Exploités, sous-payés, mal formés : les internes parisiens entrent en grève
Interne en hépato-gastro-entérologie, en fin de 2ème année, Victor Desplats est le président sortant du SIHP. Egora.fr : Quel a été l'élément déclencheur de cet appel à la grève ? Victor Desplats : Le contexte global d'urgence sur l'Hôpital. Les internes ont un rôle à jouer, ils doivent participer aux actions qui se mettent en place. La grève se justifie par la nécessité de permettre aux internes de s'absenter des services pour aller manifester le 14 novembre. Pour l'instant, il n'y a pas d'appel à la grève illimitée. En tant que président du SIPH, j'ai été invité à témoigner lors de l'assemblée générale du Collectif Inter-Hôpitaux [organisée le 10 octobre à la Pitié-Salpêtrière, NDLR]. Quelles sont les revendications portées par les internes ? Il y a la question de la revalorisation salariale, qui est depuis longtemps laissée de côté. Au même titre que les paramédicaux, on demande une revalorisation de notre salaire. Si l'on compte la rémunération annuelle brute, l'indemnité de sujétion particulière et l'indemnité non logés-non nourris, et que l'on rapporte aux 55 heures hebdomadaires en moyenne (étude de l'Isni sur le temps de travail), un interne de 1ère année gagne 7,85 euros brut de l'heure…
Pour l'Ile-de-France, on demande une prime "vie chère", étant donné le prix des loyers et le coût de la vie. Une prime à la hauteur de celle versée aux internes des DOM-TOM. Sachant que les directeurs d'hôpitaux parisiens bénéficient d'une prime vie chère et que les députés ont récemment augmenté leur indemnité de logement… Pourquoi pas les internes ?
Votre mouvement est-il lié à la récente annulation des choix de stage des internes franciliens de médecine générale ? Non, c'est le SRP-IMG [Syndicat représentatif parisien des internes de médecine générale, NDLR] qui les représente. Pour nous, c'est vraiment la nécessité de faire entendre les internes dans la gronde générale. Nous avons un pouvoir de frappe important, donc il fallait prendre part à cela. Avez-vous déjà été contactés par les tutelles ? Non, le préavis de grève est en cours d'envoi à l'Assistance-Publique Hôpitaux de Paris et aux différents hôpitaux d'Ile-de-France. Il faut savoir que l'ensemble des syndicats de praticiens hospitaliers (Jeunes médecins, APH, Samu-Urgences de France…) ont déposé un préavis de grève nationale illimitée à partir...
du 29 octobre, date d'examen du PLFSS 2020, et organise une manifestation à Paris entre le métro Chevaleret et Bercy, en amont donc de cette grande manifestation du 14 novembre.
Les internes pouvaient-ils déjà faire grève sur la base de ce préavis ? Théoriquement, oui. Mais on pense qu'il était important que le syndicat des internes se manifeste, pour montrer qu'on est présents et qu'on a l'envie d'être au-devant de la manifestation et dans les discussions pour faire valoir les revendications spécifiques des internes. Quelles sont vos autres revendications ? Elles rejoignent en grande partie les demandes du collectif Inter-Hôpitaux : réorganisation générale de l'hôpital, politique d'embauches, mise en place d'un management individuel… Il faut que chaque professionnel de santé, chaque interne, soit pris en charge par les ressources humaines. Pour que l'on ne soit pas, nous, simplement utilisé comme ça en répartition tous les six mois mais qu'il y ait un vrai projet professionnel et un engagement des structures. On veut que des postes de PH soient débloqués, que les postes d'assistants et chefs de cliniques soient revalorisés, pour notre cursus post-internat. Il est aussi difficile pour nous d'avoir accès à des crèches, alors qu'à notre âge certains ont des enfants et sont en couple avec un autre interne. Prendre une garde à domicile avec nos salaires...
c'est impossible. Il faut aussi systématiser les visites médicales, au regard des risques psycho-sociaux qui sont importants pour les étudiants en médecine. Il y a également le dispositif anti-cadeaux des labos, qui pose énormément de problèmes pour la formation des internes de spécialité : nous ne sommes pas attachés à ce que la formation soit assurée par les laboratoires, mais cela nous permettait d'assister à des congrès, d'avoir des formations complémentaires comme des DU. En remplacement, on demande un portefeuille de formation, comme en entreprise. Pensez-vous que la grève sera suivie par les internes ? Dès le vote par nos collèges de spécialité lundi, nous avons lancé une communication intense sur les réseaux sociaux et par mail. Une AG sera organisée le 6 novembre pour coordonner la manifestation du 14 novembre. On pense qu'elle peut être suivie, dans la mesure où la dynamique est favorable avec une bonne partie des seniors de l'AP-HP qui sont grévistes. Les internes se sentent extrêmement concernés.
Dès lors qu'un préavis (national ou local) a été déposé, l'interne peut se déclarer gréviste à tout moment. La jurisprudence, rappelée par le ministère de la Santé dans une instruction du 22 janvier 2016, précise que "la participation de l’interne, praticien en formation, à l’activité hospitalière ne saurait être considérée comme indispensable à la continuité des soins". Par conséquent, en cas d'assignation du chef d'établissement pour assurer le service minimum (sécurité physique des personnes, continuité des soins et des prestations hôtelières, conservation des installations et du matériel), "l'interne gréviste doit être appelé en dernier", rappelle Victor Desplats : après les praticiens seniors, qu'ils soient grévistes ou non (s'ils ne sont pas repos de sécurité ou en congés annuels) et après les internes non-grévistes.
La notification de l'assignation "doit être certaine", précise le ministère : "elle peut être effectuée par remise en mains propres avec signature, par lettre recommandée avec accusé de réception, par convocation pendant leurs obligations de service hospitalières, ou par tout autre moyen permettant de s’assurer de sa réception par l’intéressé". Une notification par mail n'est pas valable, insiste le secrétaire général du SIPH, qui veillera à diffuser la réglementation auprès des carabins afin d'éviter les abus. "Nous serons extrêmement vigilants."
La réquisition est quant à elle effectuée par le préfet et se justifie par l'existence d'un risque grave pour la santé publique, l'impossibilité d'y faire face par d'autres moyens et l'existence d'une situation d'urgence. "Seules les personnes indispensables au fonctionnement minimal" peuvent être réquisitionnées. Là encore, "la réquisition d'un interne ne pourrait se justifier qu'en dernier recours".
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