Rémunération des médecins, mobilité... Les propositions chocs du patron de l'AP-HP pour réformer l'hôpital
Dans une note transmise au Gouvernement, et publiée sur le site Les Echos, le directeur général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Martin Hirsch, prône une refondation de l'hôpital public. "Le système hospitalier français est en crise. Ceux qui y travaillent considèrent que cela va de mal en pis. Les fermetures de lits ne sont pas planifiées mais subies, en fonction de la disponibilité des professionnels", écrit en préambule le patron de l'AP-HP, qui constate que la crise touche aussi bien les "petits établissements que les centres hospitalo-universitaires". "Cette crise s'accompagne d'une crise de la médecine de ville, dont les déserts médicaux sont la traduction la plus sensible, aussi bien en zones rurales que dans les grandes villes", ajoute-t-il. La France "est probablement le pays où la traditionnelle coupure entre l'hôpital et la ville est la plus forte et évolue le moins vite, trouvant sa source dans des différences historiques qui ont du mal à être dépassées", déplore le directeur de l'Assistance-publique, qui remarque plusieurs facteurs de blocage comme les différences de rémunération et l'"hospitalocentrisme" qui entretient "une concurrence hôpital/ville plutôt qu'une complémentarité". Lien entre hôpital et ville "L'objectif est de construire des structures mixtes, liées à l'hôpital, permettant le salariat ou la rémunération sous forme d'honoraires, mais avec un lien contractuel entre l'hôpital et les médecins exerçant en soins primaires", propose Martin Hirsch, qui espère une organisation structurée entre les services d'urgence et les services de soins non programmés ou les CPTS.
Selon Martin Hirsch, qui dirige l'AP-HP depuis 2013, le cadre législatif de 1958, source de rigidité, de cloisonnement et de rivalités internes néfastes "est devenu contre-productif" et débouche sur un manque d'attractivité de l'hôpital public. "L'hôpital français est malade de ses rigidités et des effets pervers des contournements à ses rigidités : il y a 20 ans, on a introduit les 35 heures avec en contrepartie une modération des salaires, qui a conduit à la fois à une désaffection des personnels, à des doubles emplois illégaux publics privés, à des efforts de productivité non récompensés. Le couvercle a été mis jusqu'au Ségur, du coup considéré comme un rattrapage du passé plus que comme un gage de reconnaissance pour l'avenir", écrit Martin Hirsch, avant de dévoiler ses propositions qu'il décrit comme un "plaidoyer pour un changement profond". "Le même salaire pour tous les médecins, quelle que soit leur spécialité, entraîne des frustrations, des injustices et des départs (pour certains, le salaire peut être 5 fois plus élevé dans le privé ou dans d'autres pays), alors qu'il y a des différences considérables entre disciplines, qui sont généralement prises en compte dans les autres pays", aborde d'emblée le patron de l'AP-HP, qui regrette également que "les contraintes de la permanence des soins ne sont pas mieux reconnues (et on se retrouve à avoir des médecins seniors qui doivent faire des gardes pour moins de 300 euros !)" ou que le travail de nuit ne soit pas mieux valorisé. Rémunération des médecins en trois parts Martin Hirsch constate également que les volontés de jeunes médecins ont évolué. "L'idée que dès l'internat on s'inscrit pour une vie professionnelle dans le même parcours initiatique en projetant d'y finir PU-PH et éventuellement chef de service, n'est plus le rêve de la majorité", note-t-il. Le patron de l'AP-HP estime également que "la nomination à vie dans un établissement a des effets pervers" et entraine une mobilité très faible. Le directeur de l'AP-HP préconise un changement du mode de rémunération des médecins hospitaliers pour que leur salaire ne soit plus uniforme pour toutes les spécialités, pour tous les établissements et pour tous les territoires.
Il propose ainsi une rémunération en trois parts. La première serait un "plancher" qui pourrait rester fixé nationalement et statutairement. La deuxième part serait fonction d'un coefficient géographique lié au coût de la vie dans la région. Enfin la troisième serait à la main de l'établissement, en fonction de critères définis collectivement permettant de mieux rémunérer "certaines spécialités, certaines fonctions, un investissement particulier dans la vie de l'établissement, des compétences ou une technicité particulière". Des primes de responsabilité ou des rémunérations liées à l'enseignement ou à la recherche pourraient s'ajouter au salaire. Des PH nommés pour 5 ans Martin Hirsch s'attaque également au statut de praticien hospitalier. Il propose donc que les médecins soient nommés dans une région et affectés par période de 5 ans renouvelable dans un établissement. Il veut donc mettre fin au système actuel de nomination à vie dans un établissement. De même, la recherche et l'enseignement pourraient faire l'objet de contrats de cinq ans. La patron de l'AP-HP s'inquiète également du "problème de la retraite des hospitalo-universitaires". Ils "n'accepteront aucune réforme tant qu'ils ont la crainte de partir à la retraite avec moins de la moitié de leur rémunération active", tranche-t-il en soulignant la "légitimité" de cette revendication. Dans sa note, Martin Hirsch établit également une liste de recommandations pour les professions paramédicales, dont il propose de repenser la formation et pour qui il préconise aussi une rémunération à trois étages.
"La possibilité d'exercer des responsabilités supplémentaires (comme infirmier de pratiques avancées) ne serait plus une possibilité marginale, mais l'objectif serait de pouvoir garantir qu'une part substantielle des paramédicaux hospitaliers puissent accéder à ces évolutions de carrière vers plus de technicité, plus de responsabilité, plus d'initiatives et plus de rémunérations", plaide-t-il en évoquant aussi une période de cinq ans renouvelable. Ces évolutions pourraient concerner "un quart des effectifs paramédicaux", calcule-t-il. Enfin Martin Hirsch souhaite permettre aux paramédicaux de pouvoir accéder à des responsabilités "hospitalo-universitaires" "au même titre que les médecins". Paramédicalisation de la gouvernance La gouvernance hospitalière n'est pas oubliée par le directeur de l'AP-HP, qui prône une médicalisation et une "paramédicalisation" de la direction. "Les paramédicaux ne peuvent être considérés comme de simples exécutants (jusqu'au nom de "personnels non médicaux"), mais doivent participer à la gestion de l'hôpital, à l'évolution des métiers, aux grands choix. Leur place restreinte est une des explications du malaise", note le directeur de l'Assistance publique. "La vraie médicalisation de la gouvernance est un système dans lequel des médecins exercent de réelles responsabilités dans les équipes de direction (y compris celle de diriger l'établissement s'ils veulent en assumer les responsabilités) et dans des départements médicaux plus vastes où ils peuvent mener des réorganisations, faire des arbitrages et non pas défendre leur propre service, leurs élèves, leurs lits, leurs propres projets", explicite Martin Hirsch. Dans le système prôné par le patron des hôpitaux parisiens, les usagers auraient également une place élargie dans les lieux de gouvernance. 100 % Assurance maladie Enfin, Martin Hirsch évoque la tarification à l'activité et s'interroge sur le refus de la T2A alors que "c'est peu ou prou le système adopté par la plupart des pays, et qui ne fait pas l'objet du même rejet ailleurs". Il propose tout de même plusieurs changements dont "le premier serait le financement intégral par l'Assurance maladie, évitant aux hôpitaux d'avoir à jongler avec les assurances complémentaires, émettre des millions de factures, devoir gérer le paradoxe des 'suppléments chambre individuelle' et générer une complexité administrative considérable". Si le 100% Assurance maladie n'était pas instauré, cette dernière pourrait tout de même être chargée de récupérer la part des assurances complémentaires et des participations des patients pour décharger l'hôpital de ce rôle chronophage. Le patron de l'AP-HP préconise également de simplifier le mode de codage et de favoriser les tarifications qui encouragent le traitement ambulatoire. Il souhaite aussi généraliser les mécanismes d'intéressement "qui font qu'une structure médicale a un intérêt à des performances qui ne sont pas simplement des performances de gestion ou de remplissage mais bien des performances de qualité et d'organisation des soins". Pour faire accepter ces "changements majeurs", Martin Hirsch propose la mise en place d'une commission confiée à une ou deux grandes personnalités reconnues du monde de la santé, présidée par le vice-président du Conseil d'Etat et incluant des professionnels de toutes générations. "Les jeunes qui sont ceux qui n'ont pas envie de s'inscrire dans le moule de leurs aînés sont ceux qui s'expriment le moins", regrette le directeur de l'AP-HP qui souhaite leur donner la parole et changer leur avenir en profondeur. [Avec LesEchos.fr]
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