Mediator : les clés pour comprendre le procès

23/09/2019 Par Caroline Coq-Chodorge
Faits divers / Justice

Près de dix ans après la révélation de l'affaire par la pneumologue Irène Frachon, s’ouvre enfin ce lundi après-midi le procès du Mediator, qui durera 6 mois. Les laboratoires Servier sont mis en cause pour "tromperie aggravée" sur la nature du médicament, et l'ANSM pour avoir trop tardé à réagir.   Six mois de débats, 4500 parties civiles, 450 avocats : le procès, hors du commun, du Mediator, s’ouvre enfin, ce lundi 23 septembre, devant le tribunal correctionnel de Paris. C’est l’épilogue d’une affaire retentissante, qui a éclaté il y a 10 ans, en 2009, quand ce médicament, prescrit comme un adjuvant au régime alimentaire chez le diabétique en surpoids, est enfin retiré du marché, après que ses effets secondaires, potentiellement gravissimes, aient été révélés. Il a conduit à réviser profondément la politique de la sécurité du médicament, notamment en mettant au jour, d’une manière plus transparente, les liens d’intérêt entre les industriels, les autorités de santé et le monde médical. Mediator a été commercialisé de 1976 à 2009. Pendant 33 ans, 145 millions de boîtes ont été vendues, 5 millions de personnes en ont consommé, sur prescription médicale, remboursée à 65% par la Sécurité sociale. Le nombre de morts attribués au Mediator est incertain : entre 500 et 2000, selon les expertises. La plupart des victimes sont décédées d’une hypertension artérielle pulmonaire, très rapidement fatale. Des centaines de personnes ont aussi présenté, entre 1 et 10 ans après la prise du Mediator, des atteintes graves des valves cardiaques qui, même opérées, laissent certaines victimes épuisées, diminuées.     La nature du benfluorex Les laboratoires Servier sont mis en cause pour "tromperie aggravée" : ils auraient sciemment caché la véritable nature du Mediator. Indiqué comme adjuvant au régime alimentaire chez le diabétique en surpoids, il a surtout été prescrit, en dehors de son indication, comme coupe-faim. Ce sera l'un des points clés du procès : le benfluroex était-il un anorexigène et les Laboratoires Servier auraient-ils sciemment caché sa véritable nature? Le benfluorex appartient en effet à la famille des fenfluramines, dont la cardiotoxicité est connue depuis la fin des années 90. L’Isoméride (dexfenfluramine), également produit par Servier, a été retiré du marché mondial en 1997, en raison de ses effets secondaires graves, valvulopathies cardiaques et hypertension artérielle pulmonaire, ces mêmes effets indésirables graves imputés plus tard au benfluorex.

L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) est elle aussi mise en cause, mais pour pour "homicides et blessures involontaires", car elle n’a pas été capable d’ "assurer un contrôle effectif réel du médicament", écrivent les magistrats dans le dossier d’instruction. Des experts médicaux qui ont travaillé pour l’agence - et parfois, en même temps, pour le laboratoire Servier- vont devoir se défendre  de "prises illégales d’intérêts", notamment. Comment une telle affaire a-t-elle pu échapper, si longtemps, aux autorités de santé ? Dans un tonitruant rapport, co-rédigé par Aquilino Morelle et publié en 2009, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a estimé que le retrait du Mediator aurait dû intervenir dès 1999. L’alerte a pourtant circulé, bien plus tôt, dès 1995, peu avant le retrait de l’Isoméride, conduisant à l'interdiction du benfluorex dans les préparations en pharmacie. Mais le Mediator, lui, poursuit son chemin commercial. En 2003 et 2004, il est retiré du marché en Italie et en Espagne, les deux seuls pays européens où il était encore commercialisé. L'affaire du Mediator a éclaté en 2009-2010, grâce à la persévérance d’Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest. Elle publie alors son livre "Mediator 150 Mg : combien de morts ?", où elle relate sa longue enquête "médico-policière". Elle débute en 2007, avec "Madame F.", une  patiente de Saint-Brieuc atteinte d’une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). Irène Frachon connaît bien cette maladie, car elle a travaillé au début des années 1990, en tant qu’interne, à l’hôpital Antoine-Béclère, à Clamart , dans un service spécialisé sur la HTAP, qui a étudié les effets secondaires de l’Isoméride. Dans le dossier médical de "Madame F", Irène Frachon retrouve du Mediator, dont la revue Prescrire s'est indignée à de nombreuses reprises du maintien sur le marché, en raison du cousinage du benfluorex avec l’Isoméride. Irène Frachon commence aussi à regarder du côté des valvulopathies, consulte les cardiologues de sa connaissance, à Brest ou ailleurs. Elle interroge la base de données du département d’information médicale (DIM) du CHU de Brest. Et elle finit par exhumer, au quatre coins de France, mais surtout en Bretagne, 45 cas de valvulopathies chez des patients ayant pris du Mediator. Mais tous ces arguments ne suffisent pas à emporter la conviction de l’Afssaps sur  la nécessité de retirer, au plus vite, ce médicament. Deux génériques du Mediator n'ont-ils pas reçu leur AMM en 2008? L’Assurance maladie interroge à son tour sa base de données, et met en évidence un risque deux à trois plus important d’être hospitalisé, dans l’année, d’une insuffisance valvulaire pour les personnes qui ont pris, même une seule fois, du Mediator. Le 30 novembre 2009, Mediator est, enfin, retiré du marché.   3700 malades indemnisés L’indemnisation des victimes n’a pas attendu le procès pénal. L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam) a reçu plus de 10 000 demandes d’indemnisation et reconnu l'imputabilité au médicament dans 37% des cas (3.735 avis positifs). Servier indique lui avoir déjà adressé des offres d'indemnisation à plus de 3 700 malades pour un montant total évalué fin août à 164,4 millions d'euros, dont 131,8 millions déjà versés. Ces indemnisations vont "de quelques milliers à plusieurs centaines de milliers d'euros", atteignant même un million d'euros "dans un seul cas", avaient précisé les laboratoires en avril. Elles s’accompagnent d’un accord prévoyant l’abandon des poursuites pénales. Alors que la responsabilité de l'Etat dans cette affaire a été fixée à 30% par la justice, Servier demande le remboursement des sommes correspondantes "Nous attendons le procès avec impatience, assure Olivier Laureau, son président, dans Challenges. Depuis le début, tout est à charge contre Servier : le rapport de l'Igas, l'instruction… C'est le moment de faire la lumière sur la réalité des causes de ce drame qui a entraîné des décès, mais aussi l'ensemble des responsabilités dans cette affaire." "J'attends que la justice soit rendue pour les victimes, au-delà de leur indemnisation, a déclaré Irène Frachon à l’AFP. On ne peut pas vivre dans une société où la criminalité en col blanc resterait impunie. Le ‘criminel à col blanc’, c'est celui qui présente toutes les marques de la respectabilité et commet pourtant des actes délictueux pouvant aller jusqu'au décès de personnes."

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