoup, de 7 heures à 21 heures. Au début, je travaillais non-stop. Puis j'ai pris une remplaçante, que j'ai gardée pour les vacances scolaires, mais aussi hors vacances, les mercredis. Du lundi au samedi, mon cabinet était ouvert tous les jours, même si ce n'est pas moi qui travaillais tout le temps.  

  Il y a cinq ans, la CPAM a donné l'alerte au CDOM 93, signalant que mon activité était 4 fois plus importante que la moyenne nationale. Ils ont comparé une valeur absolue : les chiffres de consultations, et non le taux horaire par exemple. Ils n'ont pas pris en compte les jours travaillés ou les heures d'activité - si vous travaillez 15 heures par jour, vous voyez plus de patients que si vous ne travaillez que 2 heures… Ils n'ont pas pris en compte non plus le secteur, le nombre de médecins en exercice ou le fait qu'il y avait aussi l'activité de ma remplaçante dans ces statistiques. Je voyais 60-70 patients par jour. Idem pour ma remplaçante, preuve qu'il y avait de la demande sur le secteur. Ils ont alerté sur le plan statistique, mais n'avaient rien à me reprocher sur le plan médical. En vingt ans d'exercice, je n'ai jamais reçu une seule plainte de patient. J'ai fait l'objet d'une plainte à l'Ordre pour suractivité médicale. Il n'était pas question de majoration nuit, d'escroquerie ou quoique ce soit. On m'a dit : "vous travaillez trop, vous ne faites pas de la bonne médecine". En première instance, je n'ai rien eu. Mais en appel, j'ai été suspendu par la chambre disciplinaire nationale. Quand j'ai reçu le premier courrier du conseil de l'Ordre, jamais je n'aurais imaginé que ça irait jusque-là…   "Vous n'êtes pas le sauveur du 93"   J'ai purgé ma peine. Puis j'ai pris deux collaboratrices. Aujourd'hui, mon activité est divisée en trois, mais le cabinet tourne toujours à plein régime. Chaque jour, à deux, on voit 90 patients. Et n'importe quel médecin venant à ma place en verrait autant… il y a une telle demande ! J'ai demandé à l'Ordre comment faire pour diminuer mon activité dans ces conditions ? "Ce n'est pas votre problème, vous n'êtes pas le sauveur du 93", m'ont-ils répondu. Je peux fermer ma porte à midi tous les jours, bien sûr… mais les gens vont revenir le lendemain ! Il faut bien qu'ils soient absorbés par quelqu'un. Les urgences les renvoient aux médecins traitants. Les médecins des centres et maisons de santé n'ont pas ce problème, eux : il y a 18 barrières avant d'arriver jusqu'à eux. Moi je suis en première ligne ! Suite à cette sanction, j'ai demandé des rendez-vous par recommandés à la CPAM, au CDOM pour me conseiller sur mon activité, sur les arrêts, les relations avec les spécialistes, le tiers payant… Ils n'ont jamais répondu, ou complètement à côté, en me demandant de préciser mes questions. Mais je n'ai jamais été reçu par qui que ce soit. Certains de mes confrères n'ont, eux, aucun problème pour avoir ce genre de rendez-vous et de conseils préventils. Il y a deux ans, j'ai été frappé à coups de casque par des patients que j'ai refusé de recevoir. J'ai eu un traumatisme crânien. J'envoie des lettres au CDOM : ils me répondent "on vous soutient"… sans me recevoir, ni rien.   J'ai vu la mort de près   Et il y a 15 jours, ça a été le coup de massue. J'ai vu la mort de près… Un patient est arrivé à 7h45 en demandant si je pouvais le recevoir, je lui ai dit que non car c'était l'horaire des rendez-vous, je lui ai conseillé de revenir plus tard ou de s'adresser aux urgences, suivant les recommandations du CDOM. Il est parti énervé et est revenu une demi-heure plus tard avec son ami. Ils sont rentrés dans le bureau, m'ont tabassé et m'ont piqué ma montre. Suite à mon agression, j'ai renvoyé un mail au CDOM, avec ma photo : "voilà vos bons conseils". Depuis, j'ai reçu un mail du CDOM 93 pour me demander si j'étais là pendant les fêtes… Et un mail du Cnom disant qu'ils étaient au courant de mon "malencontreux événement" et m'indiquant la procédure à suivre pour signaler l’agression pour leur statistiques. Ils disent qu'ils nous soutiennent mais à aucun moment ils ne me reçoivent ni ne me conseillent… C'est là où je craque. On n'a pas de soutien, pas de compréhension. Ils ne nous expliquent pas comment il faut faire sur le terrain, quelle est la conduite à tenir… Sanctionner peut-être, mais prévenir et surtout conseiller serait plus adapté au rôle qui leur est assigné. A la CPAM, plus personne ne me répond depuis 6 mois. Je demande à vérifier mon RIAP [relevé individuel d'activité et de prescriptions, NDLR], mes statistiques d'arrêts de travail… rien. Plus de nouvelles de mon interlocutrice. Ça ne me dérange pas qu'ils surveillent les statistiques, mais qu'ils viennent sur le terrain pour donner des conseils ! C'est facile de dire vous faites trop de ci, trop de ça : donnez-nous des solutions ! Appelez la PMI de Romainville, c'est vers moi qu'ils renvoient les patients. Pareil aux urgences de Montreuil… c'est normal, je travaille ! C'est peut-être moi qui ai donné la mauvaise habitude de travailler beaucoup, mais je suis un médecin libéral, qui choisit ses amplitudes de travail. Je ne vois pas pourquoi je ne travaillerais pas. Là, j’ai eu de nombreux jours d'arrêt de travail par les UMJ [unités médico-judiciaires, NDLR]. Il serait peut-être plus judicieux de m'arrêter...Je diminuerais ainsi mes statistiques et augmenterais celles de mes confrères, c'est mathématique. Mais l'essentiel, c'est de préserver la continuité des soins."

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