[EXCLU] Diagnostic express, confidentialité... Le fondateur d’arretmaladie.fr s’explique sur les sujets qui fâchent

La polémique enfle autour d’arretmaladie.fr. Cette plateforme lancée début janvier propose un arrêt "rapide et fiable" sans avoir besoin de se déplacer en cabinet. Le tout pour 25 euros. Les médecins, l’Ordre, le ministère et la Caisse nationale d’assurance maladie ont largement dénoncé l’hypocrisie du concept. Le fondateur allemand du site, Can Ansay, juriste, revient sur les critiques.

17/01/2020
Interview exclusive

Egora.fr : D’où vous est venue l’idée de ce site “arretmaladie.fr”? 

Can Ansay : Il y a six ans, j’ai travaillé sur un logiciel dans lequel on pouvait indiquer ses symptômes et qui proposait, en retour, un diagnostic. Le “business model”, je l’ai enfin trouvé en 2017. Pendant une dizaine de mois, nous avons réfléchi au meilleur système à mettre en place en Allemagne. Pour nous, c’était une nouvelle opportunité pour les patients de recevoir de l’aide médicale via la télémédecine.  

J’ai donc réfléchi à ce qui pourrait constituer le meilleur service de télémédecine capable de poser un diagnostic et de soigner. J’ai constitué une liste des maladies et symptômes qui pouvaient être diagnostiqués en ligne sans avoir besoin de toucher le patient. Donc uniquement via un questionnaire. Je me suis rendu compte que la plupart des demandes d’arrêt maladie sont très faciles à diagnostiquer et d’ailleurs, la majorité du temps, les patients savent de quoi ils souffrent : un coup de froid, une gastro-entérite ou une migraine. Le deuxième critère important : ces pathologies, très fréquentes, ne sont pas dangereuses. Au pire des cas, si on ne voit pas le médecin, les symptômes finissent par disparaître après un certain temps.  

On est sûrs de pouvoir aider beaucoup de personnes car ces pathologies s’adaptent bien à notre questionnaire. En Allemagne, nous avons décidé de proposer uniquement le questionnaire. Nous pensons qu’il est beaucoup plus efficace que la téléconsultation car derrière, le médecin n’a besoin que de cinq secondes pour sa consultation. Ce questionnaire est une sorte d’intelligence artificielle qui s’assure que seuls les patients ayant les pathologies concernées (coup de froid, stress, douleurs menstruelles, gastro-entérite, douleurs de dos, migraine et cystite) et sans autre facteur de risque se verront proposer par la suite un rendez-vous. Les autres ne pourront pas utiliser nos services. C’est donc très fiable.  

 

Comment avez-vous conçu ce questionnaire ?  

J’y ai réfléchi avec des médecins : ma mère, ma sœur et mon oncle qui sont médecins et aussi ceux de l’équipe. On a développé le questionnaire en prenant les différents avis pour garantir une certaine logique et une bonne performance.  

 

Pourquoi avoir choisi de lancer la plateforme en France ? 

C’est le premier marché en Europe et les obligations légales sont similaires à l’Allemagne. En France, par exemple, les employés doivent présenter un arrêt maladie dès le premier jour (1). Nous avons choisi ce pays car la consultation médicale est remboursable. C’est ce que j’ai vu sur le site ameli.fr : au moins 30% de remboursement du prix de la consultation. 

 Jeudi dernier, j’ai reçu un courrier de la Cnam et du Cnom qui m’expliquait que ce n’était pas exact et me demandait de modifier certaines informations qui pouvait induire le patient en erreur. Ils ne m’ont rien demandé d’autre, donc je suis content qu’ils n’aient pas critiqué la légalité. Nous avons donc effectué tous les petits changements la semaine dernière et j’échange actuellement avec mes avocats pour être sûrs que nous avons les bonnes informations surtout concernant le remboursement. Je suis presque sûr qu’au moins 30% seront remboursés à tous les patients. Nous allons continuer à vérifier.  

 

La Cnam et le Cnom ont tout de même engagé une action en référé pour faire fermer le site... 

Je ne sais pas comment ils vont faire cela dans ce siècle. Peut-être qu’ils auraient pu faire cela il y a 300 ans, sous Louis XIV… mais pas aujourd’hui. Et si quelqu'un veut interdire notre service, les principales plateformes de téléconsultation Livi.fr et Qare.fr doivent d'abord être interdites, car elles proposent des arrêts maladie en ligne pendant plus de 3 jours et pour un nombre illimité de maladies.  

 

Parlons du recrutement : combien de médecins français sont inscrits sur votre site ?  

Trois médecins français travaillent aujourd’hui pour arretmaladie.fr. Ils sont tous basés en France : un médecin généraliste retraité habitant en province, un autre d’une cinquantaine d’années est un spécialiste de la e-santé, et enfin, le troisième est un médecin remplaçant. Trente autres médecins m’ont contacté pour une collaboration mais comme nous avons un nombre limité de patients pour le moment, trois seuls suffisent.  

Certains m’ont dit qu’ils étaient inquiets suite à la parution des articles sur notre site. Nous leur avons dit que nous avions réagi aux demandes de la Cnam et du Cnom. Certains ont peur de leur réaction, comme de celle de la ministre, qui ont annoncé qu’ils voulaient faire fermer notre site. Ils n’ont pas le droit de le faire. Les médecins qui ne connaissent pas la loi et qui ne veulent pas dépenser 3.000 euros pour interroger un avocat, peuvent avoir peur de perdre leur licence. Evidemment ils sont inquiets au début... mais j’ai aussi rencontré beaucoup de médecins qui n’ont pas peur, ou qui sont déjà retraités et qui ne ressentent aucune pression.  

 

Quel contrôle exercez-vous en amont du recrutement ? 

Les médecins envoient tous les documents légaux nécessaires. Et je vérifie qu’ils sont bien référencés sur ameli.fr. 

 

Comment s’est passé le tout premier contact avec un médecin français ? 

Je voulais me renseigner sur le marché français et son règlement. En passant par plateforme de téléconsultation, je suis tombé sur un médecin qui se trouve être un spécialiste de la e-santé. Quand je lui ai parlé de ce projet, il était...

très enthousiaste. D’autres médecins ont directement répondu à une offre d’emploi sur mon site, suite à un reportage diffusé sur TF1 aux heures de grande écoute. C’était un gros plus pour nous ! D’autant que je n’ai rien payé ! 

 

Comment rémunérez-vous les médecins ? 

Ils paient pour le service que nous offrons. On a créé un système assez efficace pour garantir aux médecins de gagner au moins 200 euros par heure. Ça veut dire traiter huit patient l’heure. S'ils en traitent plus, ils reversent le surplus à ma société. C’est une sorte d’abonnement. Si, par exemple, ils voient dix patients en une heure, ils vont gagner 250 euros et nous verseront donc 50 euros pour avoir guidé et aiguillé les patients vers eux. 

 

Combien de patients français jusqu’ici ?  

En moyenne par jour, plus d’un millier de patients demandent un rendez-vous mais jusqu'à présent, nous pouvons assurer qu’une soixantaine de consultations, sachant que les trois médecins français ne travaillent pas à temps plein. 

 

Comptez-vous recruter plus de médecins à l’avenir ? 

Je suis en ce moment en contact avec de nouveaux médecins. J’ai de nouvelles demandes donc je vérifie les profils, les documents officiels avant de signer un contrat avec eux. Je veux m’assurer qu’on puisse offrir un rendez-vous à tous les patients qui le demandent.  

 

Quelle garantie offrez-vous concernant la confidentialité des données transmises par les patients ?  

Nous nous assurons d’être dans la norme de l’Hébergeur Agrée de Données de Santé (HADS). Toutes les données patients se trouvent sur un serveur agréé HADS, notamment un Amazon web server en conformité avec cet agrément. Nous attendons aussi une certification officielle, mais cela prend un peu de temps. Dans deux semaines, nous aurons encore étoffé le niveau d’authentification en implémentant une double validation comme c’est le cas pour les services bancaires en ligne. Une fois le mail indiqué, vous recevrez ensuite un SMS pour télécharger les documents d’arretmaladie.fr.  

 

Il semblerait qu’arrêtmaladie.fr utilise un hubspot pour collecter les données, qui envoie directement les informations dans un CRM dont les bases sont hébergées aux Etats-Unis. Est-ce le cas ?  

C’était notre solution de départ mais pas la version finale. Nous utiliserons après cela un questionnaire directement depuis notre site web. C’est donc une solution temporaire mais nous nous assurons que...

les informations soient transmises de manière sécurisée et conforme à la norme HADS et de la Cnil. De plus, seuls les docteurs ont accès aux informations du patient. Techniquement, personne d’autre n’y a accès. Au bout d’un certain temps, ces informations sont supprimées. Nous n’utilisons aucune donnée à visée marketing ou pour de la publicité, et nous ne vendons ces données à personne.  

 

Avez-vous donc été en contact avec la Cnil ? 

Pas encore, mais je connais les règles de base. Je suis en discussion avec mes avocats pour qu’on s’assure de la confidentialité des données qui nous sont communiquées.  

 

Estimez-vous que votre concept pourrait être une solution à la désertification médicale ? 

Bien sûr. Nous avons aussi ce problème en Allemagne. Ces “petites” pathologies prennent beaucoup de temps aux médecins, et les patients risquent d’en contaminer d’autres en salle d’attente. Et le problème, c’est que les médecins n’ont pas le temps pour les pathologies plus sérieuses et leur traitement. Surtout à la campagne où il y a beaucoup moins de médecins qu’en ville. En Allemagne, la moyenne d'âge des médecins est de 53 ans. Donc le problème est similaire. C’est aussi dans cet objectif que j’ai créé le questionnaire et je suis donc surpris de toutes les critiques qui ont émergé ces derniers jours autour de la légalité d’arretmaladie.fr. 

 

Agnès Buzyn vous a accusé de "marchandiser” la médecine" et souhaite la fermeture de votre site. Comment prenez-vous cela ?  

Tout le monde veut gagner de l’argent avec son entreprise. Même Médecin sans frontières gagne de l’argent ! Mais pour nous, l’argent n’est pas le plus important. Bien sûr que nous devons en gagner, comme toutes les entreprises pour survivre. Mais voici comment je vois les choses : nous faisons un service de santé à l’échelle mondiale avec l’aide des nouvelles technologies qui permettent d’aller plus vite, de manière plus fiable et beaucoup moins cher... C’est ce que nous avons prouvé en Allemagne. Nous n’avons eu aucune plainte ni retour négatif. C’est là tout notre mission. 

Si j’avais juste voulu gagner de l’argent, je me serais contenté de copier un “business model” qui existe déjà. Non, je voulais quelque chose de neuf, d’innovant et de disruptif. Nous ne sommes pas les premiers en France à avoir notre entreprise centrée sur la santé, je pense par exemple à Doctolib.  

Au lieu de combattre notre service avantageux, il vaut mieux combattre le présentisme où les Français sont champions d'Europe. Car selon une étude, 62% des travailleurs français vont travailler malgré la maladie. C'est une indication contre l'abus des arrêts maladie. Le présentisme ne nuit pas seulement à la santé, mais aussi à l'employeur.  

 

Comprenez-vous l’inquiétude des médecins en France ? 

Nous ne proposons pas la téléconsultation en Allemagne mais en France, parce que c’est obligatoire. Le médecin peut donc échanger avec le patient. Notre objectif est, encore une fois, de rendre les choses mille fois plus rapides... Alors c’est vrai que cela peut signifier que 1 000 personnes peuvent perdre leur travail. Mais c’est le but de l’évolution et de l’innovation ! C’est peut-être le...

prix à payer pour rendre les choses plus faciles. Je comprends leurs craintes de perdre leur job. Mais ils devraient se satisfaire de voir les choses se faire plus rapidement et plus simplement.  

Plus rapide et plus simple... mais quid de la relation médecin-patient ? 

La plupart du temps, les patients savent ce qu’ils ont, ils interprètent leurs symptômes. Donc si on a un simple coup de froid qu’on a déjà eu cinquante fois, le médecin n’a que trois phrases à dire...  

 

Mais si le patient fait, à la base, le mauvais diagnostic ?  

C’est difficile pour le médecin de rectifier si c’est quelque chose qu’il ne peut pas voir ou toucher. Mais jusque-là, nous n’avons pas eu de mauvais retours ni de problèmes. C’est aussi pour cela que nous nous sommes concentrés sur des pathologies qui sont “gérables”. De plus, avec notre questionnaire, nous pouvons nous assurer que nous avons très peu de patients qui se trompent sur leur diagnostic. Et que les patients aient le meilleur traitement possible. Nous proposons aussi un système de notation pour toutes les recommandations comme il en existe sur Amazon par exemple. Il n’en existe nulle part ailleurs.  

 

(1) “Vous avez 48 h pour transmettre l'avis d'arrêt maladie à votre caisse primaire d'assurance maladie et à votre employeur”, indique ameli.  

Note de la rédaction : cet échange a été mené en anglais. La rédaction en a assuré la traduction.  

 

"Nous, DocteurSecu attaquons arretmaladie.fr" 
Lorsque les patients veulent cliquer pour remplir un questionnaire en ligne, ils sont renvoyés vers une plateforme française appelée DocteurSecu, présentée à tort comme “partenaire” d’arrêtmaladie. Contacté par Egora.fr, Loïc Petitprez, son fondateur, assure qu'il n'existe aucune relation juridique et commerciale avec la plateforme allemande arrêtmaladie.fr. "La société du docteur Can Ansay nous a contactés pour une mission de conseils concernant la législation française", explique-t-il. DocteurSecu est également intervenu pour traduire le formulaire de préconsultation de l'allemand au français. Mais aucun partenariat existant, certifie Loïc Petitprez. "Aujourd'hui, ils utilisent toujours nos liens et renvoient sur notre site." 
"Nous n'endossons pas la responsabilité des publications du site arretmaladie.fr qui n'est pas de notre ressort ", précisait déjà DocteurSecu dans un communiqué publié le 5 janvier. Face à la polémique de marchandisation de la médecine qui grimpe depuis quelques jours, Loïc Petitprez nous fait savoir aujourd'hui que DocteurSecu a décidé d'attaquer la nouvelle plateforme pour avoir utilisé leur nom sans leur autorisation.  
L.C. 

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