"Ils se retrouvent à quatre ou cinq par stage, livrés à eux-mêmes" : pourquoi de plus en plus d'étudiantes infirmières abandonnent

Alors que le Gouvernement planche sur une réforme de leur formation, la part d'apprentis infirmières qui abandonnent leurs études ne cesse d'augmenter. Entre manque d'encadrement lors des stages, forte charge de travail, épuisement et précarité, les étudiantes dénoncent des conditions de formation difficiles.  

 

14/02/2024 Par C.S.
Paramédicaux

La réforme de la formation des infirmières devient de plus en plus urgente. A l'heure où le Gouvernement met la dernière touche à ce projet de refonte, avant de le soumettre à la concertation "au printemps", la part des appentis infirmières qui abandonnent leurs études augmente.  

"Sur le fond, tout me plaisait : les matières, les soins techniques, l'hôpital... Mais les conditions d'exercice étaient intenables", raconte Héloïse, 21 ans, qui préfère taire son nom comme les autres étudiantes interrogées. Selon les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), en 2022, 13% des apprentis infirmières ont interrompu - définitivement ou provisoirement - leurs études en première année, contre 4% en 2014. Ce chiffre atteint même 18% sur les trois années de formation. 

Pour faire face à la pénurie croissante de soignants, le Gouvernement a ajouté depuis 2018 plusieurs milliers de places en instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi), mais le nombre de diplômées recule. "Les causes sont multiples, mais la première - citée par 32% des démissionnaires selon une étude - ce sont les conditions de stage", développe Pauline Bourdin, présidente de la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (Fnesi).  

 

"J'étais un boulet"  

L'infirmière ajoute : "Avec le manque de soignants, de terrains de stage disponibles, et l'augmentation des effectifs (en école), on n'a plus assez de professionnels pour encadrer les étudiants. Ils se retrouvent à quatre ou cinq par stage, livrés à eux-mêmes."  

Les étudiantes interrogées confirment. "J'étais un boulet", lance l'une d'elles. "Expliquer, montrer les gestes, ça prend du temps. Les infirmiers n'en ont pas", résume Marie, 21 ans. En stage de première année, elle devait "demander à chacun, chaque jour, 'qui veut bien passer la journée avec moi ?'". Tous déclinaient. Sa motivation prend l'eau en deuxième année, en foyer d'accueil médicalisé, en Île-de-France. Deux infirmiers "surchargés" se partagent cinq étages. Esseulée, Marie sert d'aide-soignante "à 1,10 euro de l'heure", s'épuise et "n'apprend rien". 

"Je prenais énormément de retard sur les soins techniques, les pathologies", confie-t-elle. "Parfois je devais faire un soin, je ne savais pas. Je savais qu'au prochain stage, ils en attendraient davantage. J'y allais la boule au ventre, en pleurant".  

Zoé, qui rêvait des urgences, raconte sa "désillusion", puis son "burn-out" en troisième année, en Bretagne. "C'était horrible de voir les patients entassés sur des brancards, faire les soins dans les couloirs sans aucune intimité. Les malades angoissent et voudraient juste une présence. Nous, on passe 5 minutes, sans lien ni humanité. On est des robots", soupire-t-elle.  "Certains professionnels, à bout, nous dégoûtent." Un jour, l'une de ses tutrices lui lance, peu après les présentations : "Le métier est dur, tu devrais te barrer." 

D'autres deviennent maltraitants. "Épuisée" après plusieurs stages, Héloïse a choisi "d'imposer sa pause déjeuner" : "L'ambiance s'est tendue avec ma tutrice. Elle ne me parlait plus. Un jour elle m'a hurlé dessus, pour un détail."  

 

Un rapport sénatorial publié en 2022 

"Il y a aussi la charge de travail intense", un "accompagnement insuffisant à l'école par manque de formateurs", ou encore la "précarité étudiante", souligne Pauline Bourdin. Pour "survivre", Marie prenait des petits boulots dans la restauration, s'imposant un rythme "invivable". Tiraillée, elle n'exclut pas de "reprendre un jour l'école, après avoir économisé". 

En 2022, un rapport sénatorial pointait aussi "l'inadaptation" de Parcoursup dirigeant vers les Ifsi trop de profils "insuffisamment motivés". Cette année, l'exécutif a ajouté à Parcoursup un "questionnaire d'auto-positionnement" obligatoire et la possibilité d'échanger avec des formateurs. Il planche surtout sur une grande réforme du métier et des études. "Les textes seront soumis à la concertation au printemps" en vue, concernant la formation, d'une application "à la rentrée 2025", précise le ministère de la Santé, interrogé par l'AFP.  

De son côté, la Fnesi plaide pour généraliser les "journées d'immersion" proposées aux lycéens en Ifsi, mieux payer les stagiaires, mais aussi former et rémunérer les tuteurs, en adaptant leurs plannings. 

[avec AFP] 

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