Egora.fr : Quelle est la situation à l’hôpital de Nevers, que vous présidez ? Denis Thuriot : Rien que pour le centre hospitalier de l’agglomération, il nous manque, a minima, une vingtaine de médecins pour prendre en charge tous les patients, et pour assurer le maintien de la médecine générale dans l’établissement périphérique de La Charité-sur-Loire [où le service de médecine a fermé début février]. Là-bas, le généraliste est parti à la retraite et je n’ai pas pu mobiliser suffisamment de praticiens libéraux et hospitaliers pour maintenir cette activité. Nous sommes aussi en déficit pour faire tourner nos salles d’opération et nos plateaux techniques, qui sont sous-utilisés faute de médecins mais également d’infirmières de bloc/ anesthésistes et pourraient générer plus de recettes permettant ainsi de réduire le déficit [de l’hôpital]. C’est un cercle vertueux ou vicieux, tout dépend comment on voit les choses. Y’a-t-il également de fortes tensions en ville ? Oui. J’évite cependant le terme désert médical. Nous ne sommes pas un désert : ce n’est pas le Sahara. Nous sommes une capitale départementale. Nous sommes en pénurie forte de médecins hors agglomération et au sein de l’agglomération. Cette pénurie risque de devenir encore plus inquiétante avec les départs annoncés de généralistes, si ces derniers ne sont pas remplacés. Mon objectif est donc à la fois de réparer et d’anticiper [l’offre de soins]. D’où vient ce manque d’attractivité ? Je pense que c’est la résultante d’une politique qui n’a pas maillé le territoire. Nos territoires – à tort – n’intéressent pas. Pourtant, les jeunes médecins qui se sont installés à Nevers ne le regrettent pas. Ils peuvent avoir 2400 patients en 8 jours. Nous venons d’être classés [dans un classement du Parisien], dans les villes de mêmes strates, quatrième ville avec le plus de pouvoir d’achat, c’est-à-dire dans les moins coûteuses. Vous pouvez très bien vivre à Nevers. Nous avons beaucoup d’atouts, nous sommes autour d’un fleuve, en plein centre de la France (à deux petites heures de Paris), avec une autoroute qui va enfin nous sortir de ce cul-de-sac. Mais nous avons donné le sentiment d’être enclavés et on a un peu oublié la Nièvre. Il y a eu une forme d’abandon du territoire, d’injustice, qui a provoqué un désintérêt général se traduisant par une forte baisse de la population de Nevers (passant de 46 000 à 33 000 habitants en trente ans). On commence néanmoins à voir des signes positifs depuis 2018. Nous reprenons des habitants, des enfants dans les écoles, des crèches ouvrent. Nous allons d’ailleurs créer une crèche à proximité de l’hôpital, en partie pour le personnel hospitalier parce qu’il faut être attractif. Pour inciter les médecins à venir exercer dans votre ville, vous avez proposé de créer une ligne aérienne entre Dijon et Nevers. Un voyage qui devrait durer 35 minutes. Comment vous est venue cette idée ? Pourquoi je fais cette offre ? Parfois, on m’a regardé de façon farfelue, mais ce n’est pas un caprice de maire. C’est une solution qui me paraît adaptée. Si ça peut servir à donner un peu plus d’équité aux soins à mes concitoyens, c’est mon rôle. Cette idée vient du constat que Nevers dépend du CHU de Dijon : il faut 2h30 au bas mot par le train (pour faire 180 kms – ce qui est un scandale !) et par la route pour rejoindre Dijon. Soit 5 à 6 heures de trajet aller-retour. J’ai appris par ailleurs qu’il n’y aura plus de train entre Nevers et Dijon pendant 8 à 9 mois à partir du mois de juillet à cause de la réfection de la ligne à laquelle on s’intéresse enfin. Pour les étudiants qui font leur internat à Nevers mais ont besoin de suivre des cours à Dijon, ça va être encore pire. On a aujourd’hui 19 médecins du CHU de Dijon ou du centre d’oncologie Leclerc qui viennent renforcer nos équipes chaque mois. Souvent, ils restent 2/3 jours pour éviter les allers-retours. Ce sont peut-être des soignants d’un certain âge, qui ont moins d’obligations familiales, qui font cet effort. Je distingue bien évidemment ces intérimaires des mercenaires. Cette génération-là, nous ne l’aurons malheureusement pas des années. Et les jeunes ne sont pas dans cette optique-là. Pour les attirer, on propose des week-ends d’immersion à destination des jeunes internes, à qui on fait découvrir le territoire. On en capte de temps en temps, mais la plupart du temps, ils nous répondent que Nevers est chouette mais difficile d’accès. La distance est rédhibitoire Que voulez-vous que je fasse quand on me répond cela ? J’écoute. Je ne vais pas les amener de force. Ils me disent cependant que si je leur propose une liaison aérienne simple, pour qu’ils puissent avoir leur vie ailleurs et travailler à Nevers, ce ne sera plus un souci. D’où cette idée. On vient par ailleurs de construire un nouvel internat à côté de l’hôpital, et nous n’avons pas plus d’internes du CHU… Quand on dit faire venir des médecins en avion ça fait sourire, mais quand j’explique la problématique, les gens comprennent mieux. Combien coûterait une telle mesure ? Le nouveau directeur général de l’ARS a fait savoir dans le Journal du centre qu’il ne financerait pas le projet… J’ai vu que le nouveau directeur de l’ARS semblait en effet réservé par rapport aux frais de transport. Mais quand on a des mercenaires, on les paie aussi. L’idée est donc de monter un dossier auprès de l’ARS pour la convaincre de nous aider, de nous financer. De toute façon, le financement est dans le déficit [de l’hôpital] : 6 millions d’euros chaque année, dont 3,5 millions relevant de l’intérim, et notamment des mercenaires. D’après une première approche financière pour un avion de 10 à 15 places, nous tablons sur 13 000 euros la rotation (aller/retour). Depuis que tout cela a été médiatisé, nous sommes sollicités par beaucoup de compagnies aériennes. Je vais jouer sur les tarifs et lancer un appel d’offres. On peut donc envisager que cela baisse, d’autant qu’il y aura peut-être certaines semaines où nous aurons besoin de moins de places – l’idée n’est pas de dire qu’il faut 10 places fixes deux fois par semaine. Si on part toutefois sur deux rotations par semaine pendant 54 semaines, cela reviendrait à 1,750 million d’euros, soit la moitié du coût des intérimaires. Ça coûtera moins cher que de surpayer des mercenaires. Je sais que ça ne plaît pas à certains médecins, mais je distingue les praticiens qui ne viennent pas chercher l’argent, qui viennent aider les hôpitaux de périphérie, des mercenaires. Quand pourrait-on voir les premiers avions arriver ? Si tout va bien, les premières rotations devraient avoir débuté fin janvier 2023. S’agirait-il d’une solution pérenne ou temporaire ? Mon rêve, ce serait que ça ne soit pas pérenne : ça voudra dire qu’on aura décidé d’installer des médecins. Je ne propose pas cette idée pour qu’elle dure trente ans. Vous déplorez un manque de maillage du territoire. Êtes-vous pour la coercition ? Je ne suis pas contre – et le Gouvernement regarde cela enfin – qu’on dise aux jeunes qui sortent d’école qu’ils doivent un temps sur des territoires qui ont des besoins. Ça ne choquerait pas. Les études sont prises en compte par l’Etat, et c’est le cas pour les fonctionnaires de l’ENA par exemple… Je suis avocat de profession libérale, je n’aime pas qu’on oblige, mais en même temps aujourd’hui on a certains (pas tous) professionnels de santé qui veulent le beurre, l’argent du beurre… Quand je me suis installé comme avocat, rien n’a été pris en charge. Il faut revenir à la raison et mailler la France. C’est une responsabilité d’intérêt général que les soignants maillent la France et s’intéressent à nos territoires. Vous pensez à la 4e année d’internat de médecine générale, qui vient d’être adoptée dans le PLFSS ? Oui, ça me semble une bonne chose aussi. Ça fait huit ans que j’essaie gentiment de dire "venez chez nous, vous ne le regretterez pas". On y arrive parfois : il y a une année on avait perdu vingt médecins, on en a recruté vingt. Mais il en faut plus. A un moment donné, on n’y arrive pas. Tous les élus locaux sont dans la même situation, sauf ceux des secteurs de bord de mer ou de montagne où tout le monde s’agglutine... Je ne vais pas me mettre à genoux, me prostituer pour faire venir des médecins. Et c’est un peu ce que l’on fait pour éviter de fermer des services, on est obligés de prendre des mercenaires qui vous rackettent 2500/3000 euros la prestation, ce qui est en grande partie à l’origine de nos déficits que nous, contribuables, devons combler Au bout d’un moment, il faut changer la donne, renverser la table. L’impact écologique de cette mesure a été largement pointé du doigt. Que répondez-vous aux critiques ? Toutes les semaines à l’aéroport d’Orly (Paris), il y a des employés qui prennent l’avion pour des entreprises. En quoi y a-t-il une différence avec des médecins qui viendraient prêter main forte dans des territoires ? C’est même encore plus justifié. J’ajoute que quand on transporte des organes ou du sang en avion, personne ne vient râler. Il faut arrêter d’être dans la démagogie : entre la priorité de soigner les gens et consommer un peu de CO2, le choix pour moi est vite fait. Et puis si vous n’avez pas de médecin à Nevers, qui peut faire 10 à 20 consultations à l’hôpital ou en libéral, ces 10 à 20 personnes vont aller à Dijon ou à Paris et vont consommer du CO2. Soyons raisonnables dans les arguments. Je ne suis pas écolo d’étiquette politique, mais c’est une question d’éducation. On m’a toujours appris à respecter l’environnement et je pense qu’on fait beaucoup à Nevers. Mais je ne suis pas pour l’écologie bloquante.
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