La nouvelle a été accueillie avec un grand soulagement par les quelque 4.500 habitants de Saint-Florentin (Yonne) et ceux des communes des alentours, qui se vident de leurs médecins année après année. Début janvier, la commune comptait trois généralistes en exercice, un retraité actif, et le départ d’un cinquième médecin était imminent. Aucun d’entre eux ne pouvait prendre de nouveaux patients, faute de temps. L’arrivée de deux nouveaux praticiens, tout droit venus de la capitale, laissait ainsi percevoir un avenir moins incertain sur le plan de la santé pour les habitants. Les Drs Antonela Guignard, 34 ans, et Olivier Delarras, 40 ans, se sont installés le 10 janvier au rez-de-chaussée de la mairie, dans des locaux remis à neuf par la commune, dans ce contexte de démographie médicale tendu. Les deux généralistes ont tout de suite dû appréhender un "tsunami" de patients dépourvus de médecin traitant. Mais en arrivant de leur plein gré dans un territoire sous-doté, ces deux Parisiens s’y étaient préparés et n’ont pas été apeurés. Aujourd’hui, ils ont constitué chacun leur propre patientèle. "Des gens viennent du sud d’Auxerre pour me voir", raconte le Dr Delarras. "Peut-être que c’est ça aussi le modèle de demain ?"
"Le mix entre l’hôpital et le libéral est complémentaire" Le projet de s’installer en libéral a d’abord germé dans l’esprit du Dr Delarras, qui n’a de cesse de vouloir faire évoluer le système de santé. Originaire de Besançon, celui-ci a acheté une maison à quelques kilomètres de Saint-Florentin après avoir passé sa thèse, il y a un an et demi, en 2020. Il était tout naturel pour lui de s’investir sur son nouveau territoire de vie. Quand celui-ci a exposé son envie d’installation à sa consœur Antonela Guignard, avec qui il remplacait alors à l’hôpital privé de la Seine-Saint-Denis, celle-ci est tout de suite emballée. "Je voulais m’associer", explique-t-elle à Egora.fr. Les deux amis quittent en même temps l’établissement privé pour rejoindre les urgences de l’hôpital public Saint-Louis à Paris (AP-HP). Car pour le Dr Delarras, à l’hôpital privé – qu’il avait rejoint parce que les remplacements étaient mieux payés, l’ambition était réduite à "néant". "Aujourd’hui, quand on est médecin, si on a un tout petit peu de volonté et de perspectives, ce n’est certainement pas là-dedans qu’il faut se lancer." Un changement qui avait suscité à l’époque de nombreuses interrogations, se souvient-il. En parallèle, les deux médecins organisent leur projet d’installation. Aujourd’hui, ils partagent leur temps entre la capitale et la campagne. Un mode de vie atypique qui, au bout de quatre mois, semble leur convenir. "On est toujours dans la phase de connaissance avec les patients", explique Antonela Guignard, originaire de Roumanie et qui est arrivée en France pour faire son internat. "J’apprécie le mix entre l’hôpital et le libéral, c’est complémentaire et c’est un bon équilibre." Un avis partagé par son confrère, qui voit un grand avantage à avoir un pied à l’hôpital et un autre en ville : "Cela évite les envois intempestifs aux urgences pour rien." Le praticien se décrit comme un "fantassin", un "soldat de première ligne", chargé d’organiser le suivi de son patient en dehors des murs de son cabinet. "Je pourrais appeler des ambulances toutes les cinq minutes et envoyer tout le monde à Auxerre, Troyes ou Sens. Je serais tranquille. C’est peut-être bien pour le patient, mais je ne suis pas sûr qu’il y ait un grand bénéfice pour le système de santé, ni financièrement ni sur l’efficience." "On en fait autant que la moyenne nationale" Au cabinet, les deux collègues se croisent rarement. Ils s’organisent pour qu’il y ait toujours quelqu’un à Saint-Florentin. En moyenne, Antonela Guignard est présente deux jours par semaine, parfois d’affilée. Dans ce cas, la jeune femme qui habite à Paris dort sur place car pour se rendre au cabinet de Saint-Florentin, elle parcourt en voiture deux heures aller et deux heures retour chaque jour. Olivier Delarras effectue, lui, entre trois et quatre jours en libéral. "On est là quasiment du lundi au samedi. C’est encore variable car notre installation est encore récente, mais ça va se stabiliser dans le courant juin-juillet", assure le Dr Delarras. "Même quand on est ensemble sur place, on ne se voit pas, tellement on travaille", explique le généraliste, qui poursuit : "On dépasse allégrement les soixante patients par jour" car "lorsque l’on consulte, on fait des grosses journées. On commence en général à 8h du matin et on termine à 21h/22h." "Finalement, en nombre de patients vus, je pense qu’on en fait autant que la moyenne nationale", se réjouit-il. Qu’en est-il lorsqu’ils ne sont pas là ?... La continuité des soins est-elle assurée ? Oui, répond le quadragénaire, sans détour. S’ils ont fait le choix de se contenter d’un agenda Doctolib et de ne pas avoir de secrétariat téléphonique, ils ont "un mail professionnel sur lequel les patients peuvent [leur] écrire pour demander un rendez-vous, ou pour toute autre demande". "C’est très fréquent qu’on déclenche des téléconsultations ou des consultations supplémentaires", explique Olivier Delarras. "J’ai découvert la France profonde" Si le praticien voulait s’installer à Saint-Florentin, ce n’est pas vraiment parce qu’il voulait exercer dans un désert – terme qu’il juge "complètement galvaudé car il y a seulement des déserts un peu plus arides que d’autres aujourd’hui en France". "J’avais très clairement dit à M. Delot, le président de la communauté de communes et maire de Saint-Florentin, que je ne m’installerais que s’il y avait un projet de santé global derrière. L’idée était de construire quelque chose de beaucoup plus efficient sur un territoire arriéré au sens du système de santé. Ici, ils ont 40 ans de retard, même si on est qu’à 100 kilomètres de Paris. J’ai découvert la France profonde", observe-t-il. "Personne ne veut travailler avec personne, tout le monde veut que ce soit plus efficace sans rien faire." "Ce qui m’a motivé, c’était d’avoir la possibilité, sur un territoire qui n’était pas encore appréhendé, apprivoisé, sur le plan de l’organisation des soins, de construire un projet plus vaste. C’est intrinsèque à ma personnalité de vouloir coordonner, organiser les choses, construire des systèmes qui permettent d’exercer la médecine dans un confort optimal, tant pour le patient que pour les praticiens en général", explique celui qui a obtenu un diplôme d’ingénierie avant de se tourner vers la médecine. Le Dr Delarras a ainsi souhaité porter un projet de maison de santé pluriprofessionnelle (MSP), auquel adhère sa consœur le Dr Guignard. Elle devrait voir le jour d’ici 2023 ou 2024. Dans leur cabinet, les deux nouveaux généralistes s’organisent d’ailleurs déjà comme une MSP. "On partage déjà nos dossiers, indique l’instigateur. Les patients d’Antonela peuvent venir me voir, et inversement." C’est d’ailleurs parce qu’ils avaient déjà en tête ce projet que les deux urgentistes parisiens n’ont pas souhaité "s’engager sur l’achat de locaux ou la location". Conscient de l’importance de faire connaître leur territoire pour le rendre attractif, les deux jeunes généralistes veulent par ailleurs qu’elle soit labellisée MSPU (maison de santé pluriprofessionnelle universitaire). Il entend également sensibiliser ses confrères à la maîtrise de stage, tremplin pour "susciter des vocations" alors que la formation est "trop hospitalo-centrée". "C’est le grand tort de mes confrères qui sont plutôt en fin de carrière sur le territoire local : aucun n’est maître de stage."
Le Dr Delarras, qui travaille en étroite collaboration avec la mairie, l’ARS Bourgogne France Comté et la CPAM, s’investit également dans un projet de CPTS (communauté professionnelle territoriale de santé) dans le centre Yonne. Une structure hors les murs qui selon lui est indispensable aujourd’hui pour soigner correctement, et faire évoluer les mentalités. "L’efficacité passe par le fait d’être ensemble", soutient-il, pleinement convaincu. Et si ce n’était pas dans les habitudes des soignants déjà établis, le généraliste s’en réjouit : "les forces sont en train de se rassembler". "L’installation se serait faite sans avantages" Si le généraliste est prêt à faire bouger les choses à l’échelle de son territoire, il le reconnaît : "l’installation, ce n’est pas facile. Il y a une grande peur du libéral", explique-t-il. Conséquence entre autres d’une formation qui ne prépare pas suffisamment les jeunes médecins à cette aventure entrepreneuriale. Mais grâce à la communauté de communes, lui et Antonela Guignard ont pu voir la leur facilitée, qu’il s’agisse de l’accompagnement, des locaux, mais aussi des aides financières. Saint-Florentin étant en zone de revitalisation rurale, les deux jeunes praticiens bénéficient d’une exonération fiscale durant cinq ans et "dégressive pour les trois années qui suivent". Seule condition : rester cinq années sur le territoire. Et "grâce à cette démarche que j’ai impulsée sur place, le territoire de Saint-Florentin et aux alentours devrait passer en zone d’intervention prioritaire (ZIP) après des discussions avec l’ARS et la CPAM". Ils pourraient ainsi avoir une aide de 50.000 euros. "Comme quoi, même des initiatives de terrain peuvent aussi faire changer les orientations politiques !" Le Dr Olivier Delarras l’assure pourtant : "l’installation se serait faite sans avantages." Pour l’instant, les jeunes praticiens trouvent leur compte dans ce mode de vie partagé. Mais, peut-être faudra-t-il un jour se tourner vers un hôpital de proximité, soulève le Dr Delarras, même si la question ne se pose pas à l’heure actuelle. Quoi qu’il en soit, la priorité sera donnée au projet de Saint-Florentin quitte, donc, à quitter définitivement la capitale.
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