"C'était l'homme à abattre": un médecin viré pour avoir dénoncé l'insalubrité de son service [Photos]

22/06/2018 Par Sandy Berrebi-Bonin

Le service de réanimation chirurgicale de l'Archet 2 au CHU de Nice est encore sous le choc. Celui qui était désigné pour devenir chef de service a vu son contrat stoppé net par la direction. Le médecin très apprécié de son équipe dénonçait un peu trop bruyamment les conditions d'accueil indignes des patients.

  Service en sous-sol, sans lumière du jour, plafond qui s'effondre, fuites d'eau à répétition, chambres quadruples… Depuis son ouverture en 1996, les conditions d'accueil des patients du service de réanimation chirurgicale du CHU de Nice sont déplorables. "Les femmes, les hommes, les jeunes, les vieux, tous les patients cohabitent dans ces chambres à quatre", décrit un infirmier du service, démissionnaire. "Certain sont en train de mourir, d'autres sont porteurs de germes résistants et il n'y a aucune possibilité de les isoler, ce qui alourdit parfois le traitement des autres", ajoute-t-il. "Des patients se retiennent d'aller à la selle pendant plusieurs jours parce qu'ils ont honte, d'autres sont sur la chaise percée pendant qu'une famille pleure un parent décédé, tout cela à l'abri d'un simple paravent qui n'empêche, ni les bruits, ni les odeurs de circuler", décrit à son tour une infirmière du service épuisée par ces conditions de travail.  

"Même pas de paravents pour séparer les lits"

  "Cette situation dure depuis 22 ans. Le service est au deuxième sous-sol. Et encore au début il n'y avait même pas de paravents pour séparer les lits des malades", s'exaspère Laurent Gleize, responsable CGT au CHU de Nice. "Tout cela dégrade la qualité des soins et les conditions de travail des soignants", constate-t-il.

C'est dans un service compliqué qu'est arrivé en novembre 2013 le Dr Pierre-Eric Danin. "Je savais que le service était en difficulté mais j'étais motivé. Je voulais développer la recherche dans l'unité" explique le soignant idéaliste et passionné. Il y parvient. "Le service a pu progresser et commencé à être connu. Les internes avaient envie de venir chez nous. J'en était fier", raconte le Dr Danin. Mais si le praticien était motivé pour développer le service sur le plan scientifique, il l'était aussi pour le sortir du sous-sol dans lequel il était engoncé. "Il y avait un réel problème de locaux. Mélanger dans des chambres un patient auquel on doit faire un massage cardiaque et une patiente qui a eu un accouchement difficile n'est pas possible. Le service est bruyant, la lumière est allumée en permanence, il y a des germes spécifiques, des patients qui décèdent. Tout cela peut-être très traumatisant pour les patients", décrit le Dr Danin. "Il y avait aussi le problème du secret médical, de la qualité d'accueil des familles… Je m'excusais sans cesse auprès d'eux", déplore le médecin de 39 ans.  

"Morte dans une cave, sans avoir pu voir le jour"

  Le Dr Danin ou les soignants du service se souviennent par exemple de cette patiente décédée après trois mois passés dans une chambre sans fenêtre, "morte dans une cave, sans avoir pu voir le jour", ou encore de ces deux familles pleurant à quelques mètres les unes des autres un proche décédé, tandis qu'un troisième patient pris d'une crise de folie criait dans la chambre…

"Ne pas pouvoir soigner dignement les patients était devenu insupportable. Devoir s'excuser auprès des familles, soigner en contradiction avec ses valeurs, c'était vraiment trop dur", témoigne une infirmière démissionnaire à bout. "On s'identifie aux familles", soupire-t-elle. "C'est très triste. Ce n'est pas des conditions que je souhaiterai pour moi ou mes proches. Les patients sont des êtres humains", abonde le Dr Danin. Malgré la dureté des conditions de travail, le Dr Danin parvient à fédérer toute l'équipe, médicale et paramédicale. "Je devais être nommé chef de service et titulaire. J'avais d'ailleurs passé le concours de la fonction publique hospitalière en novembre 2017 dans cette optique", confie le médecin. "Mais en février 2018, le couperet est tombé, froid, tranchant. J'ai reçu un courrier dans lequel on m'expliquait la difficulté de communiquer avec moi. Par conséquent mon contrat qui se terminait ne serait pas renouvelé. D'un coup tout s'est arrêté, de façon brutale", raconte le Dr Danin. Dans le service personne ne comprend la décision de la direction. Le personnel médical et paramédical s'unissent pour écrire des courriers et demander des explications. "Nous avons ressenti un fort sentiment d'injustice. Ils ont viré le seul qui était motivé à reprendre la patate chaude", commente un infirmier démissionnaire. "Je suis abattu et très en colère. Je n'arrive pas à encaisser. Cette nouvelle m'a mis en souffrance pendant un bon moment", commente un infirmier, encore en poste dans le service. "Moi aussi j'ai pensé à partir mais pour des raisons personnelles j'essaye de m'accrocher. Si ça devient trop dur, je m'en irai aussi", commente-t-il.  

"Je pensais bien faire"

  Du côté de la direction de l'hôpital (qui n'a pas souhaité nous parler mais nous a fait parvenir un communiqué) on explique que l'éviction du Dr Danin "a été murement réfléchie" (…) Il convient d’abord de préciser qu’il ne s’agit pas d’un licenciement mais d’un non-renouvellement de contrat à durée déterminée. Comme l’explique le Professeur Thierry Piche, Président de la Commission Médicale d’Établissement "S’agissant d’une réponse à une situation individuelle, je ne peux pas, déontologiquement, en détailler les raisons mais elles n’ont rien à voir avec l’état du service" (…) L’amplification à outrance des difficultés rencontrées porte atteinte à la réputation du CHU et au-delà̀ de lui, à l’ensemble des personnels qui œuvrent au quotidien pour faire fonctionner le service public par un professionnalisme et un engagement sans faille." Mais les soignants du service ne sont pas dupes. "Nous savons très bien que les raisons officielles ne sont pas les vraies raisons. Le Dr Danin a dénoncé un peu trop activement les conditions de travail. La lettre qu'il a reçue évoque les évènements de 2017. Il n'y a rien eu en 2017 hormis les 50 fiches d'évènements indésirables qu'il a rédigé à lui tout seul. Il était l'homme à abattre", estime un infirmier du service. "Il nous incitait à signaler les problèmes, c'est ce qui a provoqué son éviction", ajoute un autre soignant. "C'est le seul qui a fait quelque chose pour que ça change, il n'a peut-être pas mis les formes, mais à un moment donné il faut arrêter avec les formes. Il faut venir dans ce service pour pouvoir réaliser ce que cela signifie", s'emporte une paramédicale. Depuis le non renouvellement de son contrat, le Dr Danin peine à passer à autre chose. "Je suis au chômage, je fais des remplacements à droite à gauche mais je ne suis pas prêt à me relancer dans un service et repartir sur une autre histoire. C'est trop tôt pour moi. Lorsque l'on perd un idéal cela peut créer des situations de dépression voire de suicide" témoigne pudiquement le soignant qui confie être passé par une phase de dépression. "Cela faisait quatre ans que je m'investissais à fond dans ce service, j'y pensais jour et nuit, et d'un coup plus rien, tout s'arrête. J'adorais fédérer cette équipe. Avec eux tout était simple", se remémore-t-il. D'autant que son éviction a forcé le praticien à stopper plusieurs études cliniques. "Je voulais que les patients soient le mieux soignés possible. Je pensais bien faire. A aucun moment je n'ai pu imaginer de telles conséquences", déplore le Dr Danin qui, depuis son éviction a écrit au président de CME ou encore à l'ARS. "L'ARS m'a répondu qu'elle ne pouvait rien faire face au directeur qui a les plein pouvoir", soupire le praticien prêt à revenir dans le service.  

"Je n'arrive pas à comprendre"

  Depuis son départ le poste de chef de service a été attribué à jeune chef de clinique. Si les soignants du service n'ont pas vraiment de reproches à lui faire sur le plan personnel, ils déplorent un manque d'expérience criant. "Il n'a qu'un an d'expérience, ça n'a aucun sens. Depuis le départ du Dr Danin il n'y a plus d'harmonie dans les équipes médicales", estime une infirmière. Quant aux conditions travail en sous-sol, rien n'a changé. "Avant il y avait des fuites d'eau quand il pleuvait, désormais il y en a même quand il fait beau. La direction nous propose de passer un coup de peinture et de changer les paravents mais ça n'est pas ce que nous voulons. Nous voulons une relocalisation du service", revendiquent d'une même voix les soignants du service. "Si on accepte qu'ils repeignent les murs il n'y aura plus de déménagement. Je n'arrive pas à comprendre, comment, pour la réputation du CHU, on arrive à laisser un service dans cet état", s'indigne une soignante. "Nous avons demandé au CHSCT qu'il nous démontre qu'il est impossible de délocaliser la réanimation. Nous n'avons jamais eu de réponse", s'agace Laurent Gleize qui note qu'en parallèle, deux autres services sont en cours de relocalisation.

 

Service de réanimation chirurgicale - CHU de Nice - Juin 2018 

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