Article initialement publié sur Concours pluripro Ils ne décolèrent pas. Rapport de l’Igas "méprisant les psychologues et ceux qui les forment", rapport de la Cour des comptes "soutenant une expérimentation de remboursement scandaleuse", cahier des charges des ARS interdisant ou limitant les soins à certains structures, arrêté "réduisant les compétences des psychologues qui interviennent auprès des enfants présentant certaines troubles du développement" et plus récemment, instruction du ministère de la Santé annonçant l'intervention de 200 équivalents temps plein (ETP) de psychologues dans les maisons et centres de santé… Pour la Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP), qui co-signe un communiqué avec la CGT-UFMICT, le SNP et le Siueerpp*, cette succession de rapports et de réglementations, "sous-couvert de préoccupation humaniste pour la santé mentale de nos concitoyens, dénigre à chaque fois davantage les psychologues et menacent de plus en plus leur pratique". Anna Cywinska, psychologue clinicienne depuis une douzaine d’années, actuellement en activité libérale et en Ehpad, sur Pau (Pyrénées Atlantique), et membre active de la FFPP Aquitaine, revient sur les revendications de sa profession, quelques jours après l’entrée en vigueur du dispositif médecin-psychologie en MSP et CDS. "Psychologues maltraités, population malmenée". Les mots du communiqué sont forts. Quelles sont les raisons derrière cet appel du 10 juin ? Il résulte de la succession des dispositifs qui ont été mis en place depuis quelques mois, car ce qui est en jeu, c’est la perte de liberté et d’indépendance du psychologue au niveau de sa pratique professionnelle. D’un côté, on fait appel à nous car avec la crise du Covid et le confinement, la santé psychique est sur le devant de la scène. Doctolib a noté d'ailleurs une augmentation de 27% des demandes de prise en charge psychologique entre octobre 2020 et mars 2021. Il y a donc une vraie demande de la part de la population. Mais de l’autre côté, on sous-entend qu’il faudrait vérifier si le psychologue a réellement les compétences de le faire. Un vrai paradoxe ! C’est ce qui est proposé dans la dernière instruction du ministère de la Santé, concernant le remboursement des séances de psychologues au sein des MSP… Effectivement et il est important de noter que ce remboursement se fera, dans un premier temps, au sein des MSP. Car Olivier Véran a précisé que cela risquait de concerner, à terme, tous les psychologues en libéral. C’est pour ça que la profession se soulève aujourd’hui ! Parce que ce dispositif, qui vient d’être acté par une instruction, se base sur des expérimentations débutées en 2018 dans 4 départements (Bouches-du-Rhône, Haute-Garonne, Morbihan et Landes), et visant à rembourser des séances de psychologues avec notamment une séance d’évaluation par le médecin généraliste et le psychologue sur la base de certaines échelles de dépression et d’anxiété. Une fois validé, place à 10 séances de "soutien", à 22 euros les 30 minutes, renouvelables après validation du médecin ou d’un psychiatre pour 10 séances de psychothérapie structurée, à 32 euros les 45 minutes. On avait ces expérimentations en tête quand on a fait partie des groupes de travail avec le ministère de la santé et la Cnam mais le problème qui se pose est double ou triple. Car d’un part, c’est la première fois qu’on vient règlementer le temps d’une consultation dans le champ du soin – et là, c’est le gouvernement qui l’impose – alors que nous sommes les seuls garants de la liberté de parole. Il y a donc une totale incohérence et une méconnaissance de notre métier et des besoins du patient. Ensuite, il y a également le fait qu’au bout de 10 séances, une validation d’un médecin ou d’un psychiatre soit demandée. Actuellement en libéral, on est complètement dépassé. Autour de moi, les psychologues n’ont plus de place et pour ma part, ça fait deux mois que je ne prends plus de nouveau patient. Une partie de notre patientèle vient de l’orientation du médecin et à aucun moment, celui-ci ne vient vérifier s’il faut poursuivre les séances ou pas. Pourquoi alors introduire cette validation aujourd’hui ? D’autant que ça ne relève pas de la compétence du médecin.
C’est donc un manque de reconnaissance vis-à-vis des compétences des psychologues ? Oui, car un médecin ne peut pas évaluer l’avancée du travail psychothérapeutique. Pour deux raisons : l’établissement du...
lien de confiance, du transfert entre le patient et le psychologue peut parfois prendre du temps, et en psychothérapie, le patient peut avoir une résistance à l’amélioration de son état psychique. Et c’est à nous de l’évaluer car nous avons les compétences d’apprécier l’avancée et le déroulé d’une psychothérapie. Mais une fois de plus, ce n’est pas sur le terrain que surviennent les problèmes. Car les médecins généralistes sont eux-mêmes pris dans des discours globaux avec, en toile de temps, une perte de liberté par rapport à des discours gestionnaires. C’est ce qui est à l’œuvre dans le gouvernement et les ARS : il y a un discours global qui peut avoir des répercussions sur la pratique sur le terrain. Le fait de maintenir cette collaboration avec nos collègues médecins est indispensable pour avoir une prise en charge globale, et pour garantir au patient un accompagnement global psychique et organique. Vous dénoncez dans votre communiqué un "risque de paramédicalisation" et la "mise sous tutelle médicale". Pourquoi ? Les psychologues sont formés à l’université et notre origine vient des sciences humaines. C’est la raison pour laquelle nous ne sommes pas inscrits au code de la santé. Et c’est un vrai débat dans la profession, parce qu’une fois inscrits, on craint de dépendre d’une vision uniquement médicale, avec le risque que l’entité psychique soit une des sous-parties de cette prise en charge médicale alors qu’on œuvre plutôt pour la complémentarité. On n’est pas des rééducateurs et le sens de notre métier – ce qui est inscrit dans notre code de déontologie –, c’est de reconnaitre, respecter et soutenir la personne dans sa dimension psychique globale. Ce qui nécessite un champ spécifique. Un médecin aura une vision de l’être humain en termes de symptômes à éradiquer ou rééduquer, alors que nous allons nous intéresser à la globalité des mouvements psychiques, à la relation… Ce qui ne se cote pas et ne se quantifie pas. Et parfois, ce n’est pas l’éradication d’un symptôme qui va indiquer la réussite d’une psychothérapie. Il ne suffit pas de placer un pansement tout neuf et tout beau si on n’a pas bien traité la plaie… et tout ça peut prendre du temps. Comment se déroulera la mobilisation nationale ce jeudi 10 juin ? Il y a tout d’abord une manifestation centrale devant le ministère de la Santé à 13h30 et plus d’une quinzaine mobilisations organisées sur l’ensemble du territoire**, avec notamment des demandes d’audience à l’ARS ou la préfecture. L’objectif est faire part de notre mécontentement et...
d’appeler au boycott du dispositif médecin-psychologue en maison de santé. Et on demande au ministre de la Santé de nous laisser faire notre travail, de nous faire confiance et de nous rencontrer le plus vite possible pour reprendre les négociations. Elles avaient commencé avec Agnès Buzyn, et avaient été reprises avec Franck Bellivier (avec les modifications de la mesure 31 du Ségur) en juillet 2020… Les négociations se déroulaient bien, et à l’automne 2020, il y a eu l’inclusion de la Cnam, alors que d’emblée on avait dit qu’on ne souhaitait pas négocier selon le dispositif des expérimentations de 2018. En avril 2021, Emmanuel Macron a tranché en faveur de l’avis de la Cnam. En voyant que notre parole n’est pas attendue, on appelle donc au boycott. Quelles sont les autres demandes ? Elles tournent toutes autour de cette idée de perte de liberté et d’indépendance. Il y a une volonté au niveau gouvernemental – et on sait qu’on est quelque part instrumentalisé en raison de la période pré-électorale – de mettre en avant sur une politique "santé mentale", à travers par exemple les chèques psy étudiant ou le remboursement des prises en charge enfant (dernier dispositif pour lequel la profession n’a pas été consultée). Mais aussi, une volonté de "mieux" diagnostiquer les troubles du spectre de l'autisme (TSA) et les troubles du neuro-développement (TND). On a participé au groupe de travail qui a déterminé des outils d’expertise des psychologues en orientant les pratiques professionnelles et les choix théoriques. C’est l’arrêté du 10 mars 2021 : concrètement certains outils ont été choisis et soumis par arrêté – une sorte d’ingérence – sur les outils pour diagnostiquer les TSA et les TND. Cette évaluation sert à la redéfinition des objectifs des centres médico-psycho-pédagogique (CMPP) qui sont des lieux pluriprofessionnels d’accueil, de thérapie et de soutien, pour devenir uniquement des plateformes de diagnostic dans l’objectif de favoriser l’inclusion à l’école de ces enfants. L’ARS Nouvelle-Aquitaine s’est tout de suite emparée de ces recommandations, et a soumis en ce sens un cahier des charges à tous les CMPP.
Mais derrière, au lieu de renforcer les moyens à l’hôpital psychiatrique ou dans les CMPP qui parfois ont six mois à un an d’attente, on oriente vers le libéral. Or, vous avez des enfants ou des adultes qui ont une forme de souffrance qui nécessite un travail en équipe, et qui ont besoin d’une prise en charge d’un orthophoniste, d’un psychologue, d’un psychomotricien, d’un médecin etc. Et c’est le travail pluridisciplinaire qui va favoriser un traitement adapté. Et pour finir, les psychologues hospitaliers ont été oubliés de la 2e étape du Ségur concernant la revalorisation des carrières alors qu’ils ont été sur le front dans l’accompagnement des patients, des familles et des équipes durant la crise sanitaire. Votre communiqué réclame également un accès direct aux psychologues… L’accès direct est déjà acté et l’orientation par le médecin ne constitue qu’une petite partie de notre patientèle. Mais si demain, il y une généralisation du dispositif des MSP à tous les libéraux, toutes les personnes devront passer par le généraliste pour venir nous rencontrer. Imaginer l’afflux dans les cabinets médicaux ! On n’est pas contre le remboursement mais un tarif à 22 euros les 30 minutes ou 32 euros les 45 minutes, ce n’est pas viable pour les libéraux, une fois les charges déduites. Au final, on se retrouve avec 11 euros la séance. Ce qu’on demande, c’est donc une revalorisation salariale, un accès direct au psychologue dans le cadre du remboursement, la reprise des négociations sur le tarif et la suppression de cette mention de validation par le médecin pour la poursuite des séances.
* SNP (Syndicat national des psychologues) et Siueerpp (Séminaire inter-universitaire européen d’enseignement et de recherches en psychopathologie et psychanalyse)
** voir la liste sur la page Facebook de la FFPP Aquitaine.
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