Certificats de décès

Certificats de décès rédigés par les infirmières : "Le service rendu à la Nation est énorme"

Lancée en janvier dernier, l’expérimentation de la rédaction des certificats de décès par les infirmières a rapidement été étendue à la France entière, sous l’impulsion de l'ancien ministre de la Santé Frédéric Valletoux. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la mesure, qui n’était pourtant pas une demande prioritaire pour cette profession en mal de reconnaissance, a immédiatement été adoptée. Près de 12 000 infirmières – libérales ou salariées en Ehpad – se sont portées volontaires pour rendre "ce service à la Nation". Pour l’Ordre, il est maintenant temps de pérenniser le dispositif.  

31/10/2024 Par Louise Claereboudt
Infirmières
Certificats de décès

"Si j[e] [n]'ai personne à 17h, je fais un trou au fond du jardin et j'y enterre mon oncle." Comme cette Gersoise, qui a témoigné en janvier dernier dans le quotidien La Dépêche, de nombreux Français ont été confrontés à une double peine au moment de la mort d’un proche : celle de perdre un être cher d’abord, et celle de ne pas trouver de médecin pour constater le décès – condition sine qua non pour que le corps soit déplacé et que les opérations funéraires puissent démarrer. Régulièrement, la presse locale se fait ainsi l’écho de ces situations ô combien délicates, pouvant s’étaler sur plusieurs dizaines d’heures voire jours dans les cas les plus extrêmes, au grand dam des familles et des forces de l’ordre, souvent bloquées sur les lieux.

Interpellé par les maires, eux-mêmes pris à partie par une population qui se sent souvent abandonnée face au deuil, le Gouvernement a tenté de répondre à leur détresse en permettant, dès le mois d’avril 2020, aux médecins retraités, aux internes et aux praticiens à diplôme étranger de signer les certificats de décès. Mais les élus et pouvoirs publics ont rapidement constaté que cela ne suffisait pas à répondre à cette problématique de santé publique. Encouragé par l’Ordre infirmier, l’exécutif a ainsi décidé de s’appuyer sur cette profession – qui maille l’ensemble du territoire – pour apporter une réponse.

 

Un premier cadre strict

Au travers de la loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, le Gouvernement a lancé une expérimentation permettant aux infirmières d’effectuer cette nouvelle mission (rémunérée par un forfait de 42 ou de 54 euros). Six régions étaient concernées par cette phase d’expérimentation qui a démarré le 1er janvier 2024 (l’Auvergne-Rhône-Alpes, le Centre-Val de Loire, l’Île-de-France, les Hauts-de-France, La Réunion et l’Occitanie). Le cadre était précis : seules les infirmières libérales et salariées diplômées depuis au moins trois ans et inscrites au tableau de l’Ordre pouvaient y participer, à condition d’avoir suivi une formation spécifique* de 12 heures dispensée, dans la majorité des cas, par les agences régionales de santé (en présentiel ou e-learning). 

Les infirmières n’étaient autorisées à constater que les décès non suspects de personnes majeures survenus à domicile, en HAD ou en Ehpad**, lesquels représentent tout de même "près de 40% des décès à l’échelle nationale", précise le ministère de la Santé. En outre, elles ne pouvaient intervenir qu’après une recherche infructueuse d’un médecin. "Or, on s’est rendu compte que s’il fallait joindre un médecin, ça ne raccourcissait finalement pas les délais [d’attente]", souligne Sylvaine Mazière-Tauran, présidente de l’Ordre national infirmier (ONI), auprès d’Egora. En avril 2024, quatre mois seulement après son lancement, l’expérimentation a ainsi été élargie avec des conditions assouplies. 

"On a eu immédiatement des volontaires"

Le décret d’application de la loi Valletoux, qui a permis la généralisation de l’expérimentation, a en effet levé l'obligation de vérifier au préalable l'indisponibilité d'un médecin. Un "acte fort" salué par la profession, qui a répondu présente de façon massive, se réjouit la présidente de l’Ordre infirmier : "A partir du moment où on a diffusé l’expérimentation, on a eu immédiatement des volontaires de façon quasi systématique dans toutes les régions. On n’a pas eu besoin d’aller chercher les gens." Selon l’instance, au 1er octobre, plus de 12 000 infirmières avaient manifesté leur souhait de participer à cette expérimentation auprès des ordres locaux, chargés de les enregistrer. "Et ça augmente de façon quotidienne", observe Mabrouk Nekaa, président du CDOI de la Loire, qui fait partie des territoires pilotes.

Toutefois, seules 6 000 d’entre elles ont pu être formées et ainsi autorisées à constater des décès, d’après les chiffres transmis par le ministère de la Santé à Egora. "On n’a pas un souci de volontariat, mais un souci de places de formation", précise Mabrouk Nekaa, également trésorier adjoint de l’ONI, qui plaide pour que les organismes de formation privés s’en emparent. 

Les données montrent par ailleurs que l’engouement s’est fait ressentir aussi bien du côté des infirmières libérales (IDEL) que des infirmières salariées. "Contrairement à ce que l’on pensait, il y a eu aussi un investissement assez fort, notamment des Ehpad, avec les employeurs qui ont tout de suite identifié qu’il s’agissait d’une avancée dans leur fonctionnement et ont inscrit leurs salariés. On a quasiment autant de salariés que de libéraux qui sont investis dans ce dispositif", précise Sylvaine Mazière-Tauran. Les Ehpad se sont dit qu’ils allaient "pouvoir régler le problème pour leurs patients [décédés] en interne, ça a été une évidence", abonde Mabrouk Nekaa.

 

D’autres spécialités infirmières ont également été intégrées plus tard : c’est le cas des infirmières salariées des services à domicile (SSIAD) et des infirmières sapeurs-pompiers. "Ça a été une demande de terrain, assure la présidente de l’Ordre infirmier. Pour les sapeurs-pompiers par exemple, nous avons dû prévoir des adaptations au niveau de notre tableau pour leur permettre de faire des certificats de décès. C’était insensé qu’ils en soient privés. Ils intervenaient sur un accident, constataient le décès, mais ne pouvaient pas débloquer la situation…" "Ça ne servait à rien d’appeler Pierre, Paul et Jacques", ajoute Mabrouk Nekaa.

 

"Une responsabilité d’agir"

Moins de six mois après la généralisation de l’expérimentation, les élus ordinaux sont unanimes : "Le service rendu à la Nation est énorme". "Cela répond vraiment à un besoin pour la population", confirme Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI). En Ile-de-France, où plus de 1000 infirmières ont déjà été formées, l'ARS assure que sur le territoire, et en particulier "dans les zones où l’offre en médecins était trop faible pour répondre efficacement à toutes les demandes de certification de décès à domicile", une "amélioration significative" a pu être observée. Selon le ministère de la Santé, au 1er octobre, "un peu plus de 3 000 certificats de décès" ont été établis par les IDE "toutes régions confondues", soit autant de familles endeuillées qui n’ont pas eu à subir d’attente. Un chiffre très probablement "minoré", admet l’avenue de Ségur. D’une part, parce qu’il repose "sur une déclaration hebdomadaire" et, d’autre part, parce que les infirmières n’ont eu accès aux certificats de décès électroniques qu’un peu avant l’été, souligne l’ONI.

"Je ne suis pas sûr que les certificats papiers soient bien remontés", avance Mabrouk Nekaa. Au-delà des 3 000 certificats électroniques rédigés par des infirmières, l’ONI a en effet recensé près de 2 500 certificats papiers (1 820 rédigés par les IDEL et plus de 600 par les infirmières salariées). En outre, ce chiffre est amené à évoluer rapidement, du fait du nombre important d’infirmières en cours de formation ou sur liste d’attente.

"Pour le médecin, le certificat de décès est un acte administratif, ce n’est pas une priorité pour lui. Aujourd’hui, nous, infirmières, sommes des personnes pour qui c’est une priorité. Cela change tout", souligne Mabrouk Nekaa. "Pour certaines collègues qui accompagnent des patients en soins palliatifs, avoir l’opportunité de signer un certificat de décès a du sens. C’est un apport supplémentaire vis-à-vis des familles, à qui elles peuvent rendre un dernier service en ne les obligeant pas à devoir attendre qu’un médecin se déplace", renchérit Sylvaine Mazière-Tauran. 

"Ce n’est pas un geste d’urgence, mais cela fait partie de la prise en charge. Il faut pouvoir accompagner les défunts dans la dignité, estime également Karim Mameri, président du conseil départemental de l’Ordre de l’Eure et de la Seine-Maritime, qui s’est particulièrement investi en faveur du dispositif. Il y a aussi, je crois, une responsabilité d’agir. Il n’y a pas eu d’effet ‘waouh, on reconnaît nos compétences’ du côté des infirmières. Mais elles ont tout de suite compris qu’il s’agissait d’un véritable besoin. Car elles ont toutes déjà été confrontées à une situation dans laquelle elles découvrent un patient décédé – elles savent pourquoi il est décédé parce qu’elles le prennent en charge – mais elles ne peuvent pas agir."

C’est le cas de sa consœur Tatiana Moutardier, infirmière libérale de 42 ans exerçant à Saint Aubin d'Ecrosville (Eure). "J’avais eu l’expérience d’un décès un samedi et j’ai été seule toute la matinée à chercher un médecin disponible pour faire un certificat, avec la famille en pleurs. Ce n’était pas facile." Quand la formation a été proposée dans l’Eure, mi-juin, elle a sauté sur l’occasion : "Je me suis dit qu’au moins, si je revivais cette situation, je pourrais aller plus vite et faire au mieux." Elle s’est inscrite sur la liste des volontaires qui, dans son département, est transmise uniquement au Samu, avec qui le CDOI a travaillé en concertation. La soignante est intervenue pour la première fois en septembre pour un patient qu’elle ne connaissait pas, atteint d’un cancer du côlon métastasé.

"Ça peut faire peur quand ce n’est pas notre propre patient, mais je savais déjà à peu près tout avant d’y aller grâce à l’appel du Samu. Et puis la famille était sur place. J’ai pu m’y rendre dans les 20 minutes", raconte Tatiana Moutardier, qui "en retire une bonne expérience". "Je vais me remettre volontaire pour le mois de novembre. Personnellement, je m’inscris les jours où je travaille, comme ça je suis déjà en mouvement, je ne le fais pas sur mes jours de repos. C’est un choix.

"J’ai dit au Samu qu’il y avait peut-être un doute sur cette mort naturelle"

Sur le terrain, se réjouit Mabrouk Nekaa du CDOI de la Loire, "les infirmières sont désormais reconnues et ont toute leur place dans le certificat de décès". S’il y avait certes des "malentendus et incompréhensions", notamment avec SOS Médecins, au début de l’expérimentation, ceux-ci ont rapidement été levés, assure l’infirmier. "Ils ne comprenaient pas, notamment, que les infirmières appelées soient rémunérées alors qu’eux, entre 8h et 20h, ne le sont pas. Ils n’étaient pas contents de ce décalage mais ça ce n’est pas de notre fait, c’est le législateur…", explique-t-il. Thierry Amouroux du SNPI a lui aussi eu vent de réticences, "notamment à Paris où vous avez SOS Médecins ou dans le Val-de-Marne avec le Samu."

Si elle confirme "qu’il y a eu des freins", comme "à chaque fois qu’il y a un changement", la présidente de l’Ordre a expliqué de son côté ne pas vouloir "entrer dans une polémique" : "Ce n’est pas notre intérêt." "Il y a, oui, des secteurs où il y a encore un peu de résistance, mais aussi d’autres endroits dans lesquels il y a une vraie volonté de collaboration avec les responsables des Samu qui travaillent main dans la main avec les présidents des conseils départementaux." Et d’ajouter que : "C’est par l’exemplarité des endroits où ça fonctionne bien que, petit à petit, ça se diffusera complètement.

Dans l’Eure et la Seine Maritime, ce "partage de compétences" s’est fait en "parfaite concertation", explique Karim Mameri. "Que le Samu soit le guichet unique a rassuré tout le monde." Tatiana Moutardier, qui exerce dans une maison de santé pluriprofessionnelle, rapporte que "les médecins traitants ont été ravis de savoir" qu’elle s’était portée volontaire pour rédiger des certificats de décès, à l’instar d’une autre consœur.

D’autres craintes formulées au moment du lancement de l’expérimentation par les médecins concernaient les obstacles médico-légaux (OML) pour lesquels les infirmières ne sont pas autorisées à intervenir. "Face à un obstacle médico-légal, l’intervention d’un médecin est nécessaire", stipule bien le ministère de la Santé. Rapportant les premières observations, Sylvaine Mazière-Tauran assure qu’"il n’y a eu aucune remontée d’un certificat de décès inadéquat et qui ait été remis en question par la suite". Et d’ajouter : "Selon la DGS, les certificats de décès faits par les infirmières étaient plutôt très bien rédigés."

"Il n’y aura jamais de problème, insiste de son côté Mabrouk Nekaa, "confiant". Car à partir du moment où il y a un obstacle, l’infirmière se retire. Les infirmières sont carrées, prudentes. Quand elles valident la formation, elles savent ce qu’elles peuvent ou ne peuvent pas faire." Tatiana Moutardier n’a ainsi pas hésité à refuser de se déplacer quand le Samu l’a appelée pour un patient "retrouvé mort par terre dans sa cour". "J’ai dit au Samu qu’il y avait peut-être un doute sur cette mort naturelle. Ça a très bien été compris et un médecin a été envoyé. Nous, on n’est pas médecins." Pour Karim Mameri, les infirmières peuvent en effet "être complémentaires des médecins", et le décharger car "quand ils sont en consultation, ils peuvent difficilement se déplacer".

Selon Thierry Amouroux, du SNPI, "il n’y a pas non plus de décès pour lesquels les infirmières auraient émis des réserves avec un taux supérieur à ce que font eux-mêmes les médecins, ce qui faisaient partie de leurs craintes".

Pour la présidente de l’Ordre infirmier, il faut donc désormais aller plus loin et inscrire l’expérimentation dans le droit commun. Celle-ci se terminant en avril 2025, "si on ne l’inscrit pas dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, on n’aura pas le financement pour la pérenniser", signale-t-elle. Un amendement en ce sens porté par l’ancien ministre de la Santé Frédéric Valletoux avait été adopté en commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, avant que celle-ci ne rejette l’intégralité du budget de la Sécu. Celui est, depuis ce lundi 28 octobre, examiné dans l’hémicycle ; la question sera ainsi de nouveau débattue. 

En outre, Sylvaine Mazière-Tauran entend bien intégrer la mesure dans la grande loi infirmières promise par le Premier ministre Michel Barnier dans son discours de politique générale, et qui est on ne peut plus attendue par la profession.  

 

*Toutes les formations délivrées par les ARS reposent sur un "socle commun" défini et validé par l’ensemble des ARS qui comprend deux modules portant que l'"épidémiologie et examen clinique du processus mortel" et l'aspect "administratif et juridique".

 **Sont exclus les décès survenus dans d’autres établissements de santé, sur la voie publique, les décès de mineurs et les décès prenant une forme violente ou un caractère suspect. 

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Mais quelle mentalité de geôlier, que de vouloir imposer toujours plus de contraintes ! Au nom d'une "dette", largement payée, co... Lire plus

27 commentaires
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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 22 jours
Cherchez l'erreur ! Si les médecins étaient rémunérés, ne serait ce qu'au même tarif, ils se déplaceraient. Mais de 8h à 20h, ce n'est pas prévu ... donc quand c'est votre patient, vous avez des scru
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Débatteur Passionné
Autre spécialité médicale
il y a 22 jours
Quand il s'agit de se plaindre, (et de croire qu'on va gagner du temps utile) le sujet à la mode ce sont les certificats "qui font perdre du temps", les certificats médicaux inutiles... Ce sont des ce
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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 23 jours
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? La CPAM ne considérant pas la RCP ou la constatation du décès comme un acte médical, tenter de réanimer un patient en ACR ou rédiger un certifica
 
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